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cessaires pour payer les calculateurs. Le nombre total des observations qu'il a fallu réduire s'est élevé à 9067, dont 8393 étaient complètes, tant pour l'ascension droite que pour la distance polaire. Les réductions ont été effectuées avec tous les soins qui pouvaient en assurer l'exactitude, et leurs résultats présentés sous des formes telles, qu'on peut immédiatement en déduire le coefficient numérique de toute inégalité désignée. Cette œuvre immense étant terminée, l'impression en fut ordonnée par les commissaires de l'amirauté, sur la demande expresse qui leur fut adressée à ce sujet par le comité d'inspection de l'observatoire royal, le 30 novembre 1844. Sa publication eut lieu en 1848 elle se compose de deux énormes volumes in-4°, tout remplis de tables et de nombres. Ainsi, la confection des calculs avait exigé six années, l'impression quatre. Par là, on peut concevoir la grandeur de ce monument d'astronomie.

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M. Airy, qui s'était dévoué à l'élever, fut aussi le premier à en jouir. Il s'attacha à en tirer les déductions qui se présentaient comme les plus essentielles au perfectionnement des tables lunaires : d'abord les valeurs des six éléments elliptiques, que la théorie doit emprunter aux observations; puis celles de quelques autres nombres, qu'elle doit faire dériver du calcul comme autant de conséquences mécaniques, mais qui n'ont pas encore été obtenus avec une complète précision. Il me suffira ici d'expliquer comment on procède à la détermination des six éléments. Dans l'état actuel de l'astronomie, leurs valeurs sont trèsapproximativement connues, et ainsi elles ne doivent être susceptibles que de très-petites corrections que l'on représente par autant de symboles algébriques. Cela fait, on prend les expressions purement théoriques de la longitude et de la latitude de la lune qui sont réputées les plus complètes, celles de Plana et de Damoiseau par exemple; puis l'on calcule les petits changements que les corrections supposées devraient proportionnellement apporter à chacun des termes qui les composent; et l'on obtient ainsi l'expression théorique, complétée par la somme des termes très-petits qu'y ajoutent les corrections symboliques des éléments. Égalant cet ensemble à la coordonnée observée qu'il doit représenter, on obtient par différence la somme des termes correctifs applicable à l'observation considérée; ce qui établit entre leurs valeurs une relation numérique à laquelle ils doivent satisfaire. C'est ce que l'on appelle une équation de condition. L'on forme autant de ces équations que l'on possède d'observations distinctes, ce qui pour M. Airy en a fourni plusieurs milliers; et on les combine de la manière la plus favorable, pour obtenir la valeur de chaque symbole correctif

qui satisfait le mieux à leur ensemble. C'est ainsi que M. Airy a opéré. Or, parmi ces corrections, il y en a une dont la détermination est surtout importante. C'est celle qui s'applique à l'élément elliptique que l'on appelle l'époque de la longitude moyenne, lequel exprime la valeur absolue de cette longitude à une époque donnée. Sa nature est de croître en proportion exacte du temps, de sorte que si dans son évaluation théorique il a été entièrement séparé de toute inégalité qui lui serait étrangère, les observations, si prolongées qu'elles soient, devront donner sa correction nulle, ou toujours la même, pour l'époque choisie. Mais lorsque le géomètre a fondé la détermination de cet élément, sur des séries d'observations qui n'embrassent qu'un espace de temps restreint, comme étaient celles dont MM. Plana et Damoiseau ont pu faire usage, s'il existe dans la longitude de la lune quelques inégalités à longues périodes dont l'existence ait été ignorée, la variabilité de leurs effets n'étant pas sensible pendant la durée des observations employées, ils se confondent avec le mouvement uniforme de la longitude moyenne, dans la confection des tables qu'on établira sur ces observations; et ce mélange les rendra progressivement fautives, à mesure que l'évolution de l'inégalité ignorée y manifestera la variabilité de son influence. C'est ce qui est arrivé aux tables de Mayer, par cette cause même, comme je l'ai expliqué plus haut, page 731 du volume précédent. Et les géomètres, Laplace d'abord, puis Damoiseau et M. Plana, s'étaient efforcés d'y remédier en étendant assez loin, le premier ses spéculations, les derniers leurs développements analytiques, pour qu'aucune inégalité à longue ou à courte période ayant une efficacité appréciable, n'échappât à la théorie. Mais la série des observations de Greenwich, comprenant un intervalle de quatre-vingts années, elles ont fait reconnaître à M. Airy, que l'époque de la longitude moyenne théoriquement déterminée par M. Plana, se montrait encore passible de très-petites corrections, ayant des grandeurs lentement et irrégulièrement variables, qui semblaient déceler l'existence d'inégalités à longues périodes, encore ignorées. Il s'empressa d'annoncer ce fait important à M. Hansen en lui communiquant la suite des nombres qui le constataient, et celui-ci s'appliqua immédiatement à en rechercher la cause. Il n'avait pas encore effectué, ni même abordé, la partie de son travail qui devait concerner les perturbations produites par les planètes sur la lune; les investigations de Laplace, et les calculs de Damoiseau donnant lieu de croire que leur influence est très-faible, et trop facile à évaluer pour offrir un obstacle sérieux. Mais l'annonce de M. Airy lui fit soupçonner que de là seulement pouvaient provenir les corrections révélées par les observations de Greenwich; et il se

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résolut à reprendre cette portion de la théorie sous un point de vue général, pour voir si elle ne lui fournirait pas les inégalités à trèslongues périodes dont ces corrections semblaient déceler l'existence. Il trouva que la première puissance de la force perturbatrice engendrait analytiquement plusieurs inégalités de ce genre, mais toutes numériquement insensibles. Néanmoins se rappelant que, d'après une découverte récente de M. Airy (en 1832), l'attraction de Vénus en produit dans le mouvement de la terre une fort notable, dépendante de termes d'un ordre plus élevé, il poussa les calculs relatifs à cette planète jusqu'aux termes qui sont produits par le carré et le cube de la force perturbatrice, ce qui lui fit découvrir parmi eux deux inégalités fort sensibles, ayant respectivement pour périodes d'évolution, l'une 273, l'autre 239 années. La première était engendrée par l'action directe de Vénus sur la lune, la seconde dépendait en partie de la même cause, et en partie de cette action réfléchie par l'intermédiaire de la terre. La somme de leurs effets combinés se trouva reproduire, avec la plus satisfaisante exactitude, la série des corrections résultante des observations de Greenwich. Cette découverte fut communiquée par M. Hansen à l'Académie des sciences, dans sa séance du 5 avril 1847'. De tels résultats annonçaient assez combien il avait profondément pénétré dans la théorie des mouvements de la lune, et faisaient vivement désirer l'achèvement des nouvelles tables de ce satellite, dont on le savait occupé. Elles n'étaient pas encore terminées au commencement de 1850. M. Airy, qui sentait mieux que personne l'importance dont elles seraient pour l'astronomie lunaire, écrivit directement à M. Hansen, vers cette époque, pour lui demander où il en était de ce travail. M. Hansen répondit qu'il pensait l'avoir fini dans deux ans; ajoutant toutefois ce triste commentaire : qu'il avait eu pendant un certain temps des assistants calculateurs, mais qu'il n'en avait plus, et qu'il espérait seulement qu'ils pourraient lui être rendus à quelque époque éloignée. M. Schumacher, auquel M. Airy s'était également adressé pour avoir des informations sur ce sujet, lui donna le mot de cette énigme. Les assistants de M. Hansen lui avaient été fournis aux frais du gouvernement de Danemark, lequel, par la constante protection qu'il accorde aux travaux astronomiques, s'est toujours montré le digne héritier de la gloire de Tycho. Mais, depuis le commencement de 1848, la guerre des duchés l'avait malheureusement mis dans l'impuissance de continuer ces allocations; et il était trop probable qu'elles seraient entièrement supprimées. Sur

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Sa lettre est imprimée dans le tome XXIV des Comptes rendus, p. 795.

cette annonce, M. Airy adressa au premier lord de l'amirauté, alors sir Francis Baring, une lettre dans laquelle il lui exposait particulièrement cet état de choses, désirant savoir de lui, si une demande de secours de la part de M. Hansen, pour l'aider à continuer son travail, pourrait être favorablement accueillie. Sir Francis n'hésita pas à reconnaître qu'une telle œuvre, déjà si avancée, était de nature à mériter l'aide du Gouvernement britannique. Informé aussitôt par M. Airy de ces dispositions bienveillantes, M. Hansen lui adressa immédiatement un mémoire par lequel il sollicitait de l'Amirauté le secours qui lui était devenu si nécessaire. Ce mémoire, remis le 30 mars 1850, reçut dès le 10 avril la décision la plus favorable. M. Hansen demandait 150 liv. sterling, environ 3,700 francs. Mais informé par M. Airy que cette somme serait probablement insuffisante, le conseil de l'amirauté accorda 50 livres sterling de plus, en tout 200 livres, ou 5,000 francs. Remis ainsi en état de continuer son œuvre, il la reprit avec un nouveau courage. Mais elle lui demanda encore deux années de plus qu'il ne l'avait présumé. Le 9 novembre 1854 seulement, il adressa à M. Airy une lettre, ou plutôt un long mémoire, annonçant l'heureuse issue de son travail, et accompagné des preuves numériques qui l'attestaient. Cette lettre fut immédiatement imprimée dans le tome XV du Bulletin de la société astronomique de Londres, à sa date même. On voit que y M. Hansen a déduit de sa théorie des tables provisoires, qui lui permettent déjà d'en comparer les résultats avec le ciel. Appliquées à une nombreuse série d'observations de la lune faites par M. Struve à Dorpat, mais encore inédite, et à celles de Greenwich embrassant un intervalle d'un siècle, qui ont été publiées par M. Airy, elles les représentent dans des limites d'erreurs, excédant à peine les incertitudes de ces observations mêmes. Les éléments elliptiques, les coefficients des principales inégalités, et les mouvements, diffèrent à peine de ceux que M. Airy conclus des observations de Greenwich, quoique provenant de déterminations qui en étaient indépendantes. Enfin elles ne satisfont pas moins aux anciennes éclipses que cet habile astronome a récemment calculées, ce qui donne une forte présomption qu'elles seront durables. En résumé, ces tables provisoires surpassent pour l'exactitude celles de Burckardt, autant que les tables de Burckardt surpassent celles de Burg et de Mason. Il ne restait plus qu'à les étendre en tables générales pour l'usage pratique des astronomes. L'achèvement de cette opération devait exiger un surcroît de dépense, que M. Hansen évaluait à 100 livres sterling. L'Amirauté les lui accorda immédiatement. La confection de ces tables définitives demanda encore deux années. Le ma

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nuscrit ne se trouva complétement prêt qu'au commencement de 1856. Il fut transmis aussitôt à Londres par l'intermédiaire du Foreign Office, et remis le 10 octobre à M. Airy, qui, dix jours après, le 20 octobre, ayant fait estimer les frais de l'impression, écrivit à l'Amirauté pour demander son autorisation à cet effet; et, quoique ce conseil dût s'entendre pour cela avec la Trésorerie, l'ordre d'imprimer ces tables à 750 exemplaires, fut donné le 1er novembre. L'activité de l'administration n'avait pas été moindre que le zèle de l'astronome. De part et d'autre on n'avait pas perdu de temps.

M. Hansen se rendit à Greenwich pour surveiller l'impression de l'introduction et de la première partie des tables. Le reste a été achevé sous la direction, et par les soins infatigables, de M. Airy. Tout ce qui est texte a été rédigé par M. Hansen en français, et est imprimé dans cette langue, dont la clarté logique offre tant d'avantages pour l'exposé des spéculations scientifiques. Aussi l'y voit-on partout fréquemment employée. En cela, les sciences continuent le travail de propagation commencé par nos grands écrivains, dont les chefs-d'œuvre en ont répandu la connaissance et l'usage dans les classes élevées de tous les peuples civilisés.

Si j'ai rapporté avec tant de détails les incidents qui ont amené l'achèvement et la publication de cet important ouvrage, ce n'a pas été pour me donner la présomptueuse mission de vanter la générosité avec laquelle le Gouvernement britannique y a concouru. Il n'a pas besoin de mes éloges. Les faits parlent assez d'eux-mêmes. Mais j'ai voulu surtout faire remarquer le judicieux discernement qui a dirigé ses libéralités : les employant à assurer l'exécution d'une grande œuvre de science déjà fort avancée, dont le but était parfaitement défini, l'utilité attestée par les personnes les plus compétentes pour en bien juger, et le succès final garanti par l'aptitude spéciale, comme par les travaux antérieurs, de celui qui s'y était dévoué. C'est à de telles conditions qu'un gouvernement éclairé doit encourager des entreprises scientifiques, avec la certitude qu'il en recueillera un juste honneur. S'il s'écarte de ces règles de prudence, ses sacrifices inconsidérés ne lui rapporteront presque jamais que des déceptions; et, avec les meilleures intentions du monde, au lieu d'avoir servi les sciences, il se trouvera leur avoir fait tort, en égarant sa protection sur des projets vaguement conçus, qui n'aboutiront qu'à un vain bruit. Puisse le judicieux système d'enquête préventive adopté par le Gouvernement britannique, pour s'épargner de pareils mécomptes, être partout compris, et pratiqué!

Je crois compléter utilement ces articles, en les faisant suivre par une

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