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chimique des composés organiques a donné lieu depuis la fondation de l'Académie royale des sciences jusqu'à nos jours. Généralités.

Distinction de l'analyse organique en analyse immédiate et en analyse élémentaire. Examen des mémoires pour servir à l'histoire des plantes dressés par M. Dodart, de l'Académie des sciences. 1" édition in-folio, 1676, et 2' édition in-12, 1679.

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Lorsque nous nous engageâmes à rendre compte, au point de vue chimique, des travaux les plus remarquables relatifs à la végétation, depuis le xvII siècle jusqu'à nos jours, nous n'ignorions pas l'étendue de la tâche que nous entreprenions, avec l'intention d'établir la conti nuité des efforts tentés, pendant plus d'un siècle et demi, pour connaître l'histoire des corps vivants; mais nous étions soutenu par l'espoir que nos recherches, en rappelant d'anciens services, trop oubliés peut-être des contemporains, ne seraient pas inutiles quand il s'agirait d'éclairer le présent des lumières du passé.

Après les Recherches sur la végétation de Théodore de Saussure, viennent, dans l'ordre des temps, les Éléments de chimie agricole de H. Davy, composés de huit leçons, qu'il professa pendant dix ans devant le comité d'agriculture d'Angleterre. Nous n'avons point à nous en occuper, parce qu'ils ont été le sujet de trois articles insérés dans ce recueil 1; seulement nous rappellerons qu'en en critiquant quelques points, nous nous sommes empressé de reconnaître les services qu'ils ont rendus par la manière dont l'auteur a fait sentir l'importance des applications de la chimie moderne à l'agriculture; et aujourd'hui nous répétons ce que nous disions alors, que le talent avec lequel plusieurs questions y sont traitées caractérise ces éléments comme l'ouvrage, d'un homme supérieur.

Les critiques que nous fimes portaient sur des choses du ressort de l'analyse organique immédiate; et, parce que des écrits récents prêtent à des critiques analogues, l'occasion est opportune, à notre sens, pour développer les motifs que nous avons de considérer comme indispensable l'intervention de cette analyse, dans le cas où il s'agit d'appliquer la science chimique à l'agriculture, et rien ne va mieux à ce but que de remonter à l'époque où, l'analyse organique n'existant pas encore, le besoin d'éclairer la connaissance des plantes des lumières de la chimie le deuxième, celui de décembre, page 767; pour le troisième, celui de février 1856, page 94, et de mars, page 173; pour le quatrième, celui de mai, page 286; pour le cinquième, celui de juin, page 360, et de juillet, page 414; pour le sixième, celui d'août, page 473, et de septembre, page 549; pour le septième, celui de juillet 1857, page 437; et, pour le huitième, celui d'août, page 507. Année 1822. mars, mai et juin, articles de M. Chevreul.

se faisait sentir déjà, non à un seul, mais à toute une société savante qui venait d'être créée à Paris, en 1666, sous le nom d'Académie royale des sciences.

Un résumé rapide de l'histoire de l'analyse chimique, dans ses rapports avec la connaissance des corps vivants, n'aura pas seulement l'utilité dont nous parlons, mais peut-être, à l'intérêt de la nouveauté, joindra-t-il l'avantage de donner une preuve de plus à l'appui de l'opinion de ceux qui pensent que l'histoire critique d'une science, ou de l'une de ses branches, n'a d'utilité réelle qu'à la condition d'être le résultat d'études approfondies, faites avec l'expérience que donne une longue pratique des connaissances dont il s'agit de retracer l'histoire. Peut-être, en outre, montrera-t-il clairement et l'impossibilité d'apprécier d'une manière précise la valeur des travaux scientifiques qui n'ont pas subi l'épreuve du temps, et la nécessité, pour juger les anciens travaux, de s'aider de la science actuelle afin de se rendre un compte exact de l'influence qu'ils recevaient de l'esprit scientifique dominant à l'époque de leur exécution, de sorte qu'en définitive il nous paraît vrai de dire que, si les lumières de la science actuelle sont propres à éclairer l'histoire du passé, celle-ci, à son tour, par la lumière qu'elle nous renvoie, établit entre la science du passé et la science contemporaine des rela tions pleines d'intérêt.'

On s'explique aisément pourquoi il est bien plus facile d'écrire exac tement et d'une manière précise l'histoire scientifique d'une époque éloignée de l'auteur, que celle d'une époque contemporaine, les connaissances de son temps lui offrant des bases sur lesquelles il peut établir un jugement solide de ce que les opinions dont il retrace l'histoire ont de vrai et d'erroné; or, les opinions qu'il doit juger une fois réduites en des éléments bien définis, ceux-ci sont appréciés à leur juste valeur et les parts de l'erreur et de la vérité bientôt faites; dès lors, plus de divagation ni de détails oiseux du passé dans la narration; l'attention du lecteur appelée ainsi exclusivement sur des principes vrais, consacrés par le temps, et auxquels sont ramenés les éléments des connaissances du passé, il se trouve en état de juger exactement ce qu'étaient ces éléments.

S'agit-il, par exemple, de l'histoire de l'analyse organique? Il y aurait impossibilité de la retracer d'une manière claire, à une époque où régnaient la theorie des quatre éléments et celle des trois principes immédiats de la matière admis par les alchimistes, le soufre, le sel et le mercure; et certes on ne peut la suivre avec intérêt et profit dans la succession de ses progrès, si préalablement on n'a pas une conception

nette de ce qu'elle est actuellement au point de vue immédiat ou prochain et au point de vue médiat, éloigné ou élémentaire. Rappelons donc le sens de ces expressions.

L'analyse organique est immédiate lorsqu'il s'agit de séparer des matières organiques leurs principes dits immédiats, parce que ce sont les premiers corps que l'on retire des plantes et des animaux, sans qu'on puisse admettre qu'ils aient subi quelque altération. Citons comme exemple de principes immédiats les différentes espèces des sucres, des gommes, des corps gras, l'amidon, le ligneux, le sucre de lait, l'albumine, la fibrine, etc. etc. L'expression de principes immédiats est parfaite car elle s'applique à des corps qui possèdent les propriétés par lesquelles les plantes et les animaux manifestent immédiatement à nos sens leur existence matérielle. C'est, en définitive, aux principes immédiats que l'homme doit ses aliments végétaux et animaux, ainsi que beaucoup de remèdes salutaires : les poisons, ainsi que les venins, sont aussi des principes immédiats; enfin la science des arts relatifs à la nature organique, aussi bien que la science de la vie, repose sur la connaissance des principes immédiats qui constituent les plantes et les animaux.

Aucun de ces principes n'est de nature simple; tous sont complexes; les uns ne different pas des composés de la nature inorganique; les autres, produits sous l'influence de la vie, n'ont point leurs identiques dans la nature morte; l'oxygène, l'azote, le carbone, l'hydrogène, le soufre et le phosphore, en sont les éléments. On les distingue des premiers par l'épithète d'organiques. L'analyse organique devient élémentaire lorsqu'elle s'applique à la détermination de la nature et des proportions des corps simples qui constituent chacune des espèces des principes immédiats organiques qu'on a isolés d'une plante ou d'un animal. Il est entendu qu'elle n'a de valeur qu'autant que chacun de ces principes, soumis à l'analyse, a été obtenu dans un état de pureté absolu ou dans un état parfaitement défini, s'il n'est pas pur. Et, parce que des principes immédiats peuvent être formés des mêmes éléments, unis en même proportion, et manifester les propriétés les plus différentes, à cause de la diversité de l'arrangement de leurs atomes élémentaires ou même de leurs molécules, il s'ensuit qu'on ne peut prévoir avec certitude les propriétés d'un composé dont on indiqué les éléments et les proportions suivant lesquelles ceux-ci sont unis ensemble.

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On doit à Gay-Lussac et Thenard la méthode aujourd'hui en usage pour déterminer la composition élémentaire des principes immédiats dont les éléments peuvent être l'oxygène, l'azote, le carbone et l'hydrogène. Lorsque les procédés divers compris dans cette méthode sont

exécutés avec soin, ils ont une précision convenable pour établir la composition élémentaire des principes immédiats organiques.

Malheureusement l'analyse organique immédiate n'est point arrivée à ce degré d'exactitude; et, parce que les progrès de l'histoire des corps vivants sont subordonnés à ses progrès mêmes, l'exposition de ce qu'elle a été et de ce qu'elle est a une utilité incontestable pour tous ceux qui sont intéressés à en faire quelque application à la connaissance des corps vivants.

Le projet d'une histoire naturelle des plantes fut conçu peu de temps après la fondation de l'Académie des sciences (1666). Car Dodart publiait, en 1676, sous le titre de Mémoires pour servir à l'histoire des plantes et de Projet de l'histoire des plantes, un volume in-folio, qui était plus qu'un programme des recherches que l'Académie se proposait d'entreprendre, puisque déjà un certain nombre de résultats d'observations et d'expériences s'y trouvaient consignés. Une seconde édition in-12, revue et corrigée, parut en 1679; Dodart donne cet ouvrage, non comme le sien propre, mais comme celui de toute l'Académie. Il cite la part qu'y prirent, en général, Perrault (Claude), Galois et Mariotte, et en particulier du Clos Borel et Bourdelin pour la chimie, enfin Marchand pour la botanique proprement dite. Si on ne jugeait l'ouvrage que d'après les résultats de l'analyse des plantes opérée par la distillation sèche, on manquerait d'équité à l'égard de l'Académie car le livre de Dodart se compose de considérations sur l'étude des plantes, qu'on chercherait vainement dans les écrits contemporains. Ces considérations, remarquables pour la plupart par la justesse et la finesse, honoreront toujours l'Académie, dont les services rendus aux sciences ont été aussi grands que variés. Si nous rappelons que ce livre est antérieur de plusieurs années aux premiers écrits de Stahl, c'est-à-dire, à une époque où rien encore ne ressemblait à un système raisonné d'idées chimiques appuyé sur des expériences quelque peu précises, nous devons mentionner des écrits qui, à des titres divers, résument les éléments scientifiques dont l'organe de l'Académie royale des sciences avait pu profiter. Ces écrits furent publiés par Glauber, de 1648 à 1669, par Robert Boyle de 1660 à 1675. Plusieurs traités recommandent Glauber à la postérité; son livre des Fourneaux philosophiques ou description de l'art de la distillation, fait époque dans l'histoire de la chimie. Parmi la description d'appareils nouveaux, ou qu'on n'avait jamais décrits, on trouve le principe et l'application du chauffage par la circulation de l'eau chaude, ainsi que le principe et l'application des

bains de vapeur à la santé de l'homme1, inventions données de nos jours comme nouvelles. Son livre des prospérités de la Germanie renferme les indications les plus précises des applications de la chimie à l'économie domestique, aux arts et à l'agriculture; il conseille de profiter des années favorables à la maturité du raisin, pour préparer un moût sucré destiné à être ajouté au suc de ces fruits dans les années où ils n'auront pas mûri. Il décrit la carbonisation du bois en vase clos afin de recueillir le produit liquide, qui renferme de l'acide acétique ou vinaigre. Si Glauber, en décrivant ses appareils et ses manipulations, se montre si supérieur aux alchimistes, reconnaissons pourtant que ses théories déduites de leurs idées obscures ne pouvaient avoir aucune influence sur la philosophie de la science et n'avaient pu être d'aucun secours à Dodart. Sous ce dernier rapport, Robert Boyle avait exercé ou pu exercer, du moins, la plus heureuse influence sur la composition du livre publié au nom de l'Académie, non-seulement par ses expériences physico-chimiques, mais surtout encore par son ouvrage du Chimiste sceptique, publié en 1661, sous l'inspiration de la méthode de Bacon et des travaux de Galilée. Le grand mérite du Chimiste sceptique est un exposé d'idées neuves ou de considérations parfaitement justes relatives à la distinction dụ mélange d'avec la combinaison chimique, au nombre des corps simples, à l'impossibilité d'admettre les principes sur lesquels reposent les idées de la nature des corps données comme fondamentales par les alchimistes, à l'influence du feu dans la distillation pour changer l'arrangement des éléments constituant les matières soumises à l'action de cet agent. Si, à cet égard, il a mieux vu que Dodart, cependant Robert Boyle n'a exposé dans aucun écrit un ensemble de vues comparable aux idées nombreuses et variées que Dodart a coordonnées avec l'intention de parvenir à la connaissance des plantes. L'ouvrage de Dodart a été peu lu, et certes, quand il l'a été, longtemps après sa publication, on n'a pas tenu compte de l'état des connaissances de son époque; autrement on l'eût mentionné dans l'histoire de la science, et très-probablement il aurait exercé de l'influence sur les progrès de l'analyse organique, car le Projet de l'histoire des plantes a un caractère philosophique, quant à sa spécialité, qu'on chercherait vainement dans les livres de la même époque traitant des végétaux. Il est impossible d'avoir mieux compris l'esprit des recherches que la connaissance des plantes exige en général, et en particulier au point de vue chimique, que ne l'a fait Dodart. Son livre se compose de cinq chapitres, dont le premier traite de la

1 Journal des Savants, mai 1850, p. 296.

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