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EPISTRE VI.

A M. DE LAMOGNON,

AVOCAT GENERAL.

*

Erzame guya canfpaque eft mon unique azile.
Ui, Lamognon, je fuis les Chagrins de la Ville,
Du Lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ?
C'eft un petit Village, ou plûtoft un Hameau
Bafti fur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'oeil s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine au pie des Monts que fon flot vient laver.
Void du fein de fes eaux vingt Ifles s'élever
Qui partageant fon cours en diverfes manieres
D'une riviere feule, y forment vingt rivieres.
Tous les bords font couverts de faules non plantés,
Et de noyers fouvent du Paffant infultés.
Le Village au deffus forme un amphitheâtre.
L'Habitant ne connoift ni la chaux, ni le plaftre,
Et dans le roc qui cede & fe coupe aifément,
Chacun fçait de fa main creufer fon logements
La maifon du Seigneur feule un peu plus ornée
Se prefente au dehors de murs environnée.
Le Soleil en naiffant la regarde d'abord:
Et le mont la deffend des outrages du Nord.
C'eft là, cher Lamognon, que mon efprit tranquille.
Met à profit les jours que la Parque me file.

Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plaifirs.
Tantoft un livre en main errant dans les préries
J'occupe ma raifon d'utiles refveries.

Tantoft cherchant la fin d'un vers que je conftrui,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fui.
Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce en badinant le poiffon trop avide;

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Ou

Ou d'un plomb qui fuit l'oeil, & part avec l'éclair
Je vais faire la guerre aux habitans de l'air.
Une table au re our propre & non magnifique.
Nous prefente un repas agreable & ruftique.
Là, fans s'affujetir aux dogmes du B ***

Tout ce qu'on boit eft bon,tout ce qu'on mange eft fain. La maifon le fournit, la fermiere l'ordonne,

*

Et mieux que Bergerat l'appetit l'affaifonne.
O fortuné féjour! ô champs aimés des Cieux !
Que pour jamais foulant vos prés delicieux,
Ne puis je ici fixer ma courfe vagabonde,
Et connu de vous feuls oublier tout le monde !
Mais apeine du fein de vos vallons cheris,
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,
Qu'en tous lieux les Chagrins m'attendent au paffage.
Un Coufin abufant d'un facheux parentage.
Veut qu'encor tout poudreux, & fans me débotter
Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.
Il faut voir de ce pas les plus confiderables.
L'un demeure au Marais, & l'autre aux Incurables.
Je reçois vingt avis qui me glacent d'effroi.
Hier, dit-on, de vous on parla chez le Roi,
Et d'attentat horrible on traita la Satire.
Et le Roi, que dit-il ? Le Roi fe prit à rire.
Contre vos derniers vers on eft fort en couroux ?
Р a mis au jour un livre contre vous,
Et chez le Chapelier du coin de nôtre place
A l'entour d'un caftor j'en ay leu la préface.
L'autre jour fur un mot la Cour vous condamna.
Le bruit court qu'avant-hier on vous afsassina.
Un efcrit fcandaleux fous vostre nom fe donne,
D'un pafquin qu'on a fait auLouvre on vous foupçonne,
Moi ? Vous. On nous l'a dit dans le Palais Royal.
Douze ans font écoulés, depuis le jour fatal,
Qu'un Libraire iniprimant les effais de ma plume,
Donna pour mon malheur un trop heureux volume.
Toûjours depuis ce temps en proie aux fots difcours
Contre eux la verité m'eft un foible fecours.

***

Fameux traiteur.

Vient

Vient-il de la Province une fatire fade,
D'un Plaifant du païs infipide boutade?
Pour la faire courir on dit qu'elle eft de moi:
Et le fot Campagnard le croit de bonne foi.
J'ai beau prendre à témoin & la Cour & la Ville.
Non, à d'autres, dit-il, on connoift vostre stile.
Combien de temps ces vers vous ont-ils bien coufté?
Ils ne font point de moi, Monfieur, en verité.
Peut-on m'attribuer ces fottifes étranges ?
Ah! Monfieur, vos mépris vous fervent de louanges.
Ainfi de cent chagrins dans Paris accablé,
Juge, fi toûjours trifte, interrompu, troublé,
Lamognon, j'ai le temps de courtifer les Mufes.
Le monde cependant fe rit de mes excuses,
Croit que pour m'inspirer fur chaque evenement
Apollon doit venir au premier mandement.

Un bruit court que le Roi va tout reduire en poudre,
Et dans Valenciene eft entré comme un foudre;
Que Cambrai des François l'épouvantable écueil
A veu tomber enfiu fes murs & fon orgueil;
Que devant Saint-Omer Naffau par fa défaite
De Philippe vainqueur rend la gloire complete.
Dieu fçait, comme les vers chés vous s'en vont couler!
Dit d'abord un Ami qui veut me cageoler,
Et dans ce temps guerrier, & fecond en Achilles
Croit que l'on fait les vers, comme l'on prend les villes
Mais moi dont le genie eft mort en ce moment,
Je ne fçais que répondre à ce vain compliment,
Et juftement confus de mon peu d'abondance,
Je me fais un chagrin du bon heur de la France.

Qu'heureux eft le Mortel qui du monde ignor
Vit content de foi-mefme en un coin retiré !
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée,
N'a jamais enyvré d'une vaine fumée,

Qui de fa liberté forme tout fon plaifir,

Et

ne rend qu'à lui feul conte de fon loifir. Il n'a point à fouffrir d'affronts ni d'injustices, Et du peuple inconftant il brave les caprices.

Mais nous autres faiseurs de livres & d'écrits,
Sur les bords du Permeffe aux loüanges nouris,
Nous ne fçaurions brifer nos fers, & nos entraves
Du Lecteur dedaigneux honorables efclaves.
Du rang où nôtre efprit une fois s'eft fait voir.
Sans un fâcheux éclat, nous ne fçaurions déchoir.
Le Public enrichi du,tribut de nos veilles
Croit qu'on doit ajoûter merveilles fur merveilles.
Au comble parvenus il veut que nous croiffions:
Il veut en vieilliflant que nous rajeuniffions.
Cependant tout décroift, & moi-mefme à qui l'âge
D'aucune ride encor n'a flestri le vifage,

Déja moins plein de feu, pour animer ma voix,
J'ai besoin du filence & de l'ombre des bois.
Ma Mufe qui fe plaift dans leurs routes perduës.
Ne fçauroit plus marcher fur le pavé des rues.
Ce n'eft que dans ces bois propres à m'exciter,
Qu'Apollon quelquefois daigne encor m'écouter.
Ne demande donc plus, par quelle humeur fauvage,
Tout l'Efté loin de toi demeurant au village
J'y paffe obstinément les ardeurs du Lion,
Et montre pour Paris fi peu de pallion.
C'eft à toi, Lamognon, que le rang, la naiffance,
Le merite éclatant, & la haute éloquence
Appelent dans Paris aux fublimes emplois,
Qu'il fied bien d'y veiller pour le maintien des lois.
Tu dois là tous tes foins au bien de ta patrie.
Tu ne t'en peux bannir que l'Orphelin ne crie,
Que l'Oppreffeur ne montre un front audacieux,
Et Thémis pour voir clair á befoin de tes yeux.
Mais pour moi de Paris citoyen inhabile,
Qui ne lui puis fournir qu'un refveur inutile,
Il me faut du repos, des prés, & des forests.
Laiffe-moi donc ici, fous leurs ombrages frais,
Attendre que Septembre ait ramené l'Automne,
Et que Cerés contente ait fait place à Pomone.
Quand Bacchus comblera de fes nouveaux bienfaits
Le Vendangeur ravi de ployer fous le faix,
E

Aufli

Auffi-toft ton Ami redoutant moins la ville.
T'ira joindre à Paris, pour s'enfuir à Baville.
Là, dans le feul loifir que Thémis t'a laiffé,
Tu me verras fouvent à te fuivre empreffé,
Pour monter à cheval rappelant mon audaçe,
Apprenti Cavalier galoper fur ta trace.
Tantoft fur l'herbe affis au pié de ces côteaux,
Où Polycrene* épand ses liberales eaux,
Lamognon, nous irons libres d'inquietude
Difcourir des vertus dont tu fais ton eftude:
Chercher quels font les biens veritables & faux:
Si l'honnefte homme en foi doit fouffrir des de faux:
Quel chemin le plus droit à la gloire nous guide ?
Ou la vafte science, ou la vertu folide.
C'est ainsi que chés Toitu fçauras m'attacher.
Heureux ! files Fâcheux pronts à nous y chercher
N'y viennent point femer l'ennuieufe trifteffe.

Car dans ce grand concours d'hommes de toute efpece,
Que fans ceffe à Baville attire le devoir;

Au lieu de quatre Amis qu'on attendoit le foir,
Quelquefois de Fâcheux arrivent trois volées
Qui du parc à l'inftant affiegent les allées.
Alors fauve qui peut, & quatre fois heureux !
Qui fçait pour s'échapper quelque autre ignoré d'eux.

*Fontaine à une demi-lieu de Baville ainfi nommée par feù MonSeigneur le premier Prefident de Lamognen.

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