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Esprit né pour la cour, & maistre en l'art de plaire,

GUILLERAGUES, qui fçais & parler & te taire,
Appren-moi, fi je dois ou me taire ou parler.
Faut-il dans la Satire encor me fignaler,

Et dans ce champ fecond en plaifantes malices,
Faire encore aux Auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non fans tumulte, on m'y vit éclater:
Quand mon efprit plus jeune & prompt à s'irriter,
Afpiroit moins au nom de difcret & de fage:
Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon vifage..
Maintenant que le temps a meuri mes defirs,
Que mon âge amoureux de plus fages plaifirs
Bien-toft s'en va frapper à fon neuviéme luftre,*
J'aime mieux mon repos qu'un embarras illuftre..
Que d'une égale ardeur mille Auteurs animés
Aiguifent contre moi leurs traits envenimez:
Que tout jufqu'à Pinchefne & m'infulte & m'accable ;;
Aujourd'hui vieux Lion je fuis doux & traitable:
Je n'arme point contre eux mes ongles émouflés.
Ainfi que mes beaux jours, mes chagrins font paffés..
Je ne fens plus l'aigreur de ma bile premiere,
Et laiffe aux froids Rimeurs une libre carriere.
Ainfi donc Philofophe à la raifon foûmis,
Mes defaux deformais, font mes feuls ennemis.
C'eft l'erreur que je fuis: c'eft la vertu que j'aime.
Je fonge à me connoiftre, & me cherche en moi-même.
C'eft la l'unique eftude où je veux m'attacher.

Que, l'aftrolabe en main, un autre aille chercher
Si le Soleil eft fixe, ou tourne fur fon axe :
Si Saturne à nos yeux peut faire un Paralaxe:

A la quarante & uniéme annés.

Que

Que Rohaut vainement feche pour concevoir,
Comment tout eftant plein, tout a pû se mouvoir :
Ou que Bernier compofe & le fec & l'humide
Des corps ronds & crochus errans parmi le vuide.
Pour moi fur cette mer, qu'ici bas nous courons,
Je fonge à me pourvoir d'efquif & d'avirons,
A regler mes defirs, à prevenir l'orage,
Et fauver, s'il fe peut, ma raifon du naufrage.
C'eft au repos d'efprit que nous afpirons tous:
Mais ce repos heureux fe doit chercher en nous.
Un Fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne,
Et malade à la ville, ainfi qu'à la campagne,

En vain monte à cheval, pour tromper fon ennui,
Le chagrin monte en croupe & galope avec lui,
Que crois-tu qu'Alexandre, en ravageant la terre,
Cherche parmi l'horreur, le tumulte & la guerre ?
Poffedé d'un ennui, qu'il ne fçauroit domter,
Il craint d'eftre à foi-même, & fonge à s'éviter.
C'eft là ce qui l'emporte aux lieux où naift l'Aurore,
Où le Perfe eft brûlé de l'aftre qu'il adore.

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De nos propres malheurs Auteurs infortunés,
Nous fommes loin de nous à toute heure entraînés.
A quoi bon ravir l'or au fein du nouveau monde ?
Le bonheur tant cherché fur la terre & fur l'onde
Eft ici, comme aux lieux où meurit le coco
Et fe trouve à Paris, de même qu'à Cufco."
On ne le tire point des veines du Potose. *
Qui vit content de rien, poffede toute chofe.
Mais fans ceffe ignorans de nos propres befoins
Nous demandons au ciel ce qu'il nous faut le moins.
O! que fi cet hyver, un rhûme falutaire
Gueriffant de tous maux mon avare Beaupere
Pouvoit bien confeffé l'eftendre en un cercueil,
Et remplir fa maifon d'un agreable deuil :
Que mon ame en ce jour de joye & d'opulence,
D'un fuperbe convoi plaindroit peu la dépense!

Capit, du Perou.

*Montagnes ou font les mines d'argent.

Difoit, le mois paffé, doux, honnefte & foumis
L'Heritier affamé de ce riche Commis,
Qui, pour lui preparer cette douce journée,
Tourmenta quarante ans fa vie infortunée.
La mort vient de faifir le vieillard Catherreux.
Voilà fon Gendre riche. En eft-il plus heureux ?
Tout fier du faux éclat de fa vaine richeffe,
Déja nouveau Seigneur il vante fa noblefle.
Quoi que fils de Mufnier, encor blanc du moulin,
Il eft preft à fournir ses titres en vélin.

En mille vains projets à toute heure il s'égare.
Le voilà fou, fuperbe, impertinent, bizarre,
Refveur, fombre, inquiet, à foi-mefme ennuieux.
Il vivroit plus content, fi, comme fes Ayeux,
Dans un habit conforme à fa vraye origine,
Sur le mulet encore il chargeoit la farine.

Mais ce difcours n'eft pas pour le peuple ignorant,
Que le fafte éblouït d'un bonheur apparent.
L'argent, l'argent, dit-on, Sans lui tout eft fterile.
La vertu fans Pargent n'eft qu'un meuble inutile.
L'argent en honnefte homme érige un fcelerat.
L'argent feul au Palais peut faire un Magiftrat.
Qu'importe, qu'en tous lieux on me traite d'infame,
Dit ce Fourbe fans foi, fans honneur & fans ame?
Dans mon coffre tout plein de rares qualités,
J'ai cent mille vertus en louis bien comtés.
Eft-il quelque talent que l'argent ne me donne ?
C'eft ainfi qu'en fon cœur ce Financier raisonne.
Mais pour moi, que l'éclat ne fçauroit decevoir,
Qui mets au rang des biens, l'efprit & le fçavoir,
J'eftime autant Patru, mefmes dans l'indigence,
Qu'un Commis engraiflé des malheurs de la France.
Non que je fois du gouft de ce Sage* infenfé,
Qui d'un argent commode efclave embarraffé,
Jetta tout dans la mer, pour crier : Je fuis libre.
De la droite raifon, je fens mieux l'équilibre:
Mais je tiens qu'ici-bas, fans faire tant d'apprefts,
La vertu fe contente, & vit à peu de frais.

Crates Philofophe Cynique.

Pour

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Pourquoi donc s'égarer en des projets fi vagues?
Ce que j'avance ici, croi moi, cher Guilleragues,
Ton Amidés l'enfance ainfi l'a pratiqué.
Mon Pere foixante aus au travail appliqué
En mourant me laiffa pour rouler & pour vivre,
Un revenu leger, & fon exemple à fuivre.

Mais bien-toft amoureux d'un plus noble métier,
Fils, frere, oncle, coufin, beau-frere de Greffier,
Pouvant charger mon bras d'une utile liaffe,
J'allai loin du Palais errer fur le Parnaffe.
La Famille en paflit & vit en fremiflant
Dans la poudre du Greffe un Poëte naiffant :.
On vid avec horreur une Mufe effrenée
Dormir chez un Greffier la graffe matinée.
Deflors à la richeffe il falut renoncer.
Ne pouvant l'acquerir, j'appris à m'en paffer:
Et fur tout redoutant la baffe fervitude,
La libre verité fut mon unique eftude.
Dans ce métier funefte à qui veut s'enrichir,
Qui l'euft creu que pour moi le fort dûst se fléchir.
Mais du plus grand des Rois la Bonté fans limite;
Toujours prefte à courir au devant du merite,
Creut voir dans ma franchise un merite inconnu,
Et d'abord de fes dons enfla mon revenu..
La Brigue ni l'Envie à mon bonheur contraires,
Ni les cris douloureux de mes vains Adversaires,
Ne purent, dans leur courfe arrefter fes bienfaits.
C'en eft trop: mon bonheur a paffé mes souhaits.
Qu'à fon gré deformais la Fortune me jouë,
On me verra dormir au branle de fa rouë.
Si quelque foin encore agite mon repos,
C'eft l'ardeur de louer un fi fameux Heros.
Ce foin ambitieux me tirant par l'oreille,
La nuit, lors que je dors, en furfaut me réveillé ;
Me dit: que ces bienfaits, dont j'ose me vanter,
Par des vers immortels ont deu fe meriter.
C'eft là le feul chagrin qui trouble encor mon ame.
Mais fi, dans le beau feu du zele qui m'enflamme,

Par

Par un ouvrage enfin des Critiques vainqueur,
Je puis, fur ce fujet, fatisfaire mon cœur ;
Guilleragues, plain toi de mon humeur legere:
Si jamais entraîné d'une ardeur eftrangere,
Ou d'un vil intereft reconnoiffant la loi,

Je cherche mon bonheur autre part que chez moi.

SA

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