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EPISTRE

A U RO. I.

IV..

E Vingtipis de la Holande a tenté la conqueste

N vain pour te loüer, ma Muse toûjours prefte,..

Ce païs, où cent murs n'ont pû te refifter,

GRAND ROI, n'eft pas en vers fi facile à domter ::
Des Villes que tu prens les noms durs & barbares
N'offrent de toutes parts que fyllables bizarres..
Pour trouver un beau mot, il faut depuis l'Iffel,
Sans pouvoir s'arrefter, courir jufqu'au Teffel.
Oui par tout de fon nom chaque place munie,
Tient bon contre le vers, en détruit l'harmonie.
Et qui peut fans fremir aborder Woerden?
Quel vers ne tomberoit au feul nom de Heusden ?
Quelle Mufe à rimer en tous lieux difpofée
Oferoit approcher des bords du Zuiderzée ?
Comment en vers heureux affieger Doësbourg,
Zutphen, Waheninghen, Harderviick, Knotzenbourg?
Il n'eft fort entre ceux que tu prens par centaines,
Qui ne puiffe arrefter un Rimeur fix femaines:
Et par tout fur le Whal, ainfi que fur le Leck,
Levers eft en deroute, & le Poëte à sec..

Encor fi tes exploits moins grands & moins rapides -
Laiffoient prendre courage a nos Mufes timides;
Peut-eftre avec le temps, à force d'y refver,

Par quelque coup de l'art nous pourrions nous fauvers
Mais dés qu'on veut tenter cette vafte carriere;
Pegaze s'effarouche & recule en arriere;
Mon Apollon s'eftonne, & Nimegue eft à toi,
Que ma Mufe eft eucore au camp devant Orfoi.
Aujourd'hui toutefois mon zele m'encourage;
Il faut au moins du Rhin tenter l'heureux paffage.
Le malheur fera grand, fi nous nous y noyons.
Mufes pour le tracer, cherchez tous vos crayons:

Car,

Car, puifqu'en cet exploit tout paroift incroiable
Que la verité pure y reffemble à la fable,.
De tous vos ornemens vous pouvez l'égayer.
Venez donc, & fur tout gardez bien d'ennuier.
Vous fçavez des grands vers les difgraces tragiques.
Et fouvent on ennuie en termes magnifiques.

Au pied du mont Adule * entre mille rofeaux,-
Le Rhin tranquille, & fier du progrez de ses eauxz
Appuié d'une main fur fon urne penchante,
Dormoit au bruit flateur de fon onde naiffante..
Lors qu'un cri tout à coup fuivi de mille cris,
Vient d'un calme frdoux retirer fes efprits.
Il fe trouble, il regarde, & par tout für festivess
Il voit fuir à grands pas fes Naïades craintives,
Qui toutes accourrant vers leur humide Roi,.
Par un recit affreux redoublent fon effroi.
Il apprend qu'un Heros conduit par la victoire, -
A de fes bords fameux fleftri l'antique gloire.
Que Rymberg & Vezel terraffez en deux jours
D'un joug déja prochain menacent tout fon cours..
Nous l'avons veu, dit l'une, affronter la tempefte
De cent foudres d'airain tournez contrefa tefte..
Il marche vers Tolhus: & tes flots en couroux
Au prix de fa fureur font tranquilles & doux...
Il a de Jupiter la taille & le vifage:-

*

Et depuis ce Romain, dont l'infolent paffage
Sur un pont en deux jours trompa tous tes effors,
Jamais rien de fi grand n'a paru fur tes bords.

Le Rhin tremble & fremit, à ces triftes nouvelles ; Le feu fort à travers fes humides prunelles. C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois Ait appris à couler fous de nouvelles loix:~ Er de mille rempars mon onde environnée De ces Fleuves fans nom fuivra la deftinée. Ah! periffent mes eaux : ou par d'illuftres coups, Montrons qui doit ceder des Mortels ou de nous,

D 7

“Montagne d'où le Rhin prend safource.

* Iules Cefax.

A ces

A ces mots effuyant fa barbe limoneuse,
Il prend d'un vieux Guerrier la figure poudreufe.
Son front cicatrifé rend fon air furieux,
Et l'ardeur du combat eftincele en fes yeux.
En ce moment il part, & couvert d'une nuë
Du fameux Fort de Skenq prend la route connue.
Là contemplant fon cours ; il void de toutes parts
Ses pafles défenfeurs par la frayeur épars.

Il void cent bataillons, qui loin de fe défendre,
Attendent fur des Murs l'ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde, & renforçant fa voix;
Grands arbitres, dit-il, des querelles des Rois,
Eft-ce ainfi que vostre ame aux perils aguerrie
Soûtient fur ces remparts l'honneur de la patrie?
Voftre ennemi fuperbe en cet inftant fameux
Du Rhir prés de Tolhus fend les flots écumeux.
Du moins en vous montrant fur la rive opposée,
N'oferiez-vous saisir une victoire aifée ?
Allez, vils Combattans, inutiles Soldats,
Laiffez-là ces moufquets trop pefans pour vos bras:
Et la faux à la main, parmi vos marefcages,
Allez couper vos joncs, & preffer vos laictages.
Ou, gardant les feuls bords qui vous peuvent couvrir
Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir.

Ce difcours d'un Guerrier que la colere enflâme
Reffufcite l'honneur déja mort en leur ame:
Et leurs cœurs s'allumant d'un refte de chaleur,
La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ils marchent droit au fleuve, où LOUIS en perfonne

Déja preft à paffer, inftruit, difpofe, ordonne.

Par fon ordre Grammont le premier dans les flots

S'avance, foûtenu des regards du Heros.

Son courfier écumant fous fon Maître intrepide,
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le fuit de prés: fous ce chef redouté
Marche des Cuiraffiers Pescadron indomté.

*Monfieur le Comte de Guiche. ~

Mais déja devant eux une chaleur guerriere
Emporte loin du bord le bouillant l'Efdiguiere*
Vivonne, Nantoüillet, & Coëflin, & Salart:
Chacun d'eux au peril veut la premiere part.
Vendofme que foûtient l'orgueil de fa naiffance,
Au même inftant dans l'onde impatient s'élance.
La Salle, Beringhen, Nogent, Dambre, Ca vois,
Fendent les flots tremblans fous un fi noble poids.
LOUIS les animant du feu de fon courage,
Se plaint de fa grandeur qui l'attache au rivage.
Par fes foins cependant, trente legers vaisseaux
D'un trenchant aviron déja coupent les eaux.
Cent Guerriers s'y jettant fignalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un ceil qui porte la menace.
Il s'avance en couroux. Le plomb vole à l'inftant,
Et pleut de toutes parts fur l'efcadrons flottant.
Du falpeftre en fureur l'air s'échauffe & s'allume;
Et des corps redoublez tout le rivage fume.
Déja du plomb mortel plus d'un Brave eft atteint.
Sous les fougueux Courfiers l'onde écume & fe plaint.
De tant de coups affreux la tempefte orageufe
Tient un temps fur les eaux la Fortune douteuse.
Mais LOUIS d'un regard fçait bien-toft la fixer.
Le Deftin à fes yeux n'oferoit balancer.

Bien-toft avec Grammont courent Mars & Bellonne,
Le Rhin à leur afpect d'épouvante friffonne,
Quand pour nouvelle alarme à fes efprits glacez,
Un bruit s'épand qu'Enguien & Condé font paffez:
Condé dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons & gagne les barailles :
Enguien de fon hymen le feul & digne fruit,
Par lui dés fon enfance à la victoire inftruit.
L'Ennemi renversé fuit & gagne la plaine.
Le Dieu lui-même cede au torrent qui l'entraîne,
Et feul, defefperé, pleurant fes vains efforts
Abandonne à LOUIS la victoire & fes bords.

Monfieur le Comte de Saux.

Du

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Du Fleuve ainfi domté la déroute éclatante

A Wurts jufqu'en fon camp va porter l'épouvante:
Wurts l'efpoir du païs, & l'appui de fes murs,
Wurts...ah quel nom, GRAND ROI! quel Hector
que ce Wurts:

Sans ce terrible nom mal né pour les oreilles,
Que j'allois à tes yeux eftaller de merveilles:
Bien-toft on eut veu Skeng dans mes vers empoté
De fes fameux remparts démentir la fierté.
Bien-toft.... mais Wurts s'oppofe à l'ardeur qui m'a-
nime.

Finiffons, il eft temps: auffi-bien fi la rime
Alloit mal-à-propos m'engager dans Arnheim;
Je ne fçai pour fortir de porte qu'Hildesheim.
O! que le Ciel foigneux de nôtre poëfie,
GRAND ROI, ne nous fit-il plus voifins de l'Afie!
Bien-tolt victorieux de cent peuples altiers,
Tu nous aurois fourni des rimes à milliers.
Il n'eft plaine en ces lieux fi feche & fi fterile,
Qui ne foit en beaux mots par tout riche & fertile.
Là plus d'un Bourg fameux par fon antique nom
Vient offrir à l'oreille un agreable fon.

Quel plaifir de Te fuivre aux rives du Scamandre:
D'y trouver d'Ilion la poëtique cendre:
De juger, fi les Grecs qui briferent fes tours,
Firent plus en dix ans que LOUIS en dix jours.
Mais pourquoi fans raifon defefperer ma veine?
Eft-il dans l'Univers de plage fi lointaine,
Où ta valeur, GRAND ROI, ne te puiffe porter,
Et ne m'offre bien-toft des exploits à chanter?
Non, non ne faifons plus de plaintes inutiles:
Puis qu'ainfi dans deux mois Tu prens quarante Villes;
Affuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t'atten dans deux ans au bords de l'Hellefpont.

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