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Que répondrois-je alors? Honteux & rebutté
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et de mes triftes vers admirateur unique,
Plaindre en les relifant l'ignorance publique.
Quelque orgueil en fecret dont s'aveugle un Auteur,
Il eft fâcheux, GRAND ROI, de fe voir fans Lecteur:
Et d'aller du recit de ta gloire immortelle,
Habiller chez Francœur le fucre & la canele.
Ainfi craigiant toûjours un funefte accident,
J'imite de Conrart le filence prudent:

Je laiffe aux plus hardis l'honneur de la cariére,
Et regarde le champ, affis fur la bariere.

Malgré moi toutefois, un mouvement secret
Vient flater mon efprit qui fe taist à regret,
Quoi ? dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon Roi fpectateur inutile,
Faudra-t-il fur fa gloire attendre à m'exercer,
Que ma tremblante voix commence à fe glacer ?
Dans un fi beau projet, fi ma Mufe rebelle
N'ofe le fuivre aux champs de l'Ifle & de Bruxelle;
Sans le chercher aux bords de l'Escaut & du Rhein.
La paix l'offre à mes yeux plus calme & plus ferein.
Oui, GRAND RO1, laiffons-là les fieges, les batailles :
Qu'un autre aille en rimant renver fer des murailles :
Et fouvent fur tes pas marchant fans ton aveu
S'aille couvrir de fang, de pouffiere, & de feu,
A quoi bon, d'une Mufe au carnage animée,
Echauffer ta valeur déja trop allumée?
Joüiffons à loifir du fruit de tes bienfaits:
Et ne nous laffons point des douceurs de la Paix.
Pourquoi ces Elephans, ces armes, ce bagage,
Erces vaiffeaux tout prefts à quitter le rivage?
Difoit au Roi Pyrrhus, un fage Confident,
Confeiller tres-fenfé d'un Roi tres-imprudent.
Je vais, lui dit ce Prince, à Rome où l'on m'appelle.
Quoi faire? L'affieger. L'entreprise eft fort belle.
Et digne feulement d'Alexandre ou de vous:
Mais Rome prise enfin, Seigneur, où courons-nous ?
*Fameux Epicier·

Du

Du refte des Latins la conquefte eft facile.
Sans doute on les peut vaincre : eft-ce tout ? La Sicile
Delà nous tend les bras, & bientoft fans effort
Syracufe reçoit nos vaiffeaux dans fon port.

En demeurez-vous-là ? Dés que nous l'aurons prife,
Il ne faut qu'un bon vent & Carthage eft conquife:
Les chemins font ouverts : qui peut nous arrester?
Je vous entens, Seigneur, nous allons tout domter:
Nous allons traverfer les fables de Lybie;
Affervir en paffant l'Egypte, l'Arabie;
Courir delà le Gange en de nouveaux país;
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs;
Et ranger fous nos loix tout ce vafte Hemisphere?
Mais de retour enfin, que pretendez-vous faire ?
Alors cher Cineas victorieux, contens,

Nous pourrons rire à l'aife, & prendre du bon temps,
Hé, Seigneur, dés ce jour fans fortir de l'Epire,
Du matin jufqu'au foir qui vous défend de rire?
Le confeil eftoit fage & facile à goûter:
Pyrrhus vivoit heureux, s'il euft pû l'écouter;
Mais à l'ambition d'oppofer la prudence,
C'eft aux Prelats de Cour prescher la refidence.
Ce n'eft pas que mon cœur d'un travail ennemi
Approuve un Faineant fur le thrône endormi.
Mais quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut eftre Heros fans ravager la terre.

Il eft plus d'une gloire. En vain aux Conquerans
L'erreur parmi les Rois donne les premiers rangs
Entre les grands Heros ce font les plus vulgaires.
Chaque fiecle eft fecond en heureux temeraires.
Chaque climat produit des Favoris de Mars,
La Seine a des Bourbons: le Tibre a des Cefars.
On a veu mille fois des fanges Maotides
Sortir des Conquerans, Gots, Vandales, Gepides.
Mais un Roi vraiment Roi, qui fage en fes projets,
Sçache en un calme heureux maintenir fes Sujets,
Qui du bonheur public ait cimenté fa gloire,
Il faut pour le trouver, courir toute l'Histoire.

La terre comte peu de ces Rois bienfaifans.
Le Ciel à les former fe prepare long temps.
Tel fut cet Empereur, fous qui Rome adorée
Vid renaiftre les jours de Saturne & de Rhée :
Qui rendit de fon joug l'Univers amoureux :
Qu'on n'alla jamais voir fans revenir heureux :
Qui foûpiroit le foir, fi fa main fortunée
N'avoit par fes bienfaits fignalé la journée.
Le cours ne fut pas long d'un empire fi doux.
Mais où cherchai-je ailleurs ce qu'on trouve chez nous?
GRAND ROI fans recourir aux hiftoires antiques,
Ne t'avons-nous pas vû dans les plaines Belgiques,
Quand l'ennemi vaincu defertant fes remparts,
Au devant de ton joug couroit de toutes parts,
Toi-mefme te borner au fort de ta victoire,
Et chercher dans la Paix une plus jufte gloire?
Ce font là les exploits que tu dois avoüer:

Et c'eft par-là GRAND ROI, que je Te veux loüer.
Affez d'autres fans moi d'un ftile moins timide,
Suivront aux champs de Mars ton courage rapide:
Iront de ta valeur effraier l'Univers,

Et camper devant Dôle au milieu des hyvers.
Pour moi loin des combats fur un ton moins terrible,
Je dirai les exploits de ton regne paifible.

Je peindrai les plaifirs en foule renaissans :

Les Oppreffeurs du Peuple à leur tour gemiffans.
On verra par quels foins ta fage prevoiance
Au fort de la famine entretint l'abondance.
On verra les abus par ta main reformés ;
La licence & l'orgueil en tous lieux reprimés:
Du débris des Traitans ton épargne groffie:
Des fubfides affreux la rigueur adoucie:
Le Soldat dans la Paix fage & laborieux:
Nos Artifans groffiers rendus industrieux;
Et nos voisins fruftrez de ces tributs ferviles,
Que payoit à leur art le luxe de nos villes.
Tantoft je tracerai tes pompeux bastimens,
Du loifir d'un Heros nobles amusemens.

J'en

J'entens déja fremir les deux mers eftonnées,
De voir leurs flots unis au pié des Pyrenées:
Déja de tous coftez la Chicane aux abois
S'enfuit au feul afpect de tes nouvelles lois.
O que ta main par là va fauver de pupilles !
Que de fçavans plaideurs deformais inutiles !
Qui ne fent point l'effet de tes foins genereux ?
L'Univers fous ton regne a-t-il des malheureux?
Eft-il quelque vertu dans les glaces de l'Ourfe,
Ni dans ces lieux brûlez où le jour prend la fource,
Dont la trifte indigence ofe encore approcher,
Et qu'en foule tes dons d'abord n'aillent chercher ?
C'eft par toi qu'on va voir les Mufes enrichies,
De leur longue difette à jamais affranchies.
GRAND ROI, pourfui toûjours, affure leur repos.
Sans elles un Heros n'eft pas long temps Heros:
Bientoft quoi qu'il ait fait, la mort d'une ombre noire
Enveloppe avec lui fon nom & fon hiftoire.

En vain pour s'exemter de l'oubli du cercueil,
Achille mit vingt fois tout Ilion en

deüil.

En vain malgré les vents aux bords de l'Hefperie
Enée enfin porta fes Dieux & fa Patrie,

Sans le fecours des vers, leurs noms tant publiés
Seroient depuis mille ans avec eux oubliés.
Non, à quelques hauts faits que ton destin t'appelle,
Sans le fecours foigneux d'une Mufe fidelle,
Pour t'immortalifer, tu fais de vains efforts.
Apollon te la doit: ouvre lui tes trefors.
En Poëtes fameux rens nos climats fertiles.
Un Augufte aifément peut faire des Virgiles.
Que d'illuftres témoins de ta vafte bonté,
Vont pour toi dépofer à la pofterité !

Pour moi qui fur ton nom, déja brûlant d'écrire
Sens au bout de ma plume expirer la Satire,
Je n'ofe de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois, fi quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-eftre pour ta gloire aura-t-il fon ufage.

ཟླ

Et comme tes exploits étonnant les Lecteurs
Seront à peine creus fur la foi des Auteurs;
Si quelque Elprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour pour les rendre croiables:
B*** qui dans fes vers pleins de fincerité
Jadis à tout fon fiecle á dit la verité;

Qui mit à tout blâmer fon étude & fa gloire,
A pourtant de ce Roy parlé comme l'Hiftore.

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