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Traiter en vos écrits chaque vers d'attentat,
Et d'un mot innocent faire un crime d'Estat.
Vous aurez beau vanter le Roi dans vos ouvrages,
Et de ce Nom facré fanctifier vos pages:
Qui méprife Corin, n'eftime point fon Roi,
Et n'a felon Corin, ni Dieu, ni foi, ni loi.

Mais quoi? répondrez-vous: Cotin nous peut-il auire ?
Et par fes cris enfin que fçauroit-il produire?"
Interdire à mes vers, dout peut-eftre il fait cas,
L'entrée aux penfions, où je ne pretens pas ?
Non pour louer un Roi, que tout l'Univers louë,
Ma langue n'attend point que l'argent la dénouë,
Et fans efperer rien de mes foibles écrits,
L'honneur de le louer m'eft un trop digne prix.
On me verra toûjours fage dans mes caprices,
De ce même pinceau, dont j'ai noirci les vices,
Et peint du nom d'Auteur tant de Sots reveftus,
Lui marquer mon refpect & tracer les vertus.
Je vous croi: mais pourtant on crie, on vous menace.
Je crains peu, direz-vous, les braves du Parnaffe.

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Hé, mon Dieu! craignez tout d'un Auteur en couroux : Qui peut... Quoi je m'entens. Mais encor? Taifez

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LA SATIRE.

uand je donnai la premiere fois mes Satires au Public, je m'eftois bien preparé au tumulte que l'impreffion de mon Livre a excité fur le Parnaffe. Je fçavois que la nation des Poëtes, & fur tout des mauvais Poëtes, eft une nation farouche qui prend feu tres ailément; & que ces Efprits avides de louanges ne digereroient pas facilement une raillerie, quelque douce qu'elle pâft eftre. Auffi oferai-je dire à mon avantage, que j'ai regardé avec des yeux affez Stoiques les libelles diffamatoires qu'on a publiez contre moi. Quelques calomnies dont on ait voulu me noircir; quelques faux bruits qu'on ait femez de ma perfonne; j'ai pardonné fans peine ces petites vengeances, au déplaifir d'un Auteur irrité, qui fe voioit attaqué par l'endroit le plus fenfible. d'un Poëte, je veux dire par fes ouvrages.

Mais j'avoue, que j'ai efté un peu furpris du chagrin bizarre de certains lecteurs, qui au lieu de fe divertir d'une querelle du Parnaffe, dont ils pouvoient estre spectateurs indifferens, ont mieux aimé prendre parti, & s'affliger avec les Ridicules, que de fe réjouir avec les honneftes gens. C'est pour les confoler que j'ai compofé la Satire prece

den

dente, où je pense avoir montré affez clairement, que fans bleffer l'Eftat ni fa confcience, on peut trouver de méchans vers méchans, & s'ennuier de plein droit à la lecture d'un fot Livre. Mais, puifque ces Meffieurs ont parlé de la liberté que je me fuis donnée de nommer, comme d'un attentat inoui & fans exemple, & que des exemples ne fe peuvent pas mettre en rimes; il eft bon d'en dire ici un mot, pour les inftruire d'une chofe qu'eux feuls veulent ignorer, & leur faire voir, qu'en comparaifon de tous mes Confreres les Satiriques j'ai efté un Poéte fort retenu.

Etpour commencer par Lucilius inventeur de La Satire; quelle liberté, ou plûtoft quelle licence, ne s'eft-il point donnée dans les ouvrages ? Ce n'étoit pas feulement des Poëtes & des Aureurs qu'il attaquoit: C'eftoit des gens de la premiere qualité de Rome: c'eftoit des perfonnes Confulaites. Cependant Scipion & Lælius ne jugerent pas ce Poëte, tout déterminé Rieur qu'il eftoit, indigne de leur amitié, & vraifemblablement dansles occafions ils ne lui refuferent pas leurs conseils fur fes écrits non plus qu'a Terence: ils ne s'aviferent point de prendre le parti de Lupus & de Metellus,qu'il avoit jouez dans fes Satires,& ils ne crurent pas lui donner rien du leur, en lui abandonnant tous fes Ridicules de la Republique..

num Lalius, aut qui

Duxit ab opprefsa meritum Carthagine nomen,

Engenio offenfi aut lafo doluere Metello,
Famofifve Lupo cooperta verfibus?

En Effet Lucilius n'épargnoit ni petits ni grands: & fouvent des Nobles & des Patriciens il defcendoit jufqu'à la lie du peuple,

Primores populi arripuit, populumque tributim. On me dira que Lucilius vivoit dans une Republique, où ces fortes de libertez peuvent eftre permiles.Voions donc Horace qui vivoit fous un Empereur dans les commencemens d'une Monar chie, où il eft bien plus dangereux de rire qu'en un autre temps. Qui ne nomme-t-il point dans fes Satires? & Fabius le grand caufeur, & Tigellius le Fantafque, & Nafidienus le ridicule, & Nomenta nus le débauché, & tout ce qui vient au bout de fa plume.On me répondra que ce font des noms fuppofez. O la belle réponse! comme fi ceux qu'ilattaque, n'eftoient pas des gens connus d'ailleurs a comme fi l'on ne fçavoit pas que Fabius eftoitun Chevalier Romain, quiavoit compoféun Livre de Droit,que Tigellius fut en fon temps un Muficien cheri d'Augufte: que Nafidienus Rufus eftoit un ridicule celebre dans Rome: que Caffius Nomentanus eftoit un des plus fameux débauchés de l'Ita lie. Certainement il faut que ceux qui parlent de la forte, n'ayent pas fort leu les Anciens, & ne foient pas fort inftruits des affaires de la Cour d'Augufte. Horace ne fe contente pas d'appeller les gens par leur nom : il a fi peur qu'on ne les mé connoiffe, qu'il a foin de rapporter jufqu'à leur fur

!

nom,

nom, jufqu'au métier qu'ils faifoient, jufqu'aux charges qu'ils avoient exercées. Voiez, par exemple, comme il parle d'Aufidius Lufcus Preteur de Fondi:

Fundos Aufidio Lufco Pratore libenter
Linquimus,infaniridentes pramia Scriba,
Prætextam & latum clavum, &c.

Nous abandonnafmes, dit-il, avec joie, le Bourg de Fondi, dont eftoit Preteur un certain Aufidius Lufcus, mais ce ne fut pas fans avoir bien ri de la folie de ce Preteur, auparavant Commis, qui faifait le Senateur & l'homme de qualité.Peut-on defigner un homme plus precifement, & les circonftances feules ne fuffifoient-elles pas pour le faire reconnoiftre? On me dira peut-eftre, qu'Aufidius eftoit mort alors: Mais Horace parle là d'un voiage fait depuis peu. Et puis comment mes Cenfeurs répondront-ils à cet autre paffage?

Turgidus Alpinus juğulat dum Memnona, dumque Diffingit Rheni luteum caput: bec ego ludo. Pendant, dit Horace, que ce Poëte enfle d' Alpinus égorge Memnon dans fon Poëme, & s'embourbe dans la defcription du Rhin, je me jože en ces Satires. Alpinus vivoit donc du temps qu'Horace fe joüoit en ces Satires; & fi Alpinus en cet endroit, eft un nom fuppofé, l'Auteur du Poëine de Memnon pouvoit-il s'y méconnoiftre? Horace, dira-ton,vivoit fous le regne du plus poli de tous les Em-. pereurs: mais vivons-nous fous un regne moins

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