Page images
PDF
EPUB

$4

Son efprit au hazard aime, évite, pourfuit,
Défait, refait, augmente, ofte, éléve, détruit.
Et voit-on comme lui, les Ours, ni les Pantheres..
S'effraier fottement de leurs propres chimeres,
Plus de douze attroupés craindre le nombre impair,
Ou croire qu'un corbeau les menace dans l'air è
Jamais l'homme, dis-moi, vit-il la Beste folle,
Sacrifier à l'homme, adorer fon idole,

Lui venir, comme au Dieu des faifons & des vents;
Demander à genoux la pluie, ou le beau temps?
Non. Mais cent fois la befte à vû l'homme hypochondre,
Adorer le metal que lui même il fit fondre :

A veu dans un païs les timides mortels

Trembler aux pieds d'un Singe affis fur leurs autels;
Et fur les bords du Nil, les Peuples imbecilles,
L'encenfoir à la main, chercher les Crocodiles:
Mais pourquoi, diras-tu, cet exemple odieux ?
Que peut fervir ici l'Egypte & les faux Dieux ?
Quoi? me prouverez-vous par ce difcours profane,
Que l'homme, qu'un Docteur eft au deffous d'un asne?
Un afne, le jouet de tous les animaux,
Un ftupide animal, fujet à mille maux;
Dont le nom feul en foi comprend une Satire?
Oui d'un afne : & qu'a-t-il qui nous excite à rire ?
Nous nous mocquons de lui, mais s'il pouvoit un jour,
Docteur, fur nos defauts s'exprimer à son tour:
Si, pour nous reformer, le Ciel prudent & fage
De la parole enfin lui permettoit l'ufage:
Qu'il pût dire tout haut, ce qu'il fe dit tout bas,
Ah! Docteur, entre nous que ne diroit-il pas ?-
Et que peut-il penfer, lors que dans une ruë,
Au milieu de Paris il promene fa veüe:
Qu'il void de toutes parts les hommes bigarrez,
Les uns gris, les uns noirs, les autres chamarrez ?
Que dit-il quand il void, avec la mort en trousse,
Courir chez un malade un affaffin en houffe:
Qu'il trouve de Pedans un efcadron fouré,
Suivi par un Recteur de Bedeaux entouré:

[ocr errors]

Ou qu'il voit la Juftice en groffe compagnie,
Mener tuer un homme avec ceremonie.
Que penfe-t-il de nous ? lors que fur le Midi
Un hazard au Palais le conduit un Jeudi;
Lors qu'il entend de loin, d'une gueule infernale
La Chicane en fureur mugir dans la grand'Sale ?
Que dit-il quand il void les Juges, les Huiffiers,
Les Clercs, les Procureurs, les Sergens, les Greffiers ?
O! que fi l'Afne alors, à bon droit mifanthrope,
Pouvoit trouver la voix qu'il eut au temps d'Efope,
De tous coftez, Docteur, voiant les hommes fous.
Qu'il diroit de bon cœur, fans en estre jaloux,
Content de fes chardons, & fecoüant la tefte,
Ma foi, non plus que nous l'homme n'eft qu'une beste.

[ocr errors][merged small]

SATIRE IX.

'Eft à vous, mon Efprit, à qui je veux parler:

CVous avez des défauts que je puis celer.

Affez & trop long-temps ma lâche complaifance
De vos jeux criminels a nourri l'infolence.
Mais puifque vous pouffez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

On croiroit, à vous voir dans vos libres caprices
Difcourir en Caton des vertus & des vices,
Décider du merite & du prix des Auteurs,
Et faire impunément la leçon aux Docteurs,
Qu'eftant feul à couvert des traits de la Satire,
Vous avez tout pouvoir de parler & d'écrire.
Mais moi qui dans le fond fçais bien ce que j'en crois.
Qui conte tous les jours vos defauts par mes doigts ;
Jeris, quand je vous vois fi foible & fi fterile
Prendre fur vous le foin de reformer la ville,
Dans vos difcours chagrins plus aigre & plus mordant
Qu'une femme en furie, ou Gautier en plaidant.
Mais répondez un peu. Quelle verve indifcrete,
Sans l'aveu des neuf Sœurs, vous a rendu Poëte?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violens transports
Qui d'un efprit divin font mouvoir les refforts?
Qui vous a pû fouffler une fi folle audace ?
Phebus a-t-il pour vous applani le Parnaffe?
Et ne fçavez-vous pas, que fur ce Mont facré
Qui ne vole au fommet tombe au plus bas degré.
Et qu'à moins d'être au rang d'Horace ou de Voiture.
On rampe dans la fange avec l'Abbé de P*** ?
Que fi tous mes efforts ne peuvent reprimer
Cet afcendant malin qui vous force à rimer,'
Sans perdre en vains difcours, tout le fruit de vos veilles;
Ofez chanter du Roi les auguftes merveilles:
Là, mettant à profit vos caprices divers,
Vous verriez tous les ans fructifier vos vers;

Et

Et par l'efpoir du gain voftre Muse animée,
Vendroit au poids de l'or une once de fumée,
Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l'éclat d'un fardeau trop pefant à porter.
Tout Chantre ne peut pas, fur le ton d'un Orphée,
Entonner en grand vers, la difcorde étouffée :
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuiant fur les ramparts.
Sur un ton fi hardi fans eftre temeraire,
Racan pourroit chanter au défaut d'un Homere.
Mais pour Cotin & moi, qui rimons au hazard:
Que l'amour de blâmer fit Poëtes par art:
Quoi qu'un tas de Grimauds vante noftre éloquence,
Le plus feur eft pour nous, de garder le filence.
Un Poëme infipide & fortement flateur
Déshonnore à la fois le Heros & l'Auteur:
Enfin de tels projets paffent noftre foibleffe,
Ainfi parle un Efprit languiffant de molleffe,
Qui fous l'humble dehors d'un refpect affecté
Cache le noir venin de fa malignité.

Máis deuffiez-vous en l'air voir vos alles fondues,
Ne valoit-il pas mieux vous perdre dans les nuës,
Que d'aller fans raifon, d'un ftile peu Chrétien,
Faire infulte en rimant à qui ne vous dit rien,
Et du bruit dangereux d'un livre temeraire,
A vos propres perils enrichir le Libraire ?

Vous-vous flattez peut-eftre en voftre vanité: D'aller comme un Horace à l'immortalité: Et déja vous croiez dans vos rimes obfcures. Aux Saumaizes futurs preparer des tortures. Mais combien d'Ecrivains d'abord fi bien receus, Sont de ce fol efpoir honteufement deceus? Combien pour quelques mois, ont vû fleurir leur livre, Dont les vers en paquet fe vendent à la livre? Vous pourrez voir un temps vos écrits estimez, Courir de main en main par la ville femez: Puis delà tout poudreux, ignorez fur la terre, Suivre chez l'épicier Neuf-Germain & la Serre :

C

Ou

Ou de trente feüillets reduits pour eftré à neuf,,
Parer demi rongez les rebords du Pont-neuf.
Le bel honneur pour vous, en voyant vos ouvrages.
Occuper le loifir des Laquais & des Pages,.
Et fouvent dans un coin renvoyez à l'écart;
Servir de fecond tôme aux airs du Savoyard!

Mais je veux que le fort, par un heureux caprice,
Faffe de vos écrits profperer la malice:

Et qu'enfin voftre livre, aille au gré de vos vœux
Faire fifler Cotin chez nos derniers Neveux..
Que vous fert-il qu'un jour l'avenir vous estime,
Si vos vers aujourd'hui vous tiennent lieu de crime,
Et ne produifent rien pour fruits de leurs bons mots,,
Que l'effroi du public, & la haine des fots?

Quel demon vous irrite, & vous porte à médire ?.
Un livre vous déplaift. Qui vous force à le lire ?
Laiffez mourir un Fat dans fon obfcurité..
Un Auteur ne peut-il pourrir en feureté ?~
Le Jonas inconnu feche dans la pouffiere..
Le David imprimé n'a point veu la lumiere..
Le Moïfe commence à moifir par les bords..
Quel mal cela fait-il ? ceux qui font morts font morts,
Le tombeau contre vous ne peut-il les deffendre?
Et qu'ont fait tant d'Auteurs pour remüer leur cendre ?
Que vous ont fait Perrain, Bardin, Mouroy, Bourfaut,
Colletet, Pelletier, Titreville, Kainaut,
(ches,
Dont les noms en cent lieux, placez comme en leurs ni-
Vont de vos vers malins remplir les hemiftiches?
Ce qu'ils font vous ennuie. Ó le plaisant détour!:
Ils ont bien ennuié le Roi, toute la Cour;
Sans que le moindre edit, ait pour punir leur crime,.
Retranché les Auteurs, ou fuprimé la rime..
Efcrive qui voudra: chacun à ce métier

Pour perdre impunément de l'encre & du papier..
Un Roman, fans bleffer les loix ni la coûtume,
Peut conduire un Heros au douzième volume.
Delà vient que Paris voit chez lui de tout temps,
Les Auteurs à grands flots déborder tous les ans ::

Et

« PreviousContinue »