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de la Lyre, font cet effet. Car bien qu'ils ne fignifient rien d'eux-mefmes: Neanmoins par ces changemens de tons qui s'entrechoquent les uns les autres, & par le meflange de leurs accorts, fouvent, comme nous voions, ils caufent à l'ame un tranfport, & un raviffement admirable. Cependant ce ne font que des images & de fimples imitations de la voix, qui ne difent & ne perfuadent rien, n'eftant, s'il faut parler ainfi, que des fons baftards, & non point, comme j'ai dit, des effets de la nature de l'homme. Que ne dirons-nous donc point de la Compofition, qui eft en effet comme l'harmonie du difcours dont l'ufage eft naturel à l'homme, qui ne frappe pas fimplement l'oreille, mais l'efprit: qui remue tout à la fois tant de differentes fortes de noms, de penfées, de chofes, tant de beautez, & d'élegances avec lesquelles noftre ame a comme une espece de liaison & d'affinité: qui par le meflange & la diverfité des fons infinués dans les efprits, infpire à ceux qui écoutent, les paffions mêmes de l'Orateur, & qui baftit fur ce fublime amas de paroles, ce Grand & ce Merveilleux que nous cherchons ? Pouvons-nous, dis-je, nier qu'elle ne contribue beaucoup à la grandeur, à la majefté, à la magnificence du difcours, & à toutes ces autres beautez qu'elle renferme en foi, & qu'ayant un Empire abfolu fur les efprits, elle ne puiffe en tout temps les ravir, & les enlever > Il y auroit de la folie à douter d'une verité fi univerfel

lement

* L'Anteur pour donner ici

Tangement

de Demo

Athene,

entiere

ché à la

je me fuis

lement reconnue, & l'experience en fait foi. *

Au refte il en eft de même des Difcours un exem- que des corps qui doivent ordinairement ple de l'ar- leur principale excellence à l'affemblage, & des paro- à la jufte proportion de leurs membres: De Les, raporte forte même qu'encore qu'un membre fepaun paffage ré de l'autre n'ait rien en forde remarquable, tous enfemble ne laiffent pas de faire un Mais com- corps parfait. Ainfi les parties du Sublime me ce qu'il étant divifées, le Sublime fe diffipe entiereen dit eft ment: au lieu que venant à ne former qu'un ment atta- corps par l'affemblage qu'on en fair, & par cette liaison harmonieufe qui les joint, le Langue feul tour de la Periode leur donne du fon & Grecque de l'emphafe. C'eft pourquoi l'on peut comcontenté de parer le Sublime dans les Periodes à un fele traduire ftin par écot auquel plufieurs ont contribué, dans les Jufques-là qu'on void beaucoup de Poëtes & d'Ecrivains qui n'estant point nés au SuVoyez les blime, n'en ont jamais manqué neanmoins; Remar bien que pour l'ordinaire ils fe ferviffent de façons de parler baffes, communes & fort peu élegantes. En effet ils fe foûtiennent par ce feul arrangement de paroles qui leur enfle & groffit en quelque forte la voix: Si bien qu'on ne remarque point leur baffeffe, Philifte eft de ce nombre. Tel eft auffi Aristophane en quelques endroits, & Euripide en plufieurs, comme nous l'avons déja fuffisamment montré. Ainfi quand Hercule dans cết Auteur aprés avoir tué les enfans dit;

Remar

ques.

ques.

Tant de maux à la fois font entrez dans mon

ame,

Que je n'y puis loger de nouvelles douleurs:

Cet

Cette pensée eft fort triviale. Cependant il la rend noble par le moien de ce tour qui a quelque chofe de mufical & d'harmonieux: Et certainement, pour peu que vous renverfiez l'ordre de fa periode, vous verrez manifeftement combienEuripide eft plus heureux dans l'arrangement de fes paroles, que dans le fens de fes penfées. De même,dans fa Tragedie intitulée Dircé emportée par un Tau

reau.

Il tourne aux environs dans fa route incertaine : Et courant en tous lieux où farage le meine, Traine aprés foi la femme, l'arbre

le ro

cher. Cette pensée eft fort noble à la verité: mais il faut avouer que ce qui luy donne plus de force, c'eft cette harmonie qui n'eft point precipitée, ni emportée comme une maffe pefante: mais dont les paroles fe foûtiennent les unes les autres, & où il y a plufieurs paufes. En effet ces paufes font comme autant de fondemens folides fur lefquels fon difcours s'appuie & s'éleve.

CHAPITRE XXXIII.

De la Mefure des Periodes.

U contraire il n'y a rien qui rabaiffe davantage le Sublime que ces nombres rompus; & qui fe prononcent vifte, tels que font les Pyrriques, les Trochées & les Dichorées qui ne font bons que pour la danfe. En effet toutes ces fortes de piés & de mefures n'ont qu'une certaine mignardise & un

petit agrément qui a toûjours le même tour, & qui n'émeut point l'ame. Ce que j'y trou ye de pire; c'est que comme nous voyons que naturellement ceux à qui l'on chante un air ne s'arreftent point au fens des paroles, & font entraînez par le chant: De même ces paroles mefurées n'inspirent point à l'efprit les paffions qui doivent naiftre du difcours, & impriment fimplement dans l'oreille le mouvement de la cadence.Si bien que comme l'Auditeur prevoit d'ordihaire cette cheute qui doit arriver, il va au devant de celui qui parle, & le previent, marquant comme en une danfe, la cheute avant qu'elle arrive.

C'est encore un vice qui affoiblit beaucoup le difcours, quand les Periodes font arrangées avec trop de foin, ou quand les membres en font trop courts, & ont trop de fyllabes breves, eftant d'ailleurs comme joints & attachez enfemble avec des cloux, aux endroits où ils fe defuniffent. Il n'en faut pas moins dire des periodes qui font trop coupées. Car il n'y a rien qui eftropie davantage le Sublime, que de le vouloir comprendre dans un trop petit efpace. Quand je defens neanmoins de trop couper les periodes, je n'entens pas parler de celles qui ont leur jufte eftendue, mais de celles qui font trop petites, & comme mutilées. En effet de trop couper fon ftile, cela arrefte l'efprit : au lieu que de le divifer en periodes, cela conduit le Lecteur. Mais le contraire en mefme temps apparoift des periodes trop longues, & toutes ces paroles recherchées,

pour

pour alonger mal à propos un difcours, font
mortes & languiffantes.

CHAPITRE XXXIV.

De la baffeffe des Termes.

Ne des chofes encore qui avilit autant

Vle Difcours, c'eft la baffeffe des termes.

::

= Ainfi nous voions dans Herodote une deEfcription de tempefte, qui est divine pour le fens mais il y a meflé des mots extrémement bas; comme quand il dit: La mer commençant à bruire. Le mauvais fon de ce mot bruire fait perdre à sa pensée une partie de ce qu'elle avoit de grand. Le vent, dit-il en un autre endroit, les balotta fort, & ceux qui furent difperfez par la tempefte firent une fin peu agreable. Ce mot balotter eft bas; & l'epithete de peu agreable n'est point propre pour exprimer un accident comme celui-là.

De mefme l'Hiftorien Theopompus a fait une peinture de la defcente du Roy de Perfe dans l'Egypte,qui eft miraculeule d'ailleurs: mais il a tout gafté par la baffeffe des mots qu'il y mefle. Ta-t-il une ville, dit cet Hiftorien, & une nation dans l'Afie qui n'ait envoié des Ambaffadeurs au Roi? Ya-t-il rien de beau & de precieux qui croiffe, ou qui fe fabrique en ces pais, dont on ne lui ait fait des prefens? combien de tapis & de vestes magnifiques, les unes rouges, les autres blanches, & les autres hiftoriées de couleurs? combien de tentes dorées & garnies O

de

Y

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