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vent encore aujourd'hui, & que vraisemblablement ils conferveront toûjours,

Tant qu'on verra les eaux dans les plaines

courir,

*

Et les bois dépouillez au Printemps refleurir. On me dira peut-être qu'un Coloffe qui a quelques defauts n'est pas plus à estimer qu'une petite Statue achevée, comme par exemple, le Soldat de Polyclete. A celaje *Le Dory répons, que dans les ouvrages de l'Art c'eft phore peti- le travail & l'achevement que l'on confide te ftatuë de Tolyclete. re: au lieu que dans les ouvrages de la Nature c'eft le Sublime & le prodigieux. Or, difcourir, c'eft une operation naturelle à l'homme. Ajoûtez que dans une Statue on ne cherche que le rapport & la reffemblance: mais dans le Difcours on veut, comme j'ai dit, le furnaturel & le divin. Toutefois pour ne nous point éloigner de ce que nous avons établi d'abord, comme c'est le devoir de l'Art d'empêcher que l'on ne tombe, & qu'il eft bien difficile qu'une haute élevation à la longue fe foûtienne,& garde toûjours un ton égal, il faut que l'Art vienne au fecours de la Nature: parce qu'en effet c'eft leur parfaite alliance qui fait la fouveraine perfection. Voilà ce que nous avons crû être obligez de dire fur les questions qui fe font prefentées. Nous laiffons pourtant à chacun fon jugement libre & entier.

CHA

CHAPITRE XXXI.

Des Paraboles, des Comparaisons, & des
Hyperboles.

Our retourner à nostre Discours les Pa

Praboles & les Comparaifons approchent fort des Metaphores, & ne different d'elles qu'en un feul point.****

****** Cet endroit eft

l'Auteur

fort defer Telle eft cette Hyperbole, Suppofe que vo- &tueux. ftre efprit foit dans voftre Tefte, & que vous & ce que ne le fouliez pas fous vos talons. C'eft pour- avait dit quoi il faut bien prendre garde jufqu'où tou de ces Fites ces Figures peuvent eltre pouffées : parce gures manqu'affez fouvent, pour vouloir porter trop que tout haut une Hyperbole, on la détruit. C'eft entier. comme une corde d'arc qui pour eftre trop tendue fe relâche; & cela fait quelquefois, un effet tout contraire à celui que nous cherchons.

Ainfi Ifocrate dans fon Panegyrique, par une fotte ambition de ne vouloir rien dire qu'avec emphase, eft tombé, je ne fçai comment, dans une faute de petit Ecolier. Son deffein dans ce Panegyrique, c'eft de faire voir que les Atheniens ont rendu plus de fervices à la Grece, que ceux de Lacedemone : & voici par où il debute. Puifque le Difcours a naturellement la vertu de rendre les chofes grandes, petites; & les petites, grandes: qu'il fait donner les graces de la nouveauté aux chofes les plus vieilles, & qu'il fait paroiftre vieilles celles

qui font nouvellement faites. Eft-ce ainsi, dira quelqu'un ô Ifocrate,que vous allez changer toutes chofes à l'égard des Lacedemopiens & des Atheniens? En faifant de cette forte l'éloge du Difcours, il fait proprement un Exorde pour exhorter fes Auditeurs à ne rien croire de ce qu'il leur va dire.

C'eft pourquoi il faut fuppofer, à l'égard des Hyperboles, ce que nous avons dit pour toutes les Figures en general: que celles-là font les meilleures qui font entierement cachées, & qu'on ne prend point pour des Hyperboles. Pour cela donc, il faut avoir foin que ce foit toûjours la paffion qui les faffe produire au milieu de quelque grande circonftance. Comme, par exemple, l'Hyperbole de Thucydide, à propos des Atheniens qui perirent dans la Sicile. Les Sici liens eftant defcendus en ce lieu, ils y firent un grand carnage de ceux fur tout qui s'eftoient jettez dans le fleuve. L'eau fut en un moment corrompue du fang de ces miferables: & nean moins toute bourbeufe & toute fanglante qu'elle eftoit, ils fe battoient pour en boire. II eft affez peu croiable que des Hommes boivent du fang & de la boue, & fe battent même pour en boire: & toutefois la grandeur de la paffion, au milieu de cette estrange circonftance, ne laiffe pas de donner une apparence de raifon à la chose. Il en eft de même de ce que dit Herodote de ces Lacedemoniens qui combattirent au pas des Thermopyles. Ils fe deffendirent encore quelque temps en ce lieu avec les armes qui leur reftoient, & avec les mains & les dents: juf

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qu'à ce que les Barbares, tirant toujours, les euffent comme enfevelis fous leurs traits. Que dites-vous de cette Hyperbole ? Quelle apdes Hommes fe defendent avec parence que les mains & les dents contre des gens armez, & que tant de perfonnes foient enfevelies fous les traits de leurs Ennemis > Cela ne laiffe pas neanmoins d'avoir de la vrai-femblance: parce que la chofe ne femble pas recherchée pour l'Hyperbole ; mais que l'Hyperbole femble naiftre du fujet même. En effet, pour ne me point départir de ce que j'a j'ai dit, un remede infaillible, pour empêcher que les hardieffes ne choquent; c'eft de ne les emploier que dans la paffion, & aux endroits à peu prés qui femblent les demander. Cela eft fi vrai que dans le Comique on dit des chofes qui font abfurdes d'elles-mêmes, & qui ne laiffent pas toutefois de paffer pour vrai-femblables, à caufe qu'elles émeuvent la paffion, je veux dire, qu'elles excitent à rire. En effet le Rire eft une paffion de l'ame caufée par le plaifir. Tel eft ce trait d'un Poëte Comique: Il possedoit une terre à la campagne qui n'eftoit pas plus grande qu'une Epiftre de Lacedemonien.

Au refte on fe peut fervir de l'Hyperbole auffi bien pour diminuer les chofes,que pour les agrandir: Car l'Exageration eft propre à ces deux differens effets: & le Diafyrme, qui eft une espece d'Hyperbole, n'eft à le bien prendre, que l'exageration d'une chofe baffe & ridicule.

СНА

CHAPITRE XXXII.

De l'Arrangement des Paroles.

DEs cinq Parties qui produifent le

Grand, comme nous avons fuppofé d'abord, il reste encore la cinquiéme à examiner c'est à fçavoir la Compofition & l'Arrangement des paroles. Mais comme nous avons déja donné deux volumes de cette matiere, où nous avons fuffifamment expliqué tout ce qu'une longue fpeculation nous en a pû apprendre: Nous nous contenterons de dire ici ce que nous jugeons abfolument neceffaire à noftre fujet; Comme, par exemple: que l'Harmonie n'eft pas fimplement un agrément que la Nature a mis dans la voix de l'Homme pour perfuader & pour infpirer le plaifir mais que dans les inftrumens même inanimés c'est un moien merveilleux pour élever le courage & pour émouvoir les paffions.

Et de vrai, ne voions-nous pas que le fon des flûtes émeut l'ame de ceux qui l'écoutent & les remplit de fureur, comme s'ils eftoient hors d'eux-mefmes? Que leur imprimant dans l'oreille le mouvement de fa cadence il les contraint de la fuivre, & d'y conformer en quelque forte le mouvement de leur corps. Et non feulement le fon des flûtes, mais prefque tout ce qu'il y a de differens fons au monde, comme par exemple, ceux

de

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