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premiers en pas un de ces Exercices, paffent en tous l'ordinaire & le commun. En effet il a imité Demofthene en tout ce que Demofthene a de beau, excepté pourtant dans la compofition & l'arrangement des paroles.Il joint à cela les douceurs & les graces de Lyfias: il fçait adoucir, où il faut, la rudeffe & la fimplicité du difcours, & ne dit pas toutes les choses d'un mesme air comme Demofthene il excelle à peindre les mœurs: fon. stile a dans fa naïveté une certaine douceur agreable & fleurie. Il y a dans fes Ouvrages un nombre infini de chofes plaifamment dites. Sa maniere de rire & de fe mocquer eft fine, & a quel que chofe de noble. Il a une facilité merveilleuse à manier l'Ironie. Ses railleries ne font point froides ni recherchées me celles de ces faux imitateurs du Stile Attique, mais vives & preffantes. Il eft adroit à éluder les objections qu'on lui fait, & à les rendre ridicules en les amplifiant. Il a beaucoup de plaifant & de comique & eft tout plein de jeux & de certaines pointes d'efprit, qui frappent toujours où il vife. Aurefte il affaifonne toutes ces chofes d'un tour & d'une grace inimitable. Il eft né pour toucher & émouvoir la pitié. Il eft eftendu dans fes narrations fabuleufes. Il a une flexibilité admirable pour les digreffions, il fe deftourne, il reprend haleine où il veut comme on le peut voir dans ces Fables qu'il conte de Latone. Il a fait une Oraifon funebre qui est efcrite avec tant de pompe & d'ornement,

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que je ne fçai fi pas un autre l'a jamais égalé en cela.

Au contraire Demofthene ne s'entend pas fort bien à peindre les moeurs. Il n'eft point eftendu dans fon ftile: Ila quelque chofe de dur, & n'a ni pompe ni oftentation. En un mot il n'a prefque aucune des parties dont nous venons de parler. S'il s'efforce d'eftre plaifant il se rend ridicule, plûtoft qu'il ne fait rire, & s'éloigne d'autant plus du plaifant qu'il tâche d'en approcher. Cependant -par ce qu'à mon avis, toutes ces beautez qui font en foule dans Hyperide, n'ont rien de grand: qu'on y voit, pour ainfi dire, un Orateur toûjours à jeun, & une langueur d'efprit qui n'échauffe, qui ne remue point l'ame, perfonne n'a jamais efté fort tranfporté de la lecture de fes Ouvrages. Au lieu que Demofthene ayant ramassé en foy toutes les qualitez d'un Orateur veritablement né au Sublime, & entierement perfectionné par l'eftude, ce ton de majesté & de grandeur, ces mouvemens animez, cette fertilité, cette adresfe, cette promptitude, &, ce qu'on doit fur tout eftimer en lui, cette force & cette vehemence dont jamais perfonne n'a fceu approcher: Par toutes ces divines qualitez, que je regarde én effet comme autant de rares prefens qu'il avoit receus des Dieux, & qu'il ne m'eft pas permis d'appeller des qualitez humaines, il a effacé tout ce qu'il y a eu d'Orateurs celebres dans tous les fiecles: les laiffant comme abbattus & éblouis › pour ainfi

dire, de fes tonnerres & de fes éclairs. Car dans les parties où il excelle, il est tellement élevé au deffus d'eux, qu'il repare entierement par là celles qui lui manquent. Et certainement, il eft plus aifé d'envifager fixement, & les yeux ouverts, les foudres qui tombent du Ciel, que de n'estre point émû des violentes paffions qui regnent en foule dans fes ouvrages.

CHAPITRE XXIX.

De Platon, & de Lyfias, & de l'excellence de l'esprit humain.

PO

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comme

Our ce qui eft de Platon j'ai dit, il y a bien de la difference. Car il furpaffe Lyfias non feulement par l'excellence, mais auffi par le nombre de fes beautez. Je dis plus, c'eft que Platon n'est pas tant au deffus de Lyfias, par un plus grand nombre de beautez, que Lyfias eft au deffous de Platon par un plus grand nombre de fautes.

Qu'est-ce donc qui a porté ces Esprits divins à méprifer cette exacte & fcrupuleufe délicateffe, pour ne chercher que le Sublime dans leurs Efcrits ? En voici une raifon. C'est que la Nature n'a point regardé l'homme comme un animal de baffe & de vile condition: mais elle lui a donné la vie, & l'a fait venir au monde comme dans une grande affemblée, pour eftre fpectateur de toutes les chofes qui s'y paffent; elle l'a, dis-je, introduit dans cette lice, comme

un courageux Athlete qui ne doit refpirer que la gloire. C'eft pourquoi elle a engendré d'abord en nos ames une paffion invincible, pour tout ce qui nous paroift de plus grand & de plus divin. Auffi voions-nous que le monde entier ne fuffit pas à la vaste eftenduë de l'efprit humain. Nos pensées vont fouvent plus loin que les Cieux, & penetrent au delà de ces bornes qui environnent & qui terminent toutes choses.

Et certainement fi quelqu'un fait un peu de reflexion fur un Homme dont la vie n'ait rien eu dans tout fon cours, que de grand & d'illuftre, il peut connoiftre par là, à quoi nous fommes nez. Ainfi nous n'admirons pas naturellement de petits ruiffeaux, bien que l'eau en foit claire & tranfparente, & utile mefme pour noftre ufage: mais nous fommes veritablement furpris quand nous regardons le Danube, le Nil, le Rhin, & POcean fur tout. Nous ne fommes pas fort eftonnés de voir une petite flamme que nous avons allumée, conferver long-temps falu miere pure mais nous fommes frappés d'admiration quand nous contemplons ces feux qui s'allument quelquefois dans le Ciel, bien que pour l'ordinaire ils s'évanouïffent en naiffant : & nous ne trouvons rien de plus eftonnant dans la nature que ces fournaizes du mont Etna qui quelquefois jerte du profond de fes abyfmes, Pind.Pyth. Des pierres,desrochers, des fleuves de flamme. De tout cela il faut conclure, que ce qui eft utile & mesme necessaire aux Hommes fouvent n'a rien de merveilleux, comme

I.

eftant

Eeftant aifé à acquerir

mais que tout ce

qui eft extraordinaire eft admirable & furprenant.

CHAPITRE XXX.

Que les fautes dans le Sublime se peuvent
excufer.

2

AL'égard donc des grands Orateurs en

qui le Sublime & le Merveilleux fe rencontre joint avec l'Utile & le Neceffaire, il faut avouer, qu'encore que ceux dont nous parlions n'aient point efté exempts de fautes, ils avoient neanmoins quelque chofe de furnaturel & de divin. En effet d'exceller dans toutes les autres parties, cela n'a rien qui paffe la portée de l'Homme: mais le Sublime nous éleve prefque auffi haut que Dieu. Tout ce qu'on gagne à ne point faire de fautes, c'est qu'on ne peut eftre repris : mais le Grand fe fait admirer. Que vous dirai-je enfin un feul de ces beaux traits & de ces pensées fublimes qui font dans les ouvrages de ces excellens Aureurs, peut payer tous leurs defauts. Je dis bien plus;c'eft que fi quelqu'un ramaffoit ensemble toutes les fautes qui font dansHomere,dansDemofthene, dans Platon, & dans tous ces autres celebres Heros, elles ne feroient pas la moindre, ni la milliéme partie des bonnes chofes qu'ils ont dites. C'eft pourquoi l'Envie n'a pas empêché qu'on ne leur ait donné le prix dans tous les fiècles, & perfonne jufqu'ici, n'a efté en eftat de leur enlever ce prix, qu'ils confer

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