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continue-t-il, les Dieux couvrirent toutes des parties de chair qui leur fert comme de ões rempart & de défense contre les injures du sband & du froid, & contre tous les autrès accidens. Et elle eft, ajoûte-t-il, comme une laine molle & ramaffée qui entoure doucement le corps. Il dit que le Sang eft la pafture de la chair. Et afin, pourfuit-il, que toutes les parties puffent recevoir l'aliment; ils y ont creufé, comme dans un Jardin plufieurs ca naux, afin que les ruiffeaux des veines fortant du cœur, comme de leur fource, pûffent couler dans ces eftroits conduits du corps humain. Au refte quand la mort arrive, il dit', que les organes fe dénouent comme les cordages d'un vaiffean. & qu'ils laiffent aller l'ame enliberte. Il y en a encore une infinité d'autres enfuite, de la mefme force: mais ce que nous avons dit fuffit pour faire voir, com bien toutes ces Figures font fublimes d'ellesmefmes: combien, dis-je, les Metaphores fervent au Grand, & de quel ufage elles peuvent eftre dans les endroits pathetiques, & dans les descriptions.

Or que ces Figures, ainfi que toutes les autres clegances du difcours, portent toûjours les chofes dans l'excés ; c'eft ce que l'on remarque affez fans que je le dife. Et c'eft pourquoi Platon mefme n'a pas efté peu blafmé, de ce que fouvent, comme par une fureur de difcours, il fe laiffe emporrer à des Metaphores dures & exceffives, & à une vaine pompe allegorique. On ne concevra pas aifement, dit-il en un endroit, qu'il en doit eftre de mefme d'une ville comme

Lun

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d'un vafe, où le vin qu'on verfe, & qui eft d'abord bouillant & furieux, tout d'un coup entrant en focieté avec une autre Divinité fobre qui le chaftie, devient doux & bon à boire. D'appeller l'eau une Divinité fobre, & de fe fervir du terme de chaftier pour temperer: En un mot de s'eftudier fi fort à ces petites fineffes, cela fent, difent-ils, fon Poëte qui n'eft pas lui-mefme trop fobre. Et c'eft peut-eftre ce qui a donné fujet à Cecilius de decider fi hardiment dans fes Commentaires fur Lyfias: que Lyfias valoit mieux en tout que Platon, pouffé par deux fentimens auffi peu raifonnables l'un que l'autre. Car bien qu'il aimaft Lyfias plus que foy-mefme, il haïffoit encore plus Platon qu'il n'aimoit Lyfias: fi bien que porté de ces deux mouvemens, & par un efprit de contradiction, il a avancé plufieurs choses de ces deux Auteurs, qui ne font pas des decifions fi fouveraines qu'il s'imagine. De fait accufant Platon d'eftre tombé en plufieurs endroits, il parle de l'autre comme d'un Auteur achevé, & qui n'a point de défauts: ce qui bien loin d'eftre vrai, n'a pas mefme une ombre de vrai-femblance. Et en effet où trouverons-nous un Efcrivain qui ne peche jamais, & où il n'y ait rien à reprendre.

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CHAPITRE XXVII.

Si l'on doit préferer le Mediocre parfait au Sublime qui a quelques défauts.

Eut-eftre ne fera-t-il pas hors de propos d'examiner ici cette queftion en general, fçavoir lequel vaut mieux, foit dans la Profe, foit dans la Poëfie, d'un Sublime quia quelques defauts, ou d'une Mediocrité parfaite & faine en toutes fes parties, qui ne tombe & nefe dement point: & enfuite lequel, à juger équitablement des chofes, doit emporter le prix de deux Ouvrages, dont l'un a un plus grand nombre de beautez, mais l'autre va plus au Grand & au Sublime. Car ces questions eftant naturelles à noftre Sujet, il faut neceffairement les refoudre. Preinierement donc je tiens pour moi qu'une Grandeur au deffus de l'ordinaire, n'a point naturellement la pureté du mediocre. En effet dans un difcours fi poli & fi limé, il faut craindre la baffeffe: & il en eft de mefme du Subli me que d'une richeffe immenfe, où l'on ne peut pas prendre garde à tout de fi prés, & où il faut, malgré qu'on en ait, negliger quelque chofe. Au contraire il eft prefque impoffible, pour l'ordinaire, qu'un efprit bas & mediocre faffe des fautes: Car comme il ne fe hazarde & ne s'éleve jamais, il demeure toûjours en feureté, au lieu que le Grand de foi-mesme, & par fa propre grandeur, eft gliffant & dangereux. Je n'i

gnore

gnore pas pourtant ce qu'on me peut objecter d'ailleurs, que naturellement nous jugeons des ouvrages des Hommes par ce qu'ils ont de pire, & que le fouvenir des fautes qu'on y remarque, dure toûjours, & ne s'efface jamais: au lieu que ce qui eft beau paffe vifte, & s'écoule bien-toft de -noftre efprit. Mais bien que j'aye remarqué plufieurs fautes dans Homere, & dans tous les plus celebres Auteurs, & que je fois peut-eftre l'homme du monde à qui elles plaifent le moins; j'eftime aprés tout que ce font des fautes dont ils ne fe font pas fouciez, & qu'on ne peut appeller proprement fautes, mais qu'on doit fimplement regarder comme des méprifes & de petites negligences qui leur font échappées : parce que leur efprit qui ne s'eftudioit qu'au Grand, ne pouvoit pas s'arreiter aux petites chofes. En un mot, je maintiens que le Sublime, bien qu'il ne fe foûtienne pas également par tout, quand ce ne feroit qu'à caufe de fa grandeur, l'emporte fur tout le refte. Qu'ainfi ne foit, Apollonius, celui quia compofé le Poeme des Argonautes, ne tombe jamais, & dans Theocrite, ofté quelques endroits, où il fort un peu du caractere de l'Eglogue, il n'y a rien qui ne foit heureusement imaginé. Cependant aimeriez-vous mieux eftre Apollonius ou Theocrite, qu'Homere? L'Erigone d'Eratofthene est un Poëme où il n'y a rien à reprendre. Direz-vous pour cela qu'Eratofthene eft plus grand Poëte qu'Archiloque, qui fe brouille à la verité, & manque d'or

dre & d'oeconomie en plufieurs endroits de fes efcrits: mais qui ne tombe dans ce defaut qu'à caufe de cet efprit divin, dont il est entraîné, & qu'il ne fçauroit regler comme il veut ? Et mefme pour le Lyrique, choifiriez-vous plutoft d'eftre Bacchylide, que Pindare? ou pour la Tragedie, Ion ce Poete de Chio, que Sophocle? En effet ceux-là ne font jamais de faux pas, & n'ont rien qui ne foit écrit avec beaucoup d'élegance & d'agrément. Il n'en eft pas ainfi de Pindare & de Sophocle: car au milieu de leur plus grande violence, durant qu'ils tonnent & foudroient, pour ainfi dire, fouvent leur ardeur vient mal à propos à s'éteindre, & ils tombent malheureufement. Et toutefois y a-t-il un Homme de bon fens qui daignast comparer tous les ouvrages d'Ion enfemble au feul Oedipe de Sophocle?

CHAPITRE XXVII.

Comparaison d'Hyperide & de De-
mofthene.

Ue fi au refte l'on doit juger du merite d'un ouvrage par le nombre plutoft que par la qualité & l'excellence de fes beautez; il s'enfuivra qu'Hyperide doit eftre entierement préferé à Demofthene. En effet, outre qu'il eft plus harmonieux, il a bien plus de parties d'Orateur, qu'il poffede prefque toutes en un degré éminent, femblable à ces Athletes qui reuffiffent aux cinq fortes d'Exercices, & qui n'eftant les

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