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qu'on ne la refpande pas par tout fans choix & fans mefure. Car aufli-toft elle languit, & a je ne fçai quoi de niais & de groffier. Et c'eft pourquoi Platon qui eft toûjours figuré dans fes expreffions, & quelquefois mefme un peu mal à propos, au jugement de quelques-uns, a efté raillé pour avoir dit dans fa Republique; Il ne faut point fouffrir que les richeffes d'or & d'argent prennent pié, ni habitent dans une Ville. S'il euft voulu pourfuivent-ils, introduire la poffeffion du beftail; affurement qu'il auroit dit par la mefme raison, les richeffes de bœufs & de

moutons.

Mais ce que nous avons dit en general fuffit pour faire voir l'ufage des Figures, à l'égard du Grand & du Sublime. Car il eft certain qu'elles rendent toutes le Difcours plus animé & plus Pathetique : or le Pathetique participe du Sublime, aurant que le Sublime participe du Beau & de l'Agreable.

CHAPITRE XXV.

Du Choix des Mots.

PUifque la Penfée & la Phrase s'expliquent ordinairement l'une par l'autre : Voions. fi nous n'avons point encore quelque chofe à remarquer dans cette partie du difcours, qui regarde l'expreffion Or que le choix des grands mots & des termes propres, foit d'une merveilleufe vertu pour attacher & pour émouvoir, N

c'est

c'est ce que perfonne n'ignore, & fur quoi par confequent il feroit inutile de s'arrefter. En effet, il n'y a peut-eftre rien d'où les Orateurs & tous les Efcrivains en general qui s'estudient au Sublime, tirent plus de grandeur, d'élegance, de netteté, de poids, de force, & de vigueur pour leurs Ouvrages, que du choix des paroles. C'est par elles que toutes ces beautez éclatent dans le difcours, comme dans un riche tableau, & elles donnent aux chofes une efpece d'ame & de vie. Enfin les beaux mots font, à vrai dire, la lumiere propre & naturelle de nos pensées. Il faut prendre garde neanmoins à ne pas faire parade par tout d'une vaine enflûre de paroles. Car d'exprimer une chose baffe en termes grands & magniL'Auteur fiques, c'eft tout de mefme que fi vous apaprés a- pliquiez un grand mafque de Theatre fur le vifage d'un petit enfant: fi ce n'est à la verité dans la Poefie ******* les grands Cela fe peut voir encore dans un paffage de mots font Theopompus, que Cecilius blâme, je ne impertifçai pourquoi, & qui me femble au contraire fort à louer pour fa jufteffe, & parce fimple, qu'il dit beaucoup. Philippe, dit cet Hiftofaifoit rien, boit fans peine les affronts que la necefles termes fité de fes affaires l'oblige de fouffrir. En ef fimples a- fet un difcours tout fimple exprimera quelvoient quefois mieux la chofe que toute la pompe, place & tout l'ornement, comme on le voit tous fois dans les jours dans les affaires de la vie. Ajoùquelquetez qu'une chofe énoncée d'une façon ordinaire, fe fait auffi plus aifément croire. Ainfi en parlant d'un Homme qui, pour

voir montré

combien

nens dans

le Stile

le Stile noble. Voyez les

Remarques.

s'agran

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s'agrandir fouffre fans peine; & mefmeavec plaifir, des indignitez, ces termes Boire les affronts, me femblent fignifier beaucoup. Il en eft de mefme de cette expreffion d'Herodote. Cleomene eftant devenu furieux, il prit un couteau dont il fe hacha la chair en petits morceaux; & s'eftant ainfi déchiquete lui-mefme, il mourut. Et ailleurs, Pithés demeurant toûjours dans le vaiffeau, ne ceffa point de combattre, qu'il n'euft efte bache en pieces. Car ces expreffions marquent un homme qui dit bonnement les chofes, & qui n'y entend point de fineffe, & renferment neanmoins en elles un fens qui n'a rien de groffier ni de trivial.

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Pour ce qui eft du nombre des Meta

phores, Cecilius femble eftre de l'avis de ceux qui n'en fouffrent pas plus de deux ou trois au plus, pour exprimer une feule chofe. Mais Demofthene nous doit encore ici fervir de regle. Cet Orateur nous fait voir qu'il y a des occafions où l'on en peut emploier plufieurs à la fois; quand les Paffions, comme un torrent rapide, les entraînent avec elles neceffairement, & en foule. Ces Hommes malheureux, dit-il quelque part, ces lâches Flateurs, ces Furies de la Republique ont cruellement déchiré leur patrie. Ce font eux qui dans la débauN 2

.

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che

che ont autrefois vendu à Philippe noftre liberté & qui la vendent encore aujourd'huy à Alexandre: qui mefurant, dis-je, tout leur bon-beur aux fales plaifirs de leur ventre, à leurs infames débordemens, ont renversé tou tes les bornes de l'honneur, & détruit parmi nous, cette regle où les anciens Grecs faifoient confifter toute leur felicité; de ne fouffrir point de maiftre. Par cette foule de Metaphores, prononcées dans la colere, l'Orateur ferme entierement la bouche à ces Traiftres. Neanmoins Ariftote & Theophraste, pour excufer l'audace de ces Figures, penfent qu'il eft bon d'y apporter ces adouciffemens. Pour ainfi dire. Pour parler ainfi. Si j'ofe me fervir de ces termes. Pour m'expliquer un peu plus hardiment. En effet, ajoûtent ils, l'excufe eft un remede contre les hardieffes du difcours, & je fuis bien de leur avis. Mais je foûtiens pourtant toûjours ce que j'ay déja dit, que le remede le plus naturel contre l'abondance & la hardieffe, foit des Metaphores, foit des autres Figa-. res, c'eft de ne les emploier qu'à propos: je veux dire, dans les grandes paffions, & dans le Sublime. Car comme le Sublime & le Pathetique par leur violence & leur impetuofité emportent naturellement, & entraînent tout avec eux ; ils demandent neceffairement des expreffions fortes, & ne laiffent pas le temps à l'Auditeur de s'amufer à chicaner le nombre des Metaphores, parce qu'en ce moment il eft épris d'une commune fureur avec celui qui parle.

Et

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Et mefmes pour les lieux communs & les defcriptions, il n'y a rien quelquefois qui exprime mieux les chofes qu'une foule de Metaphores continuées. C'elt par elles que, nous voions dans Xenophon une defcription fi pompeufe de l'edifice du corps humain. Platon neanmoins en a fait la pein-. ture d'une maniere encore plus divine. Ce dernier appelle la teite une Citadele. Il dit que le cou eft un Ifthme, qui a esté mis entre elle & la poitrine. Que les Vertebres font, comme des gonds fur lesquels elle tourne. Que la Volupté eft l'amorce de tous les malheurs qui arrivent aux Hommes. Que la langue est le Juge des faveurs. Que le Coeur eft la fource des veines, la fontaine du fang. gui de là fe porte avec rapidité dans toutes les autres parties, & qu'il eft difpofé comme un e fortereffe gardée de tous coftez. Il appelle les Pôres, des Rues eftroites. Les Dieux, pourfuit-il, voulant foûtenir le battement du cœur , que la veuë inopinée des chofes terribles, ou le mouvement de la colere qui eft de feu, lui caufent ordinairement; ils ont mis fous lui le poulmon dont la fubftance eft molle &n'a point de fang: mais ayant par dedans de petits trous en forme d'éponge, il fert au cœur comme d'oreiller, afin que quand la colere eft enflammée, il ne foit point troublé dans fes fonctions. Il appelle la Partie concupifcible l'appartement de la Femme ; & la Partie irafcible, l'appartement de l'Homme. Il dit que la Rate eft la Cuifine des Inteftins, & qu'eftant pleine des ordures du foie, elle s'enfle & devient bouffie. En fuite. N 3

con.

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