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M'infpira le deffein d'écrire poliment:

Tous les jours malgré moi, cloüé fur un Ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin paffant ma vie en ce trifte métier,
J'envie en écrivant le fort de Pelletier.
Bienheureux Scuderi! dont la fertile plume
Peut tous les mois fans peine enfanter un volume.
Tes écrits, il eft vrai, fans art & languiffans,
Semblent eftre formez en dépit du bon fens:
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire,
Un Marchand pour les vendre, & des Sots pour les lire.
Et quand la rime enfin fe trouve au bout des vers,
Qu'importe que le refte y foit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui, dont la manie
Veut aux regles de l'Art affervir fon genie:
Un Sot en écrivant fait tout avec plaifir:
Il n'a point en fes vers l'embarras de choisir :
Et toûjours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement, en foi-même il s'admire.
Mais un efprit fublime, en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver:
Et toûjours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaift à tout le monde, & ne fçauroit fe plaire.
Ettel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit,
Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc qui vois les maux où ma Mufe s'abîme,
De grace, enfeigne moi l'Art de trouver la Rime:
Ou, puifqu'enfin tes foins y feroient fuperflus,
Moliere, enfeigne moi l'Art de ne rimer plus.

SA

SATIRE

III.

Quel fujet inconnu vous trouble & vous altere?

25

D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre & fevere, Et ce vifage enfin plus pafle qu'un Rentier,

A l'afpect d'un arreft qui retranche un quartier ?
Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans feuls, & de bifques nourie?
Où la joie en fon luftre attiroit les regards.
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts.
Qui vous a pû plonger dans cette humeur chagrine?
A-t-on par quelque Edit reformé la cuisine ?
Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons?
Répondez donc du moins, ou bien je me retire.
P. Ah! de grace un moment fouffrez que je refpire.
Je fors de chez un Fat, qui pour m'empoifonner,
Je penfe exprés chez lui m'a forcé de difner.
Je l'avois bien prevû. Depuis prés d'une année,
J'éludois tous les jours fa pourfuite obstinée.
Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main :
Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attens demain.
N'y manquez pas au moins. J'ai quatorze Bouteilles
D'un vin vieux... Boucingo n'en a point de pareilles :
Et je gagerois bien que chez le Commandeur,
Villandri priferoit fa séve, & fa verdeur.
Moliere avec Tartuffe y doit jouer fon rôle :
Et Lambert, qui plus eft, m'a donné fa parole.
C'est tout dire en un mot, & vous le connoiffez.
Quoi Lambert? Oiii Lambert. A demain : C'est affez.
Ce matin donc, feduit par fa vaine promeffe
J'y cours, midi fonnant, au fortir de la meffe.
A peine eftois-je entré, que ravi de me voir,
Mon homme, en m'embraffant, m'eft venu recevoir:
Et montrant à mes yeux une allegreffe entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere,
Mais puifque je vous voy, je me tiens trop content.

Vous eftes un brave homme: Entrez. On vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnoiffant ma faute:
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Ou, malgré les volets, le Soleil irrité

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Formoit un poèfle ardent, au milieu de l'Esté.
Le couvert eftoit mis dans ce lieu de plaisance:
Où j'ai trouvé d'abord, pour toute connoiffance,
Deux nobles Campagnards, grands lecteurs de Romans,
Qui m'ont dit tout Cirus, dans leurs longs complimens.
J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un Coq y paroifloit en pompeux équipage,
Qui changeant fur ce plat & d'eftat & de nom,
Par tous les Conviez s'eft appellé Chappon.
Deux affiettes fuivoient, dont l'une eftoit ornée
D'une langue en ragouft de perfil couronnée :
L'autre d'un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beure gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord noftre troupe ferrée
Tenoit à peine au tour d'une table quarrée,
Où chacun, malgré foi, l'un fur l'autre porté
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de cofté,
Jugez en cet eftat, fi je pouvois me plaire,
Moi qui ne conte rien ni le vin, ni la chêre;
Si l'on n'eft plus au large affis en un Feftin,
Qu'aux Sermons de Caffaigne, ou de l'Abbé Cotin.
Nôtre Hofte cependant s'adreffant à la troupe
Que vous femble, a-t-il dit, du gouft de cette foupe?
Sentez-vous le citron dont on a mis le jus,
Avec des jaunes d'œuf meflez dans du verjus?
Ma foi, vive Mignot, & tout ce qu'il apprefte.
Les cheveux cependant me dreffoient à la teste:
Car Mignot, c'eft tout dire, & dans le monde entier,
Jamais empoisonneur ne fceut mieux fon mêtier.
J'approuvois tout pourtant de la mine & du gefte,
Penfant qu'au moins le vin dûft reparer le refte.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande. Et d'abord,
Un Laquais effronté m'apporte un rouge bord,
D'un Auvernat fumeux, qui meflé de Lignage,

Se

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Se vendoit chez Crenet, pour vin de l'Hermitage,
Et qui rouge en couleur, mais fade & doucereux,
N'avoit rien qu'un gouft plat, & qu'un déboire affreux,
A peine ay-je fenti cette liqueur traîtreffe,

Que de ces vins meflez j'ai reconnu l'adreffe.
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison,
J'efperois adoucir la force du poison.

Mais, qui l'auroit penfé? pour comble de difgrace,
Par le chaud qu'il faifoit nous n'avions point de glace.
Point de glace, bon Dieu! dans le fort de l'Efté,
Au mois de Juin! Pour moi, j'eftois fi transporté,
Que donnant de fureur tout le feftin au Diable;
Je me fuis veu vingt fois preft à quitter la table;
Et dûft-on m'appeller & fantafque & bouru,
J'allois fortir enfin: quand le roft a paru.

Sur un liévre flanqué de fix poulets étiques,
S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,
Qui dés leur tendre enfance élevez dans Paris,
Sentoient encor le chou, dont ils furent nourris.
Au tour de cet amas de viandes entaffées,
Regnoit un long cordon d'aloüetes preffées,
Et fur les bords du plat, fix pigeons étalez
Prefentoient pour renfort leurs fquelettes brûlez.
A cofté de ce plat paroiffoient deux falades,
L'une de pourpier jaune, & l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin faififloit l'odorat,
Et nageoit dans des flots de vinaigre rofat.
Tous mes Sots à l'inftant, changeant de contenance,
Ont loué du feftin la fuperbe ordonnance:
Tandis que mon Faquin, qui fe voioit prifer,
Avec un ris mocqueur les prioit d'excufer.
Sur tout certain Hableur, à la gueule affamée,
Qui vient à ce feftin, conduit par la fumée:
Et qui s'eft dit Profés dans l'ordre des Cofteaux,
A fait en bien mangeant l'éloge des morceaux.
Je riois de le voir, avec fa mine étique,
Son rabat jadis blanc, & fa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,

Et nos pigeons Cauchois, en fuperbes ramiers: Et pour flater noftre Hofte, obfervant fon vifage, Compofer fur les yeux, fon gefte & fon langage. Quand noftre Hofte charme, m'avifant fur ce point: Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point? Je vous trouve aujourd'hui l'ame toute inquiette, Et les morceaux entiers reftent fur voftre affiette. Aimez-vous la mufcade? on en a mis par tout. Ah! Monfieur, ces poulets font d'un merveilleux gouft. Ces pigeons font dodus, mangez fur ma parole. J'aime à voir aux lapins cette chair blanche & molle. Ma foi, tout eft paflable, il le faut confeffer; Et Mignot aujourd'hui s'eft voulu furpafler. Quand on parle de fauce il faut qu'on y raffine. Pour moy, j'aime fur tout que le poivre y domine: J'en fuis fourni, Dieu fçait, & j'ai tout Pelletier Roulé dans mon office en cornets de papier. A tous ces beaux difcours j'eftois comme une pierre: Ou comme la Statuë eft au feftin de Pierre; Et fans dire un feul mot, j'avalois au hazard, Quelque aîle de poulet, dont j'arrachois le lard. Cependant mon Hableur, avec une voix haute, Porte à mes Campagnards la fanté de noftre Hofte: Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri, Avec un rouge bord acceptent fon deffi. Un fi galand exploit reveillant tout le monde, On a porté par tout des verres à la ronde, Où les doigts des Laquais dans la craffe tracez Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincez. Quand un des Conviez d'un ton melancholique, Lamentant triftement une chanfon Bacchique; Tous mes Sots à la fois ravis de l'écouter, Détonnant de concert, le mettent à chanter. La Mufique fans doute eftoit rare & charmante : L'un traîne en longs fredons une voix glapiflante, Et l'autre l'appuiant de fon aigre fauflet, Semble un violon faux qui jure fous l'archet. Sur ce point un jambon d'affez maigre aparence,

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