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bleau, & s'approcher en quelque façon de nous. Ainfile Sublime & le Pathetique, foit par une affinité naturelle qu'ils ont avec les mouvemens de noftre ame, foit à caufe de leur brillant, paroiffent davantage & femblent toucher de plus prés noftre efprit que les Figures dont ils cachent l'Art, & qu'ils mettent comme à couvert.

CHAPITRE XVI.

Des Interrogations.

Que dirai-je des Demandes & des In

terrogations? Car qui peut nier que ces. fortes de Figures ne donnent beaucoup plus de mouvement, d'action, & de force au difcours? Ne voulez-vous jamais faire autre chofe, dit Demofthene aux Atheniens, qu'aller par la ville vous demander les uns aux autres; Que ditit-on de nouveau? & que peuton vous apprendre de plus nouveau, que ce que vous voies? Un Homme de Macedoine fe rend maiftre des Atheniens, & fait la loy à toute la Grece Philippe eft-il mort? dirà l'un: Non, répondra l'autre, il n'eft que malade. Hé, que vous importe, Meffieurs, qu'il vive ou qu'il meure? Quand le Ciel vous en auroit delivrez, vous vous feriez bien-toft vous mefmes un autre Philippe. Et ailleurs. Embarquons-nous pour la Macedoine, mais où @borderons-nous, dira quelqu'un, malgré Philippe ? La guerre mefme, Meffieurs nous découvrira par où Philippe eft facile vaincre. S'il euft dit la chofe fimplement

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fon

fon difcours n'euft point répondu à la Majefté de l'affaire dont il parloit: au lieu que par certe divine & violente maniere de se faire des interrogations & de fe répondre fur le champ à foi-mefme, comme fi c'eftoit une autre perfonne, non feulement il rend -ce qu'il dit plus grand & plus fort, mais plus plaufible & plus vraisemblable. Car le Pathetique ne fait jamais plus d'effet que lorfqu'il femble que l'Orateur ne le recherche pas, mais que c'eft l'occafion qui le fait naistre. Or il n'y a rien qui imite mieux la paffion que ces fortes d'Interrogations & de Réponses. Car ceux qu'on interroge, fentent naturellement une certaine émotion qui fait que fur le champ ils fe precipitent de répondre,& de dire ce qu'ils fçavent de vrai, avant mefme qu'on ait achevé de les interro ger. Si bien que par cette Figure l'Auditeur eft adroitement trompé, & prend les difcours les plus meditez pour des choses dites fur l'heure & dans la chaleur ****. Il n'y Voy les reaa rien encore qui donne plus de mouvement marques: au Difcours que d'en ofter les liaisons. En effet, un Difcours que rien ne lie & n'embarraffe, marche & coule de foi-mefme, & il s'en faut peu qu'il n'aille quelquefois plus vifte que la pensée mefme de l'Orateur. Aiant approché leurs boucliers les uns des autres,dit Xenophon, ils reculoient, ils combattoient,ils tuoient, ils mouroient ensemble. I en eft de mefme de ces paroles d'Euryloque à Ulyffe dans Homere:

Nous avons par ton ordre à pas precipitez
Parcouru de ces bois les fentiers écartez:
M. &

Nous

Nous avons dans le fond d'une fombre vallée
Découvert de Circé la maison reculée.

Car ces Periodes ainfi coupées & prononcées neantmoins avec precipitation, font les marques d'une vive douleur, qui l'empêche en même temps & le force de parler. C'eft ainfi qu'Homere fçait ofter où il faut, les liaisons du difcours.

CHAPITRE XVII

Du meflange des Figures.

ILn'y a encore rien de plus fort pour é mouvoir que de ramaffer ensemble plufieurs Figures. Car deux ou trois Figures ainfi mélées entrant par ce moien dans une espece de focieté fe communiquent les unes aux autres de la force, des graces & de l'ornement: comme on le peut voir dans ce paffage de l'oraifon de Demofthene contre Midias, où en même temps il ofte les liaifons de fon Difcours & méle ensemble les Figures de Repetition & de Defcription. Car tout homme, dit cét Orateur, qui en outrage un autre, fait beaucoup de chofes du gefte, des yeux, de la voix, que celui qui a efté outrage ne sçauroit peindre dans un recit. Et de peur que dans la fuite, fon discours ne vinft à fe relafcher, sçachant bien que l'ordre appartient à un efprit raffis, & qu'au contraire le defordre eft la marque de la paffion qui n'eft en effet elle-même qu'un trouble & une émotion de l'ame,

il pourfuit dans la même diverfité de Figures. Tantoft ille frappe comme ennemi, tantoft pour lui faire infulte, tantoft avec les poings, tantoft au vifage. Par cette violence de paroles ainfi entaffés les unes fur les autres l'Orateur ne touche & ne remuë pas moins puiffamment fes Juges,que s'ils le voyoient frapper en leur prefence. Il revient à la charge, & pourfuit, comme une tempête. Ces affronts émeuvent, ces affronts tranfportent un Homme de cœur, & qui n'eft point accoutumé aux injures. On ne sçauroit exprimer par des paroles l'énormité d'une telle action. Par ce changement continuel, il conferve par tour le caractere de ces Figures turbulentes: tellement que dans fon ordre il y a un defordre, & au contraire dans fon defordre il y a un ordre merveilleux. Qu'ainfi ne foit, mettez par plaifir les conjonctions à ce paffage,comme font les Difciples d'Ifocrate.Et certainement il ne faut pas oublier, que celui qui en outrage un autre fait beaucoup de chofes, premierement par le gefte, en fuite par les yeux,&enfinpar la voix mefme, &c... Car en égalant & applaniffant ainfi toutes chofes par le moien des liaisons vous verrez que d'un Pathetique fort & violent, vous tomberez dans une petite affeterie de langage qui n'aura ni pointe ni éguillon, & que toute la force de voftre difcours s'éteindra auffi-toft d'ellemême. Et comme il eft certain, que fi on lioit le corps d'un homme qui court, on lui feroit perdre toute fa force; de même fi vous allez embarraffer une paffion de ces liaisons & de ces particules inutiles, elle les fouffre M 7

avec

avec peine, vous lui oftez la liberté defa courfe, & cette impetuofité qui la faifoit marcher avec la mesme violence, qu'un trait lancé par une machine.

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CHAPITRE XVIII.
Des Hyperbates.

la

L faut donner rang aux Hyperbates. L'Hyperbate n'eft autre chofe que Tranfpofition des pensées ou des paroles dans l'ordre & la fuite d'un difcours. Et cette Fi gure porte avec foi le caractere veritable d'une paffion forte & violente. En effet, voiez tous ceux qui font émûs de colere, de fraieur, de dépit, de jaloufie, ou de quelqu'autre paffion que ce foit: car il y en a tant que l'on n'en fçait pas le nombre, leur efprit eft dans une agitation continuelle. A peine ont-ils formé un deffein qu'ils en congoivent auffi-toft un autre, & au milieu de celui-ci s'en propofant encore de nouveaux, où il n'y a ni raifon ni rapport, ils reviennent fouvent à leur premiere refolution. La paffion en eux eft comme un vent leger & inconstant qui les entraîne, & les fait tourner fans ceffe de cofté & d'autre: fi bien que dans ce flux & ce reflux perpetuel de fentimens oppofés, ils changent à tous momens de penfée & de langage, & ne gardent ni ordre, ni fuite dans leur dif

cours.

Les habiles Efcrivains, pour imiter ces mouvemens de la nature fe fervent des

Hy

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