les faire voir clairement. Il y a pourtant cela de commun, qu'on tend à émouvoir enľ'une & en l'autre rencontre. Paroles d'Orefte dans Euripide. Mere cruele, arrefte, éloigne de mes yeux Où fuirai-je? Elle vient. Je la voy. Je fuis mort. Le Poëte en cet endroit ne voioit pas les Furies: cependant il en fait une image fi naïve, qu'il les fait prefque voir aux Auditeurs. Et veritablement je ne fçaurois pas bien dire fi Euripide eft auffi heureux à exprimer les autres paffions; mais pour ce qui regarde l'amour & la fureur, c'eft à quoi il s'eft étudié particulierement, & il y a fort bien reuffi. Et même en d'autres rencontres il ne manque pas quelquefois de hardieffe à peindre les choses. Car bien que fon efprit de luimême ne foit pas porté au Grand, il corrige fon naturel, & le force d'eftre tragique & relevé, principalement dans les grands fujets: de forte qu'on lui peut appliquer ces vers du Poëte: A l'afpect du peril, au combat il s'anime: Et le poil beriffe, les yeux étincelans, De fa queue il fe bat les coftez les flancs. Comme on le peut remarquer dans cet endroit où le Soleil parle ainfi à Phaeton, en luy mettant entre les mains les refnes de fes chevaux : Pren garde qu'une ardeur trop funefte à ta vie Là Là jamais d'aucune eau le fillon arrofe Auffitoft devant toi s'offriront fept étoiles. Penetre en un moment les vaftes champs de l'air, Le fuit, autant qu'il peut, de la voix des yeux. Va par là,lui dit-il:Revien: Deftourne: Arreste. Efchyle a quelquefois auffi des hardieffes & M Sur Sur un Bouclier noir Sept Chefs impitoyables d'égorger, Tous, la main dans le fang, jurent de se vanger. Au refte, bien que ce Poëte, pour vouloir trop s'élever, tombe affez fouvent dans des pensées rudes,groffieres & mal polies: Toutefois Euripide, par une noble émulation, s'expofe quelquefois aux mêmes perils. Par exemple, dans Eschyle, le Palais de Lycurgue eft émû, & entre en fureur à la vue de Bacchus. } Le Palais enfureur mugit à fon afpect. Euripide emploie cette même pensée d'une autre maniere, en l'adouciffant neanmoins. La montagne à leurs cris répond en mugissant Sophocle n'eft pas moins excellent à peindre les chofes, comme on le peut voir dans la description qu'il nous à laiffée d'Oedipe mourant & s'enfeveliffant lui-même au milieu d'une tempête prodigieufe; & dans cet autre endroit où il depeint l'apparition d'Achille fur fon tombeau, dans le moment que les Grecs alloient lever l'ancre. Je doute neanmoins pour cette apparition, que jamais perfonne en ait fait une description plus vive que Simonide: Mais nous n'aurions jamais fait, fi nous voulions eftaler ici tous les exemples que nous pourrions raporter à ce propos. + Pour retourner à ce que nous difons; les Images dans la Poëfie font pleines ordinaire ment ment d'accidens fabuleux, & qui paffent toute forte de créance, au lieu que dans la Rhetorique le beau des Images, c'eft de representer la chofe comme elle s'est paffée, & telle qu'elle eft dans la verité. Car une invention poëtique & fabuleuse dans une oraison, traîne neceffairement avec soi des digreffions groffieres & hors de propos, & tombe dans une extrême abfurdité. C'est E pourtant ce que cherchent aujourd'hui nos = Orateurs. Ils voient quelquefois les Furies, ces grands Orateurs, auffi-bien que les Poëtes Tragiques, & les bonnes gens ne prennent pas garde que quand Orefte dit dans Euripide: Toi qui dans les Enfers me veux precipiter, $ # ilne s'imagine voir toutes ces chofes, que parce qu'il n'eft pas dans fon bon fens. Quel eft donc l'effet des Images dans la Rhetorique? C'eft qu'outre plufieurs autres proprietez,elles ont cela qu'elles animent & échauffent le difcours. Si bien qu'eftant meflées avec art dans les preuves, elles ne perfuadent pas feulement;mais elles domtent,pour ainfi dire, elles foûmettent l'Auditeur. Si un homme, dit un Orateur, a entendu un grand bruit devant le Palais,& qu'un autre à mefme temps vienne annoncer que les prifons font ouvertes, & que les prifonniers de guerre fe fauvent: il n'y a point de vieillard fi chargé d'années, ni de jeune homme fi indifferent, qui ne coure de toute fa force au fecours. Que fi quelqu'un fur ces entrefaites leur montre l' AuM 2 teur teur de ce defordre: c'est fait de ce malheureux; il faut qu'il periffe fur le champ, & on ne luy donne pas le temps de parler. Hyperide s'eft fervi de cét artifice dans l'oraison, où il rend compte de l'ordonnance qu'il fit faire aprés la défaite de Cheronée, qu'on donneroit la liberté aux esclaves. Ce n'eft point,dit-il, un Orateur qui a fait paffer cette loi: c'eft la bataille, c'est la défaite de Cheronée. Au mefme temps qu'il prouve la chose par raifon, il fait une Image, il & par cette propofition qu'il avance, fait plus que perfuader & que prouver. Car à comme en toutes chofes on s'arreste naturellement à ce qui brille & éclate davanta ge; l'efprit de l'Auditeur est aisément entraîné par cette Image qu'on luy prefente au milieu d'un raifonnement, & qui luy frappant l'imagination, l'empefche d'examiner de fi prés la force des preuves, caufe de ce grand éclat dont elle couvre & environne le Difcours. Au refte il n'eft pas extraordinaire que cela faffe cet effet en nous, puifqu'il eft certain que de deux corps meflez enfemble celuy qui a le plus de force, attire toûjours à foy la vertu & la puiffance de l'autre. Mais c'eft affez parlé de cette Sublimité qui confifte dans les penfées, & qui vient, comme j'ai dit, ou de la .Grandeur d'ame; ou de l'Imitation, ou de Imagination. CHA |