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les faire voir clairement. Il y a pourtant cela
de commun, qu'on tend à émouvoir en l'u-
ne & en l'autre rencontre.

* Paroles * Mere cruele, arrefte, éloigne de mes yeux
d'Orefte
Çes Filles de l'Enfer, ces spectres odieux.

dans Euripide.

Ils viennent : je les voy: mon fupplice s'apprefte.
Mille borribles ferpents leur fiflent fur la tefte.
Et ailleurs:

Où fuirai-je? Elle vient. Je la voy. Je fuis mort.

Le Poëte en cet endroit ne voioit pas les Furies: cependant il en fait une image fi naïve, qu'il les fait prefque voir aux Auditeurs. Et veritablement je ne fçaurois pas bien dire fi Euripide eft auffi heureux à exprimer les autres paffions; mais pour ce qui regarde l'amour & la fureur, c'est à quoi il s'eft étudié particulierement, & il y a fort bien reuffi. Et même en d'autres rencontres il ne manque pas quelquefois de hardieffe à peindre les choses. Car bien que fon efprit de luimême ne foit pas porté au Grand, il corrige fon naturel, & le force d'eftre tragique & relevé, principalement dans les grands fujets: de forte qu'on lui peut appliquer ces vers du Poëte:

Al'afpect du peril, au combat il s'anime:
Et le poil heriffe, les yeux étincelans,

De fa queue il fe bat les coftez les flancs, Comme on le peut remarquer dans cet endroit où le Soleil parle ainfi à Phaeton, en luy mettant entre les mains les refnes de fes chevaux :

Pren garde qu'une ardeur trop funefte à ta vie
Ne t'emporte au deffus de l'aride Lybie;

Là jamais d'aucune eau le fillon arrofe
Ne rafraichit mon char dans fa courfe embrazė,
Et dans ces vers fuivans:

Auffitoft devant toi s'offriront fept étoiles.
Dreffe par là ta courfe, fuy le droit chemin.
Phaeton, à ces mots, prend les refnes en main
De fes chevaux aiflez, il bat les flancs agiles,
Les courfiers du Soleil à fa voix font dociles.
Ils vont; le char s'éloigne, & plus promt qu'un
éc lair

Penetre en un moment les vaftes champs de l'air,
Le Pere cependant plein d'un trouble funefte,
Le void rouler de loin fur la plaine celefte,
Lui montre encor fa route, & du plus haut des
Cieux,,

Le fuit, autant qu'il peut, de la voix des yeux.

Va par là,lui dit-il:Revien: Deftourne: Arreste. Ne diriez vous pas que l'ame du Poëte monte fur le char avec Phaeton, qu'elle partage tous fes perils, & qu'elle vole dans l'air avec les chevaux ? car s'il ne les fuivoit dans les Cieux, s'il n'affiftoit à tout ce qui s'y paffe; pourroit-il peindre la chofe comme il fait ? ilen eft de mefme de cet endroit de fa Caf fandre qui commence par

Mais ô braves Troyens, &c.

Efchyle a quelquefois auffi des hardieffes & des imaginations tout-à-fait nobles & heroiques: comme on le peut voir dans fa Tragedie intitulée, Les Sept devant Thebes, où un Courier venant apporter à Eteocle la nouvelle de fes fept Chefs, qui avoient tous impitoiablement juré, pour ainfi dire, leur propre mort; s'explique ainfi.

M

Sur

1

Sur un Bouclier noir fept Chefs impitoyables Epouvantent les Dieux de fermens effroiables: Prés d'un Taureau mourant qu'ils viennent d'égorger,

Tous, la main dans le fang, jurent de se vanger. Ils en jurent la peur, le Dieu Mars, & Bellone.

Au refte, bien que ce Poëte, pour vouloir trop s'élever, tombe affez fouvent dans des penfées rudes,groffieres & mal polies: Toutefois Euripide, par une noble émulation, s'expofe quelquefois aux mêmes perils. Par exemple, dans Efchyle, le Palais de Lycurgue eft émû, & entre en fureur à la vue de Bacchus.

Le Palais enfureur mugit à fon afpect. Euripide emploie cette même pensée d'une autre maniere, en l'adouciffant neanmoins.

La montagne à leurs cris répond en mugissant. Sophocle n'eft pas moins excellent à peindre les chofes, comme on le peut voir dans la description qu'il nous à laiffée d'Oedipe mourant & s'enfeveliffant lui-même au milieu d'une tempête prodigieufe; & dans cet autre endroit où il depeint l'apparition d'Achille fur fon tombeau, dans le moment que les Grecs alloient lever l'ancre. Je doute neanmoins pour cette apparition, que jamais perfonne en ait fait une defcription plus vive que Simonide: Mais nous n'aurions jamais fait, fi nous voulions eftaler ici tous les exemples que nous pourrions raporter à ce propos.

Pour retourner à ce que nous difons; les Images dans la Poëfie font pleines ordinaire

ment

=ment d'accidens fabuleux, & qui paf= fent toute forte de créance, au lieu

que dans la Rhetorique le beau des Images, c'est de reprefenter la chofe comme elle s'eft paffée, & telle qu'elle eft dans la verité. Car une invention poëtique & fabuleuse dans sune oraifon, traîne neceffairement avec foi des digreffions groffieres & hors de propos, & tombe dans une extrême abfurdité. C'est pourtant ce que cherchent aujourd'hui nos = Orateurs. Ils voient quelquefois les Furies, ces grands Orateurs, auffi-bien que les Poëtes Tragiques, & les bonnes gens ne prennent pas garde que quand Orefte dit dans Euripide:

Toi qui dans les Enfers me veux precipiter, Deeffe, ceffe enfin de me persecuter; il ne s'imagine voir toutes ces chofes, que parce qu'il n'eft pas dans fon bon fens. Quel eft donc l'effet des Images dans la Rhetori= que? C'eft qu'outre plufieurs autres proprietez,elles ont cela qu'elles animent & échauf fent le difcours. Si bien qu'eftant mellées avec art dans les preuves, elles ne perfuadent pas feulement; mais elles domtent,pour ainfi dire, elles foûmettent l'Auditeur. Si un homme, dit un Orateur, a entendu un grand bruit devant le Palais,& qu'un autre à mefme temps vienne annoncer que les prifons font ouvertes, & que les prifonniers de guerre fe fauvent: il n'y a point de vieillard fi chargé d'années, ni de jeune homme fi indifferent, qui ne coure de toute fa force au fecours. Que fi quelqu'un fur ces entrefaites leur montre l' AuM 2 teug

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teur de ce defordre: c'est fait de ce malheureux; il faut qu'il periffe fur le champ, & on ne luy donne pas le temps de parler.

Hyperide s'eft fervi de cét artifice dans l'oraifon, où il rend compte de l'ordonnance qu'il fit faire aprés la défaite de Cheronée, qu'on donneroit la liberté aux esclaves. Ce n'eft point,dit-il, un Orateur qui a fait paffer cette loi: c'eft la bataille, c'est la défaite de Cheronée. Au mefme temps qu'il prouve la chose par raifon, il fait une Image, & par cette propofition qu'il avance, fait plus que perfuader & que prouver. Car

il

comme en toutes chofes on s'arrefte naturellement à ce qui brille & éclate davantage; l'efprit de l'Auditeur est aisément entraîné par cette Image qu'on luy prefente au milieu d'un raifonnement, & qui luy frappant l'imagination, l'empefche d'exaà miner de fi prés la force des preuves, caufe de ce grand éclat dont elle couvre & environne le Discours. Au refte il n'est pas extraordinaire que cela faffe cét effet en nous, puisqu'il eft certain que de deux corps mellez ensemble celuy qui a le plus de force, attire toûjours à foy la vertu & la puiffance de l'autre. Mais c'eft affez parlé de cette Sublimité qui confifte dans les penfées, & qui vient, comme j'ai dit, ou de la • Grandeur d'ame; ou de l'Imitation, ou de Imagination.

CHA

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