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compagnent en effet cette paffion : mais où
fon adreffe paroift principalement, c'est à
choifir de tous ces accidens, ceux qui mar-
quent davantage l'excez & la violence de
PAmour, & à bien lier tout cela ensemble.
Heureux qui prés de toi, pour toi feule foûpire:
Qui jouit du plaifir de t'entendre parler:
Qui te void quelquefois doucement luy fourire.
Les Dieux, dans fon bonheur peuvent-ils l'éga-
Ler?

* * *

Je fens de veine en veine une fubtile flamme
Courir par tout mon corps, fi toft que je te vois :
Et dans les doux transports,où s'égare mon ame,
Je ne sçaurois trouver de langue, ni de voix.

* *

*

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Un nuage confus fe repand fur ma vue,

Je n'entens plus, je tombe en de douces langueurs;

Er pafle, fans baleine, interdite, éperdue,

Un friffon me faifit, je tremble, je me meurs.

* * *

Mais quand on n'a plus rien, il faut tout bazarder,

c.

N'admirez-vous point comment elle ramaffe toutes ces chofes, l'ame, le corps, P'ouie, la langue, la veuë, la couleur, comme fi c'eftoient autant de perfonnes differentes, & preftes à expirer? Voyez de combien de mouvemens contraires elle eft agitée; elle gele, elle brûle, elle eft folle, elle eft fage; ou elle eft entierement hors d'elle-mesme, ou elle va mourir : En un mot on diroit qu'el le n'est pas éprise d'une fimple paffion, mais que fon ame eft un rendés-vous de toutes les paffions; & c'eft en effet ce qui arrive à ceux

qui

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qui aiment. Vous voies donc bien, comme
j'ai déja dit, que ce qui fait la principale
beauté de fon difcours, ce font toutes ces
grandes circonstances marquées à propos,&
ramaffées avec choix. Ainfi quand Homere
veut faire la defcription d'une tempête, il a
foin d'exprimer tout ce qui peut arriver de
plus affreux dans une tempête. Car par ex-
emple l'Auteur du Poëme des Arimafpiens
penfe dire des chofes fort eftonnantes
quand il s'écrie:

*

C'efloient des peupless de Scythies

Oprodige eftonnant: ô fureur incroyable!
Des hommes infenfez, fur de frefles vaiffeaux,
S'en vont loin de la terre habiter fur les eaux:
Et fuivant fur la mer une route incertaine,
Courent chercher bien loin le travail & la pei-

ne.

Ils ne gouftent jamais de paifible repos..
Ils ont les yeux au Ciel, & l'efprit fur les flots:
Et les bras eftendus, les entrailles émuës,
Ils font fouvent aux Dieux des prieres perduês.
Cependant il n'y a perfonne,comme je pen-
fe, qui ne voie bien que ce difcours eft en ef-
fet plus fardé & plus fleuri que grand & fu-
blime. Voions donc comment fait Home
re, & confiderons cet endroit entre plufieurs

autres :

Comme l'on void les flots foulevez par l'orage,
Fondre fur un vaiffeau qui s'oppose à leur rage..
Le vent avec fureur dans les voiles fremit,
La mer blanchit d'écume, l'air aa loin gemit...
Le matclot troublé, que fon art abandonne,
Croit voir dans chaque flot la mort qui l'envi-

ronne.

Aratus a tâché d'encherir fur ce dernier vers
en difant:

"h

Un

"

marques.

Un bois mince & leger les defend de la mort, Mais en fardant ainfi cette pensée, il l'arendue baffe & fleurie de terrible qu'elle estoit, Et puis renfermant tout le peril dans ces Riots, Un beis mince & leger les defend de la mort, il l'éloigne & le diminue plutoft qu'il ne l'augmente. Mais Homere ne met pas pour une feale fois devant les yeux le danger où fe trouvent les Matelots; il les reprefente, comme en un tableau fur le point d'è tre fubmergez à tous les flots qui s'éle vent, & imprime jufques dans fes mots & Voy les re- fes fyllabes, l'image du peril. Archiloque ne s'eft point fervi d'autre artifice dans la defcription de fon naufrage; non plus que Demofthene dans cet endroit où il décrit le trouble des Atheniens à la nouvelle de la prife d'Elatée, quand il dit: Ileftoit déja fort tard, &c. Car ils n'ont fait tous deux que trier, pour ainfi dire, & ramaffer foigneufement les grandes circonftances,prenant garde à ne point inferer dans leurs difcours de particularitez baffes & fuperflues, ou qui fentiffent l'école. En effet, de trop s'arrefter aux petites chofes, cela gafte tout, & c'est comme du moëflon ou des platras qu'on auroit arrangez & comme entaffez les uns fur les autres, pour élever un bâtiment.

CHAPITRE IX.

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De l'Amplification:

Ntre les moiens dont nous avons parlé, qui contribuent au Sublime, il faut auffi donner rang à ce qu'ils appellent Am

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plification. Car quand la nature des Sujets qu'on traite, ou des Caufes qu'on plaide, demande des periodes plus eftenduës, & compofées de plus de membres, on peut s'élever par degrez, de telle forte qu'un mot encheriffe toujours fur l'autre. Et cette adreffe peut beaucoup fervir, ou pour traiter quelque lieu d'un difcours, ou pour exagerer, ou pour confirmer, ou pour mettre en jour un Fait, ou pour manier une Paffion. En effet l'Amplification se peut divifer en un nombre infini d'efpeces; mais l'Orateur doit fçavoir que pas une de ces efpeces n'est parfaite de foi, s'il n'y a du Grand & du Sublime: fi ce n'eft lorsqu'on cherche à émouvoir la pitié,ou que l'on veut ravaler le prix de quelque chofe. Par tout ailleurs, fi vous oftez à l'Amplification ce qu'elle a de Grand, vous luy arrachez, pour ainfi dire, l'ame du corps. En un mot, dés que cet appui vient à lui manquer, elle languit, & n'a plus ni force ni mouvement. Maintenant, pour plus grande netteté, difons en peu de mots la difference qu'il y a de cette partie à celle dont nous avons parlé dans le chapitre precédent; & qui, comme j'ai dit, n'eft autre chofe qu'un amas de circonftances choifies que l'on reunit ensemble: Et voions par où l'Amplification en ge neral differe du Grand & du Sublime.

CHA

CHAPITRE X.

Ce que c'eft qu'Amplification.

Ene fçaurois approuver la definition que plification, difent-ils, eft un Difcours qui augmente & agrandit les chofes. Car cette definition peut convenir tout de mefme au Sublime, au Pathetique & aux Figures; puifqu'elles donnent toutes au Difcours, je ne fçai quel caractere de grandeur. Il y a pourtant bien de la difference. Et premierement le Sublime confifte dans la hauteur & l'élevation, au lieu que l'Amplification confifte auffi dans la multitude des paroles. C'est pourquoy le Sublime fe trouve quelquefois dans une fimple penfée: mais l'Amplification ne fubfifte que dans la pompe & l'abondance. L'Amplification donc, pour en donnericy une idée generale, eft un Accroiffement de paroles, que l'on peut tirer de toutes les circonftances particulieres des chofes, & de tous les Lieux de l'Oraifon, qui remplit le Difcours, & le fortifie, en appuiant sur ce qu'on a déja dit. Ainfi elle differe de la PreuVoy les re- ve, en ce qu'on emploie celle-ci pour prog ver la queftion, au lieu que l'Amplification ne fert qu'à étendre & à exagerer. *****

marques

La mefme difference, à mon avis, eft entre Demofthene & Ciceron pour le Grand & le Sublime, autant que nous autres Grecs pouvons juger des ouvrages d'un Auteur Latin. En effet Demofthene eft grand en ce

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