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CHAPITRE VI.

16

Des cing fources du Grand.

I

Lya, pour ainfi dire, cinq fources priacipales du Sublime: mais ces cinq Sources préfuppofent, comme pour fondement commun, une Faculté de bien parler; fans quoi tout le refte n'eft rien,

Cela pofé, la premiere & la plus confiderable eft une certaine Elevation d'efprit qui nous fait penfer heureusement les chofes.comme nous l'avons déja montré dans nos commentaires fur Xenophon,

La feconde confifte dans le Pathetique: j'entens par Pathetique, cet Enthousiasme, & cette vehemence naturelle qui touche & qui émeut. Au reste à l'égard de ces deux premieres, elles doivent prefque tout à la Nature, & il faut qu'elles naiffent en nous, au lieu que les autres dépendent de l'Art en partie.

La troifiéme n'eft autre chofe,que les Figures tournées d'une certaine maniere. Or les Figures font de deux fortes: les Figures de Penfée, & les Figures de Diction.

Nous mettons pour la quatrième,la Noblef fe de l'expreffion, qui a deux parties, le choix des mots, & la diction elegante & figurée.

Pour la cinquiéme qui eft celle, a proprement parler, qui produit le Grand & qui renferme en foi toutes les autres, c'eft la Compofition & l'arrangement des paroles dans toute leur magnificence & leur dignité.

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Examinons maintenant ce qu'il y a de re-
marquable dans chacune de ces Efpeces en
particulier mais nous avertirons en paffant
que Cecilius en a oublié quelques-unes, &
entre autres le Pathetique. Et certainement
s'il l'a fait, pour avoir creu que le Sublime &
le Pathetique naturellement n'alloient ja
mais l'un fans l'autre, & ne faifoient qu'un
il fe trompe: puis qu'il y a des Paffions qui
n'ont rien de Grand; & qui ont mesme
quelque chofe de bas, comme l'Affliction,
la Peur, la Trifteffe: & qu'au contraire il se
rencontre quantité de chofes grandes & fu-
blimes, où il n'entre point de paffion. Tel
eft entre autres ce que dit Homere avec* C'efloient
tant de hardieffe en parlant des Aloi des Geants
des. *
qui croif
'foient tous'

Pour déthroner les Dieux, leur vaste ambition les jours
Entreprit d'entaffer Offe fur Pelion.

d'une cou-
dée en lar-

Ce qui fuit eft encore bien plus fort.

geur, & d'une aul

"

Ils n'a

voient pas

encore

1ls Peuffent fair fans doute, &c. Et dans la Profe les panegyriques & rousine en lonces Difcours qui ne fe font que pour l'o-queur. ftentation, ont par tout du Grand & du Su blime bien qu'il n'y entre point de paffion pour l'ordinaire. De forte qu'entre les quinze Orateurs mefme ceux-là communément ans, lors font les moins propres pour le Panegyrique, mirent en qu'il's fe qui font les plus Pathetiques; & au contrai- eftat d'ef re ceux qui reüffiffent le mieux dans le Pa- calader le negyrique, s'entendent affez mal à toucher Cells Se tuerent les paffions. Pun l'au

Que fi Cecilius s'eft imaginé que le Pa- tre par l'a thetique en general ne contribuoit point drelle de au. Grand, & qu'il eftoit par confequent dyfi L3 inuti-vie *.

Diane O

inutile d'en parler; il ne s'abuse pas moins. Carj'ofe dire, qu'il n'y a peut-eftre rien qui releve davantage un Difcours, qu'un beau mouvement & une Paffion pouffée à propos. En effet c'eft comme une efpece d'enthoufiafme & de fureur noble qui anime l'oraison, & qui lui donne un feu & une vigueur toute divine.

CHAPITRE VII.
De la Sublimité dans les pensées.

Ten que des cinq Parties dont j'ai parlé, la premiere & la plus confiderable, je veux dire cette Eflevation d'efprit natu relle, foit plutoft un prefent du Ciel, qu'une qualité qui fe puiffe acquerir; nous devons, autant qu'il nous eft poffible, nourir noftre efprit au Grand, & le tenir toûjours plein & enflé, pour ainfi dire, d'une certaine fierté noble & genereuse.

Que fi on demande comme il s'y faut prendre ; j'ai déja écrit ailleurs que cette Elevation d'efprit eftoit une image de la gran

deur d'ame: & c'est pourquoi nous admirons Ceft dans quelquefois la feule penfée d'un homme, enl'onzième core qu'il ne parle point, à caufe de cette liv. de lo- grandeur de courage que nous voions. Par dyée, où exemple le filence d'Ajax aux Enfers, dans fait des l'Odyffée. Car ce filence a je ne fçai quoi de Soumißions plus grand que tout ce qu'il auroit pû dire. à Ajax, La premiere qualité donc qu'il faut fupmais Ajax pofer en un veritable Orateur; c'eft qu'il par luire n'ait point l'efprit rampant. En effet il n'eft pondres

ne daigne

pas

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pas poffible qu'un homme qui n'a toute fa
vie que des fentimens & des

baffes & ferviles, puiffe jamais rien produire
qui foit fort merveilleux ni digne de la Po-
fterité. Il n'y a vraisemblablement que ceux
qui ont de hautes & de folides pensées qui
puiffent faire des difcours élevez; & c'est
particulierement aux grands Hommes qu'il
échappe de dire des chofes extraordinaires.
Voiez par exemple ce que répondit Alexan-
dre quand Darius lui fit offrir la moitié de
l'Afie avec fa fille en mariage. Pour moi, lui
difoit Parmenion, fi j'eftois Alexandre
j'accepterois ces offres. Et moi auffi, repli-
qua ce Prince, fij'eftois Parmenion. N'est-
il pas vrai qu'il faloit eftre Alexandre pour
faire cette réponse ?

.

Et c'est en cette partie qu'a principalement excellé Homere, dont les pensées font toutes fublimes: comme on le peut voir dans la defcription de la Déeffe Difcorde qui a, dit-il,

La tefte dans les Cieux, les piés fur la Terre. Car on peut dire que cette grandeur qu'il lui donne eft moins la mesure de la Difcor de, que de la capacité & de l'élevation de l'efprit d'Homere. Hefiode a mis un vers bien different de celui-ci dans fon Bouclier; s'il est vrai que ce Poëme foit de lui: quand il dit à propos de la Déeffe des tenebres,

Une puante humeur lui couloit des narines.
En effet il ne rend pas proprement cette
Déeffe terrible, mais odieufe & dégoûtante.
Au contraire voies quelle majefte Homere Iliad. E s.
donne aux Dieux.

Autant qu'un homme affis aux rivages des mers,
Void d'un Roc eflevé d'espace dans les airs:
Autant, des Immortels les courfiers intrepides
En franchiffent d'un faut, &c.

Il mefure l'eftenduë de leur faut à celle de l'Univers. Qui eft-ce donc qui ne s'écrieroit avec raifon, en voiant la magnificence de cette Hyperbole, que fi les che vaux des Dieux vouloient faire un fecond faut, ils ne trouveroient pas affés d'efpace dans le monde ? Ces peintures auffi qu'il fair du Combat des Dieux ont quelque chose de fort grand, quand il dit:

Le Ciel en retentit, & l'Olympe en trembla.
Et ailleurs.

Iliad. 1.21.1

lliad1.20.

L'Enfer s'émeut au bruit de Neptune enfurie. Pluton fort de fon tbrofne, il paflit, il s'écrie: Il a peur que ce Dieu, dans cet affreux fejour, D'un coup de fon Trident ne faffe entrer le jour, Et par le centre ouvert de la Terre ébranlée. Ne faffe voir du Stix la rive defolée : Ne découvre aux Vivans cet Empire odieux ; Abhorré des Mortels, & craint même des Dieux. Voiez-vous, mon cher Terentianus, la Terre ouverte jufqu'en fon centre, l'Enfer preft à paroiftre, & toute la machine du monde fur le point d'eftre détruite & renverfée: pour montrer que dans ce combat, le Ciel, les Enfers, les chofes mortelles & immortelles, tout enfin combattoit avec les Dieux, & qu'il n'y avoit rien dans la Nature qui ne fuft en danger? Mais il faut prendre toutes ces penfées dans un fens allegorique: autrement elles ont je ne fçai quoi d'affreux, d'impie, & de pea convenable à la

ma

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