CHAPITRE II. S'il y a un Art particulier du Sublime, & des trois Vices qui luy font oppofez. I L faut voir d'abord, s'il y a un Art particulier du Sublime. Car il fe trouve des gens qui s'imaginent, que c'eft une erreur de le vouloir reduire en Art, & d'en donner des preceptes. Le Sublime, difent-ils, naift avec nous, & ne s'apprend point. Le feul Art pour y parvenir, c'eft d'y eftre né. Et mefmes, à ce qu'ils pretendent, il y a des Ouvrages que la Nature doit produire toute feule. La contrainte des preceptes ne fait que les affoiblir, & leur donner une certaine fechereffe qui les rend maigres & décharnés. Mais je foûtiens, qu'à bien prendre les chofes, on verra clairement tout le contraire. Et à dire vrai, quoi que la Nature ne fe montre jamais plus libre que dans les Difcours Sublimes & Pathetiques, il eft pourtant aifé de reconnoiftre qu'elle ne fe laiffe pas conduire au hazard, & qu'elle n'eft pas abfolument ennemie de l'Art & des regles. J'avoue que dans toutes nos productions il la faut toûjours fuppofer comme la baze, le principe, & le premier fondement, Mais auffi il eft certain que noftre efprit a besoin d'une methode pour lui enfeigner à ne dire que ce qu'il faut, & à le dire en fon lieu, & que cette methode peut beaucoup contribuer à nous acquerir la par 5 parfaite habitude du Sublime. Car comme les vaiffeaux font en danger de perir, lors qu'on les abandonne à leur feule legereté, & qu'on ne fçait pas leur donner la charge & le poids qu'ils doivent avoir: Il en eft ainfi du Sublime, fi on l'abandonne à la feule impetuofité d'une Nature ignorante & temeraire. Noftre efprit affez fouvent n'a pas moins befoin de bride que d'éperon. Demofthene dit en quelque endroit, que le plus grand bien qui puiffe nous arriver dans la vie, c'est d'eftre heureux: mais qu'il y en a encore un autre qui n'eft pas moindre, & fans lequel ce premier ne fçauroit fubfifter, qui G eft de Scavoir fe conduire avec prudence. Nous en pouvons dire autant à l'égard du Difcours. La Nature eft ce qu'il y a de plus neceffaire pour arriver au Grand : toutefois fi l'Art ne prend foin de la conduire, c'est une aveugle qui ne sçait où elle va. * * * * * * * Telles font ces penfées: Les Torrens de flam- avoit parme entortillés. Vomir contre le Ciel. Faire de enflé,& Borée fon joueur de flûtes, & toutes les au- citoit à tres façons de parler dont cette piece eft propos de pleine. Car elles ne font pas grandes & traforifes giques, mais enflées & extravagantes. Toll- Poëte tes ces phrases ainfi embarraffées de vaines tragique imaginations troublent & gaftent plus un dont voici Difcours, qu'elles ne fervent à l'élever. De quelques reftes. forte qu'à les regarder de prés & au grand voy les jour, ce qui paroiffoit d'abord fi terrible, Remar devient tout-à-coup fot & ridicule. Que fiques. c'est un defaut infupportable dans la Tragedie, qui eft naturellement pompeuse & ma * L'Auteur lé du Stile cela les d'un gnifique, que de s'enfler mal à propos; A plus forte raifon doit-il eftre condamné dans le difcours ordinaire. Delà vient qu'on s'eft raillé de Gorgias, pour avoir appellé Xerxes, le Jupiter des Perfes, & les Vautours, des Sepulchres animés. On n'a pas efté plus indulgent pour Callifthene, qui en certains endroits de fes écrits ne s'éleve pas proprement, mais fe guinde fi haut qu'on le perd de veue. De tous ceux-là pourtant je n'en voi point de fi enflé que Clitarque. Cet Auteur n'a que du vent & de l'écorce, il refsemble à un homme qui, pour me fervir des termes de Sophocle, ouvre une grande bouche,pour foufler dans une petite flufte. Il faut faire le mefme jugement d'Amphicrate, d'Hegefias & de Matris. Ceux-ci quelquefois s'imaginant qu'ils font épris d'un enthoufiafme & d'une fureur divine, au lieu de tonner, comme ils penfent, ne font que niaizer & que badiner comme des enfans. Et certainement en matiere d'éloquence il n'y a rien de plus difficile à éviter que l'Enflure. Car comme en toutes chofes naturellement nous cherchons le Grand, & que nous craignons fur tout d'eftre accusez de fechereffe ou de peu de force, il arrive, je ne fçai comment, que la plufpart tombent dans ce vice: fondés fur cette maxime com mune. Dans un noble projet on tombe noblement. Cependant il eft certain que l'Enflure n'est pas moins vicieuse dans le Difcours que dans les corps. Elle n'a que de faux dehors & une apparence trompeuse: mais au dedans elle est eft creufe & vuide, & fait quelquefois un effet tout contraire au Grand. Car comme on dit fort bien, Iln'y a rien de plus fec qu'un Hydropique.. Au refte le defaut du Stile enflé, c'est de vouloir aller au delà du Grand. Il en est tout au contraire du Puerile. Car il n'y a rien de fi bas, de fi petit, ni de fi oppofé à la noblesfe du Difcours. Qu'est-ce donc que Puerilité? Ce n'eft vifiblement autre chofe qu'une penfée d'Ecolier, qui pour eftre trop recherchée devient froide. C'est le vice où tombent ceux qui veulent toûjours dire quelque chose d'extraordinaire & de brillant: mais fur tout ceux qui cherchent avec tant de foin le plaifant & l'agreable. Parce qu'à la fin, pour s'attacher trop au Stile figuré, ils tombent dans une fotte affectation. Il y a encore un troifiéme defaut oppofé au Grand, qui regarde le Pathetique. Theodore l'appelle une fureur hors de faifon: lors qu'on s'échauffe mal à propos, ou qu'on s'emporte avec excés, quand le fujet ne permet que de s'échauffer mediocrement. En effet, on void tres fouvent des Orateurs, qui comme s'ils eftoient yvres, fe laiffent emporter à des paffions qui ne conviennent. point à leur fujet, mais qui leur font propres & qu'ils ont apportées de l'Ecole: fi bien que comme on n'est point touché de ce qu'ils difent, ils fe rendent à la fin odieux & infupportables. Car c'est ce qui arrive neceffairement à ceux qui s'emportent & fe débattent mal à propos de devant des gens qui ne font point du tout émûs. Mais nous parlerons en un autre endroit de ce qui concerne les paffions. CHAPITRE III. Du Stile Froid. Po Our ce qui eft de ce Froid ou Puerile dont nous parlions, Timée en eft tout plein. Cet Auteur eft affez habile homme d'ailleurs; il ne manque pas quelquefois par le Grand & le Sublime: il fçait beaucoup, & dit mefme les choses d'affez bon fens: Si ce n'eft qu'il eft enclin naturellement à reprendre les vices des autres, quoi qu'aveugle pour fes propres defauts, & fi curieux au refte d'eftaler de nouvelles penfées, que cela le fait tomber affez fouvent dans la derniere Puerilité. Je me contenterai d'en donner ici un ou deux exemples: parce que Cecilius en a déja rapporté un affez grand nombre. En voulant louer Alexandre le Grand. Ila, dit-il, conquis toute PAfie en moins de temps, qu'Ifocrate n'en a emploie à compofer fon Panegyrique. Voilà fans mentir une comparaifon admirable d'Alexandre le Grand avec un Rheteur. Par cette raison, Timée, il s'enfuivra que les Lacedemoniens le doivent ceder à Ifocrate : puis qu'ils furent trente ans à prendre la ville de Meffene, & que celui-ci n'en mit que dix à faire fon Panegyrique. Mais à propos des Atheniens qui eftoient prifonniers de guerre dans la Sicile, de quel le |