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Epetit Traite, dont je donne la traduEtion au Public, eft une piece échappée du naufrage de plufieurs autres Livres que Longin avoit compofez. Encore n'eft-elle pas venuë à nous toute entiere. Car bien que le volume ne foit pas gros, il y a plusieurs endroits defectueux, & nous avons perdu le Traité des Paßions, dont l'Auteur avoit fait un Livre apart qui eftoit comme une fuite naturelle de celui-ci. Neanmoins tout defiguré qu'il eft, il nous en reste encore affez, pour nous faire concevoir une fort grande idée de fon Auteur, & pour nous donner un veritable regret de la perte de fes autres Onvrages. Lenombre n'en eftoit pas mediocre. Suidas en conte jufqu'à neuf, dont il ne nous reste plus que des titres affez confus. C'estoient tous Ouvrages de critique. Et certainement on ne sçauroit affez plaindre la perte de ces excellens Originaux, qui, à en juger par celui-ci, devoient estre autant de chef-d'œuvres de bon fens, d'erudition, & d'éloquence. Je dis, d'éloquence; parce que Longin ne s'eft pas contenté, comme Ariftote & Hermoge ne, de nous donner des preceptes tout fecs & depouillez d'ornemens, il n'a pas voulu tomber dans ledefaut, qu'il reproche à Cecilius, qui avoit, ditil, efcrit du Sublime en ftile bas. En traitant des beautez de l'Elocution, il a emploié toutes les finef fes de l'Elocution. Souvent il fait la figure qu'il enfeigne, en parlant du Sublime, il eft lui-mê

me tres-fublime. Cependant il fait cela fi à propos &avec tant d'art,qu'on ne sçauroit l'accufer en pas un endroit de fortir du ftile didactique. C'est ce qui a donné à fon Livre cette haute reputation qu'il s'eft acquife parmi les Sçavans,qui l'ont tous regardé comme un des plus precieux restes de l'Antiqui té fur les matieres de Rhetorique. Cafaubon l'appelle un Livre d'or, voulant marquer par la le poids de ce petit Ouvrage, qui malgré sa petitesse peut eftre mis en balance avec les plus gros volumes.

Außi jamais homme, de fon temps même, n'a efté plus estimé que Longin.Le Philofophe Porphire qui avoit efté fon difciple, parle de lui com me d'un prodige. Si on l'en croit, fon jugement eftoit la regle du bon fens, fes decifions en matiere d'ouvrages paffoient pour des arrefts fouverains, & rien n'estoit bon ou mauvais, qu'autant que Longin l'avoit approuvé ou blamé. Eunapius dans la vie des Sophiftes, paffe encore plus avant. Pour exprimer l'estime qu'il fait de Longin, il fe laiffe emporter à des Hyperboles extravagantes, & ne fçauroit ferésoudre à parler en ftile raisonnable d'un merite außi extraordinaire que celui de cet Auteur. Mais Longin ne fut pas fimplement un Critique habile. Ce fut un Miniftre d'eftat confiderable: & il fuffit, pour faire fon éloge, de dire, qu'il fut fort confideré de Zenobie cette fameuse Reine des Palmyreniens, qui ofa bien fe declarer Reine de l'Orient aprés la mort de fon mari Odenat. Elle avoit appellé d'abord Lon

gin auprés d'elle pour s'inftruire dans la langue Grecque. Mais de fon Maistre en Grec, elle en fit a la fin un de fes principaux Miniftres. Ce fut lui qui encouragea cette Reine a foutenir la qualité de Reine de l'Orient, qui lui rehauffa le cœur dans l'adverfité, & qui lui fournit les paroles altieres qu'elle efcrivit à Aurelian, quand cet Empereur la fomma de fe rendre. Il en coufta la vie à noftre Auteur: Mais fa mort fut également glorienfe pour lui, & honteuse pour Aurelian, dont on peut dire, qu'elle a pour jamais fleftri la memoire. Comme cette mort est une des plus fameux incidens de l'hiftoire de ce temps-là, le Lecteur ne fera peut-eftre pas fâché que je lui rapporte ici ce que Flavius Vopifcus en a efcrit. Cet Auteur raconte, que l'armée de Zenobie & de fes Alliez ayant efté mife en fuite prés de la ville d'Emesse, Aurelian alla mettre le fiege devant Palmyre où cette Princef fe s'eftoit retirée. Il y trouva plus de refiftance qu'il ne s'eftoit imagine, & qu'il n'en devoit attendre vrai-femblablement de la refolution d'une femme. Ennuié de la longueur du fiege, il effaya de l'avoir par compofition. Il efcrivit donc une Lettre à Zenobie, dans laquelle il lui offroit la vie & un lieu de retraite, pourven qu'elle fe rendift dans un certain temps. Zenobie, ajoûte Vopifcus refpondit à cette Lettre avec une fierté plus grande que l'eftat de fes affaires ne le lui permettoit. Elle croioit par la donner de la terreur à Aurelian. Voici fa refponfe.

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ZENOBIE REINE DE L'ORIENT, A L'EMPEREUR AURELIAN. Perfonne juf ques ici n'a fait une demande pareille à la tienne. C'eft la vertu, Aurelian, qui doit tout faire dans la guerre. Tu me commandes de me remettre entre tes mains:comme fi tu ne fçavois pas queCleopatre aima mieux mourir avec le titre de Reine, que de vivre dans toute autre dignité. Nous attendons le fecours des Perfes.Les Sarazins arment pour nous. Les Armeniens fe font déclarés en noftre faveur. Une troupe de voleurs dans la Syrie a defait ton armée. Juge, ce que tu dois attendre, quand toutes ces forces feront jointes. Tu rabatras de cet orgueil avec lequel, comme maistre absolu de toutes chofes, tu m'ordonnes de me rendre. Cette Lettre ajoûte Vopifcus, donna encore plus de colere que de bonte à Aurelian. La ville de Palmire fut prife peu de jours aprés, & Zenobie arrestée, comme elle s'enfuioit chez les Perfes. Toute l'armée demandoit fa mort. Mais Aurelian ne voulut pas deshonorer fa victoire par la mort d'une femme. Il referva donc Zenobie pour le triomphe, & fe contenta de faire mourir ceux qui l'avoient aßistée de leurs confeils. Entre ceux-là, continuë cet Hiftorien, le Philofophe Longin fut extrémement regreté. Il avoit efté appellé auprés de cette Princeffe pour lui enfeigner le Grec. Aurelian le fit mourir pour avoir efcrit la Lettre precedente. Car bien qu'ellefuft efcrite en langue Syriaque, on le foupConnoit d'en eftre l'Auteur. L'Hiftorien Zofimeté

moigne que ce fut Zenobie elle-mefme qui l'en accufa. Zenobie, dit-il, fe voiant arrestée rejetta toute fa faute fur fes Miniftres qui avoient, dit-elle, abufé de la foibleffe de fon efprit. Elle nomma entre autres Longin, celui dont nous avons encore plufieurs efcrits fi utiles. Aurelian ordonna qu'on l'envoiaft au fuplice. Ce grand perfonnage, pourfuit Zofime, fouffrit la mort avec une conftance admirable, jusqu'à confoler en mourant ceux que fon malheur touchoit de pitié d'indignation. Par-là on peut voir que Longin n'eftoit pas feulement un habile Rheteur, comme Quintilien & comme Hermogene, mais un Philofophe capable d'eftre mis en paralele avec les Socrates & les Catons. Son Livre n'a rien qui demente ce que je dis. Le caractere d'honnefte homme y paroift par tout; & fes fentimens ont je ne fçar quoi qui marque non feulement un efprit fublime, mais une ame fort eslevée au deffus du commun. Je n'ay donc point de regret d'avoir emploié quelques unes de mes veilles à débrouiller un fi excellent Ouvrage, que je puis dire n'avoir efté entendu jufqu'ici que d'un tres-petit nombre de Sçavans. Muret fut le prémier qui entreprit de le traduire en Latin à la follicitation de Manuce: mais il n'acheva pas cet Ouvrage, foit parce que les difficultez l'en rebutterent, ou que la mort le furprit auparavant. Gabriel de Petra à quelque temps de la fut plus courageux, c'est à lui qu'on doit la tra

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duction

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