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Mais en vain, pour un temps, une taxe l'exilè :
On le verra bientoft pompeux en cette Ville,
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui,
Et joüir du Ciel méme irrité contre lui.
Tandis que Pelletier crotté jufqu'à l'échine,
S'en va chercher fon pain de cuifine en cuisine:
Sçavant en ce métier fi cher aux beaux Efprits,
Dont Monmaur autrefois fit leçon dans Paris.
Il eft vrai que du Roi la bonté fecoutable
Jette enfin fur la Mufe un regard favorable,
Et reparant du fort l'aveuglement fatal,
Va tirer deformais Phebus de l'hofpital.
On doit tout efperer d'un Monarque fi jufte.
Mais fans un Mecenas, à quoifert un Augufte?
Et fait comme je fuis, au fiecle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaiffer à me fervir d'appui ?
Et puis comment percer cette foule effroiable
De Rimeurs affamés dont le nombre l'accable!
Qui, dés que fa main s'ouvre, y courent les premiers,
Et raviffent un bien qu'on devoit aux derniers.
Comme on voit les Frelons, troupe lâche & sterile,
Aller piller le miel que l'Abeille diftile.,
Ceffons donc d'afpirer à ce prix tant vanté,
Que donne la faveur à l'importunité.

Saint Amand n'eut du ciel que fa veine en partage i
L'habit, qu'il eut fur lui, fut fon feul heritage:
Un lit & deux placets compofoient tout fon bien:
Ou pour en mieux parler Saint Amand n'avoit rien.
Mais quoi las de traîner une vie importune
Il engagea ce rien pour chercher la fortune:

Et tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'un vain efpoir il parut à la Cour.
Qu'arriva-t-il enfin de sa Muse abufée ?
Il en revint couvert de honte & de rifée,
Et la fievre au retour terminant fon deftin,
Fit par avance en lui ce qu'auroit fait la faim.
Un Poëte à la Cour fut jadis à la mode:

Mais des Fous aujourd'hui c'eft le plus incommode:

Et

Et l'efprit le plus beau, l'Auteur le plus poli,
N'y parviendra jamais au fort de l'Angeli.
Faut-il donc deformais jouer un nouveau rôle ?
Dois-je, las d'Apollon, recourirà Bartole,
Et feuilletant Louet allongé par Brodeau,
D'une robe à longs plis balayer le Barreau
Mais à ce feul penfer, je fens que je m'égare.
Moi? que j'aille crier dans ce païs barbare,
Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois
Errer dans les détours d'un Dédale de lois,
Et dans l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond rendu noir par les formes.
Ou Patru gagne moins qu'Uot & le Mazier;
Et dont les Cicerons fe font chez Péfournier.
Avant qu'un tel deffein m'entre dans la penfée,
On pourra voir la Seine à la Saint Jean glacée,
Arnaud à Charenton devenir Huguenot,
Saint Sorlin Janfenifte, & Saint Pavin devot.
Quittons donc pour jamais une Ville importune,
Ou l'Honneur eft en guerre avecque la Fortune:
Ou le Vice orgueilleux s'érige en fouverain,
Et va la mitre en tefte & la croffe à la main :
Oula Science trifte, affreuse, & délaiffée,
Eft par tout des bons lieux comme infame chaffée :
Où le feul art en vogue, eft l'art de bien voler:
Où tout me choque: enfin, où je n'ofe parler.
Et quel homme fi froid ne feroit plein de bile,
A l'afpect odieux des mœurs de cette Ville?
Qui pourroit les fouffrir? & qui pour les blafmer,
Malgré Mufe & Phebus n'apprendroit à rimer ?
Non, non, fur ce fujet, pour écrire avec grace,
Il ne faut point monter au fommet du Parnaffe:
Et fans aller rêver dans le double Vallon,
La colere fuffit, & vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie :
A quoi bon ces grands mots ? Doucement je vous prie;
Ou bien montez en chaire, & là comme un Docteur
Allez de vos fermons endormir l'auditeur ;

C'est

C'est là que bien ou mal, on a droit de tout dire.
Ainfi parle un efprit qu'irrite la Satire,
Qui contre les défauts croit eftre en feureté,
En raillant d'un cenfeur la trifte aufterité:

Qui fait l'homme intrepide,& tremblant de foibleffe,
Attend pour croire en Dieu que la fievre le preffe ;
Et toûjours dans l'orage au Ciel levant les mains,
Dés que l'air eft calme, rit des foibles Humains.
Car de penfer alors qu'un Dieu tourne le monde
Et regle les refforts de la machine ronde,
Ou qu'il eft une vie au delà du trepas,

C'eft là tout haut du moins ce qu'il n'avoûra pas.
Pour moi qu'en fanté mefme un autre monde étonne,
Qui.crois l'ame-immortelle, & que c'eft Dieu qui tonne:
Il vaut mieux, pour jamais me bannir de ce lieu.
Je me retire donc. Adieu Paris, Adieu.

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SATIRE II.

A M. DE MOLIERE.

Rfree amerivant travail de la peines

Are & fameux Efprit, dont la fertile veine

Pour qui tient Apollon tous les trésors ouvers:
Et qui fçais à quel coin fe marquent les bons vers.
Dans les combats d'efprit, fçavant Maistre d'efcrime,
Enfeigne-moi, Moliere, où tu trouves la Rime.
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher :
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et fans qu'un long détour t'arrefte, ou t'embarrasse,
A peine as-tu parlé, qu'elle-même s'y place.
Mais moi qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchez, je croi, fit devenir Rimeur:
Dans ce rude métier, où mon efprit fe tue,
En vain pour la trouver, je travaille, & je fuë.
Souvent j'ai beau rêver du matin jufqu'au foir:
Quand je veux dire blanc, la quinteufe dit noir :
Si je veux d'un Galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'Abbé de Pure:
Si je penfe exprimer un Auteur fans defaut,
La raifon dit Virgile, & la rime Quinaut.
Enfin quoi que je faffe, ou que je veuille faire ;
La bizarre toûjours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois ne pouvant la trouver,
Trifte, las, & confus, je ceffe d'y réver:
Et maudiffant vingt fois le Demon qui m'infpire,
Je fais mille fermens de ne jamais écrire:
Mais quand j'ai bien maudit & Muses & Phebus,
Je la voi qui paroift, quand je n'y penfe plus.
Auffi-toft, malgré moi, tout mon feu fe rallume:
Je reprends fur le champ le papier & la plume,
Et de mes vains fermens perdant le fouvenir,
J'attens de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor, fi pour rimer, dans fa verve indiscrete,

Ma

Ma Mufe au moins fouffroit une froide epithete:
Je ferois comme un autre ; & fans chercher fi loin,
J'aurois toûjours des mots, pour les coudre au befoin.
Si je loüois Philis, En miracles feconde..

Je trouverois bientoft, A nulle autre feconde.
Si je voulois vanter un objet Nompareil ;
Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toûjours d'Aftres & de Merveilles.
De Chef-d'œuvres des Cieux, de Beautez fans pareilles,
Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard,
Je pourrois aifément, fans genie, & fans art,
Et tranfpofant cent fois & le Nom & le Verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe.
Mais mon efprit tremblant fur le choix de fes mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos :
Et ne fçauroit fouffrir, qu'une phrafe infipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide.
Ainfi, recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier dont la verve infenfée
Dans les bornes d'un vers renferma fa pensée,
Et donnant à fes mots une étroite prifon,
Voulut avec la Rime enchaîner la Raison.
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,
Mes jours pleins de loifir couleroient fans envie
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant,
Et comme un gras Chanoine, à mon aife, & content,
Paffer tranquillement, fans fouci, fans affaire,
La nuit bien dormir, & le jour à rien faire,
Mon cœur exempt de foins, libre de paffion,
Sçait donner une borne à fon ambition,
Et fuiant des grandeurs la prefence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la Fortune:
Et je ferois heureux, fi, pour me confumer,
Un Deftin envieux ne m'avoit fait rimer.

Mais depuis le moment que cette frenesie,
De fes noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu'un Demon jaloux de mon contentement,

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