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Illuftre Porte-croix, par qui noftre banniere
N'a jamais en marchant fait un pas en arriere,
Un Chanoine lui feul triomphant du Prelat
Du rochet à nos yeux ternira-t-il l'éclat?
Non, non, pour te couvrir de fa main redoutable,
Accepte de mon corps l'épaiffeur favorable.
Vien, & fous ce rempart à ce Guerrier hautain
Fais voler ce G ** qui me refte à la main.
A ces mots il lui tend le doucereux ouvrage.
Le Sacriftain boüillant de zele & de courage
Le prend, fe cache, approche, & droit entre les yeux
Frappe du noble écrit l'Athlete audacieux:
Mais c'eft pour l'ébranler une foible tempefte.
Le livre fans vigueur mollit contre fa teste.
Le Chanoine les void de colere embrazés.
Attendés, leur dit-il, Couple lâche & rufé,
Et jugés fi ma main aux grands exploits novice
Lance à mes Ennemis un livre qui mollisse.
A ces mots il faifit un viel Infortiat
Groffi des vifions d'Accurfe & d'Alciat,
Inutile ramas de Gothique écriture,

Dont quatre ais mal unis formoient la couverture,
Entourrée à demi d'un vieux parchemin noir,
Où pendoit à trois clous un refte de fermoir.
Sur l'ais qui le foûtient auprés d'un Avicenne
Deux des plus forts Mortels l'ébranleroient à peine.
Le Chanoine pourtant l'enleve fans effort,
Et fur le Couple pafle, & déja demi-mort
Fait tomber à deux mains l'effroiable tonnerre.
Les Guerriers de ce coup vont mesurer la Terre,
Et du bois & des clous meurtris & déchirés,
Long-temps, loin du Perron, roulent fur les degrés.
Au fpectacle eftonnant de leur cheute imprevue
Le Prelat pouffe un cri qui penetre la nuë.

Il maudit dans fon cœur le Demon des combats,
Et de l'horreur du coup il recule fix pas.
Mais bien-toft rappelant fon antique prouëfle
Il tire du manteau fa dextre vengereffe,

11 part, & de fes doigts faintement alongés
Benit tous les Passans en deux files rangés.
Il fait que l'Enuemi, que ce coup va furprendre,
Deformais fur fes piés ne l'oferoit attendre,
Et déja void pour lui tout le Peuple en couroux
Crier aux Combattans! Prophanes, A genoux.
Le Chantre qui de loin void approcher l'orage,
Dans fon cœur éperdu cherche en vain du courage:
Sa fierté l'abandonne, il tremble, il cede, il fuit,
Le long des facrés murs fa brigade le fuit,

Tout s'écarte à l'inftant: mais aucun n'en rechappe,
Par tout le doigt vainqueur les fuit & les ratrappe.
Evrard feul en un coin prudemment retiré

Se croioit à couvert de l'infulte facré :

Mais le Prelat vers lui fait une marche adroite.
Il l'obferve de l'œil, & tirant vers la droite,
Tout d'un coup tourne à gauche, & d'un bras fortuné.
Benit fubitement le Guerrier confterné.
Le Chanoine furpris de la foudre mortele
Se dreffe, & leve envain une tefte rebelle:
Sur fes genoux tremblans il tombe à cet afpect,
Et donne à la frayeur ce qu'il doit au refpect.
Dans le Temple auffi-toft le Prelat plein de gloire
Va goufter les doux fruits de fa fainte victoire,
Et de leur vain projet les Chanoines punis
S'en retournent chés eux éperdus, & benis.

CHANT VI.

CHANT T VI.

Tha Piete fincere aux Alpes retirée.

Andis que tout confpire à la guerre facrée,

*

Du fond de fon defert entend les tristes cris
De fes Sujets cachés dans les murs de Paris.
Elle quite à l'inftant fa retraite divine.
La Foi d'un pas certain devant elle chemine.
L'Efperance au front gay l'appuie & la conduit,
Et la bourfe à la main la Charité la fuit.
Vers Paris elle vole, & d'une audace fainte
Vient aux piés de Themis proferer cette plainte.
Vierge, effroi des Méchans, appui de mes autels,
Qui la balance en main regles tous les Mortels,
Ne viendrai-je jamais, en tes bras falutaires,
Que pouffer des foûpirs & pleurer mes miferes ?
Ce n'eft donc pas affés, qu'au mépris de tes loix,
L'Hypocrifie ait pris & mon nom & ma voix,
Que fous ce nom facré par tout fes mains avares
Cherchent à me ravir croffes, mitres, thiares?
Faudra-t-il voir encor cent Monftres furieux
Ravager mes Eftats ufurpés à tes yeux ?
Dans les temps orageux de mon naiffant Empire
Au fortir du baptême on couroit au martyre.
Chacun plein de mon nom ne refpiroit que moi.
Le Fidele attentif aux regles de fa loi,
Fuiant des vanités la dangereufe amorce,
Aux honneurs appelé n'y montoit que par force.
Ces cœurs que les Boureaux ne faifoient point fremir
A l'offre d'une mitre eftoient prests à gemir,
Et fans peur des travaux, fur mes traces divines,
Couroient chercher le Ciel au travers des épines.
Mais depuis que l'Eglife eut aux yeux des Mortels
De fon fang en tous lieux cimenté les autels,

* La grande Chartreuse eft dans les Alpes,

Le

Le calme dangereux fuccedant aux orages,
Une lafche tiedeur s'empara des courages:
De leur zele bruflant l'ardeur fe ralentît:
Sous le joug des pechés leur foi s'appefantît;
Le Moine fecoüa le cilice & la haire:

Le Chanoine indolent apprit à ne rien faire:
Le Prelat par la brigue aux honneurs parvenu
Ne fceut plus qu'abufer d'un ample revenu,
Et pour toutes vertus fit au dos d'un carroffe,
A cofté d'une mitre armorier fa croffe.
L'Ambition par tout chaffa l'Humilité,
Dans la craffe du froc logea la Vanité.
Alors de tous les cœurs l'union fut détruite.
Dans mes cloiftres facrés la Difcorde introduite
Y baftit de mon bien fes plus feurs arsenaux,
Traîna tous mes Sujets au pié des Tribunaux:
Envain à fes fureurs j'oppofai mes prieres,
L'Infolente à mes yeux marcha fous mes Bannieres
Pour comble de mifere, un tas de faux Docteurs
Vint flatter les pechés de difcours imposteurs,
Infectant les Efprits d'execrables maximes,
Voulut faire à Dieu même approuver tous les crimes.
Une fervile peur tint lieu de Charité.

Le befoin d'aimer Dieu paffa pour nouveauté.
Et chacun à mes piés, confervant fa malice,
N'apporta de vertu que l'aveu de fon vice.

Pour éviter l'affront de ces noirs attentats
Je vins chercher le calme au fejour des frimats,
Sur ces Monts entourés d'une eternele glace,
Où jamais au Printemps les Hyvers n'ont fait place;
Mais jufques dans la nuit de mes facrés Deserts
Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs.
Aujourd'hui mefme encor, une voix trop fidele
M'a d'un trifte defaftre apporté la nouvele.

J'apprens que dans ce Temple où le plus faint des Rois
Confacra tout le fruit de fes pieux exploits,

*S. Louis fondateur de la fainte Chapelle.

Et

M

Et fignala pour moi fa pompeufe largeffe,
L'implacable Difcorde & l'infame Molleffe
Foulant aux piés les loix, l'honneur & le devoir
Ufurpent en mon nom le fouverain pouvoir.
Soufriras-tu, ma Soeur, une action fi noire ?
Quoi? ce Temple à ta porte élevé pour ma gloire,
Ou jadis des Humains j'attirois tous les vœux,
Sera de leurs combats le theatre honteux ?
Non, non, il faut enfin que ma vangeance éclate.
Affez & trop long-temps l'impunité les flatte.
Pren ton glaive, & fondant fur ces Audacieux.
Vien, aux yeux des Mortels juftifier les Cieux,

Ainfi parle à få Soeur cette Vierge enflammée.
La grace eft dans fes yeux d'un feu pur allumée.
Themis fans differer lui promet fon fecours,
La flatte, la raffure, & lui tient ce difcours,

Chere & divine Sœur, dont les mains fecourables
Ont tant de fois feché les pleurs des Miserables?
Pourquoi Toi mefme en proie à tes vives douleurs
Cherches-tu fans raifon à groffir tes malheurs ?
Envain de tes fujets l'ardeur eft ralentie,
D'un ciment eternel ton Eglife eft bastie,
Et jamais de l'Enfer les noirs fremissemens
N'en fçauroient ébranler les fermes fondemens.
Au milieu des combats, des troubles, des quereles
Ton nom encor cheri vit au sein des Fideles.
Croi-moi; dans ce Lieu même où l'on veut t'opprimer,
Le trouble qui t'eftonne eft facile à calmer,
Et pour y rappeler la Paix tant defirée,

Je vais t'ouvrir, ma Sœur, une route affurée,
Prefte moi donc l'oreille, & retien tes foûpirs.
Vers ce Temple fameux fi cher à tes defirs
Ou le Ciel fut pour toi fi prodigue en miracles,
Non loin de ce Palais où je rens mes oracles,
Eft un vafte fejour des Mortels reveré,

Et de Clients foûmis à toute heure entouré.
Là, fous le faix pompeux de ma pourpre honorable
Veille au foin de ma gloire un Homme incomparable.

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