Quoi? méme dans ton lit, Cruel, entre deux draps, Ta profane fureur ne fe repofe pas?
O Ciel ! quoi ? fur mon banc une honteuse masse Deformais me va faire un cachot de ma place? Inconnu dans l'Eglife, invifible en ce lien Je ne pourrai donc plus eftre vû que de Dieu ? Ah! plûtoft qu'un moment cet affront m'obscurciffe, Renonçons à l'autel, abandonnons l'Office, Et fans laffer le Ciel par des chants fuperflus, Ne voions plus un Chour, où l'on ne nous void plus. Sortons. Mais cependant mon Ennemi tranquile Jouira fur fon banc de ma rage inutile,
Et verra dans le Chour le Pupitre exhauffé Tourner fur le pivot où fa main l'a placé. Non, s'il n'eft abbatu, je ne fçaurois plus vivre. A moi, Girot. Je veux que mon bras m'en delivre. Periffons s'il le faut : mais de fes ais brifez Entraînons, en mourant, les reftes divisez.
A ces mots, d'une main par la rage affermic, Il alloit terraffer la Machine ennemie, Lors qu'en ce facré lieu, par un heureux hazard, Entrent Jean le Chorifte; & le Sonneur Girard Qui de tout temps pour lui bruflant d'un même zele, Gardent pour le Prelat une haine fidele.
Al'Afpect du Lutrin tous deux tremblent d'horreur. Du Vieillard toutefois ils blâment la fureur. Abattons, diferit-ils, fa fuperbe machine:
Mais ne nous chargeons pas tous feuls de fa ruïne, Et que tantoft aux yeux du Chapitre affemblé
Il foit fous trente mains en plein jour accablé.
Ces mots des mains du Chantre arrachent le Pupitre. J'y confens, leur dit-il, affemblons le Chapitre. Sus donc, allez tous deux, par de faints hurlemens, Reveiller de ce pas les Chanoines dormans. Partez. Mais à ce mot, les Champions pafliffent: De l'horreur du peril leurs courages fremiffent.
Ah! Seigneur, dit Girard, que nous demandez-vous ? De grace moderez un aveugle couroux.
Nous pourrions réveiller des Chantres & des Moines: Mais méme avant l'Aurore éveiller des Chanoines? Qui jamais l'entreprit ? Qui l'oferoit tenter ? Eft-ce un projet, ô Ciel ! qu'on puiffe executer? He! Seigneur: quand nos cris pourroient du fond des
De leurs appartemens percer les avenuës: Apeller ces valets autour d'eux eftendus, De leur facré repos miniftres affidus, Et penetrer ces licts au bruit inacceffibles: Penfez-vous, au moment que ces Dormeurs paisibles. De la tefte une fois preffent un oreiller,
Que la voix d'un mortel puiffe les réveiller?
Deux Chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire, Ce que depuis trente ans fix cloches n'ont pû faire ? Ah! je voy bien où tend tout ce di cours trompeur, Reprend le chaud Vieillard, le Prelat Vous fait peur, Je vous ay vû cent fois fous fa main beniffante Courber fervilement une épaule tremblante. Hé bien, allez, fous lui fléchiffez les genoux. Je fçaurai reveiller les Chanoines fans vous. Vien, Girot, feul ami qui me refte fidele. Prenons du faint Jeudi la bruiante Creffele. Sui-moi. Qu'à fon lever le Soleil aujourd'hui Trouve tout le Chapitre eveillé devant lui.
Il dit. Du fond poudreux d'une armoire facrée Par les mains de Girot la Creffelle eft tirée. Ils fortent à l'inftant, & par d'heureux efforts Du lugubre inftrument font crier les refforts, Pour augmenter l'effroi, la Difcorde infernale Monte dans le Palais, entre dans la grand' Sale, Et du fond de cet autre, au travers de la nuit, Fait fortir le Demon du tumulte & du bruit. Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui formeillent. Déja de toutes parts les Chanoines s'éveillent : L'un croit que le tonnerre eft tombé fur les toits, Et que l'Eglife brufle une feconde fois.
* Instrument dont on se fert le Ieudi faint au lieu des Cloches.
L'autre encor agité de vapeurs plus funebres
Penfe eftre au Jeudy faint, croit que l'on dit Tenebres, Et déja tout confus tenant midi fonné,
En foi-même fremit de n'avoir point difné.
Ainfi, lors que tout preft à brifer cent murailles, LOUIS, la foudre en main, abandonnant Versailles, Au retour du Soleil & des Zephirs nouveaux, Fait dans les champs de Mars déploier fes drapeaux: Au feul bruit repandu de fa marche eftonnante, Le Danube s'émeut, le Tage s'épouvante, Bruxelle attend le coup qui la doit foudroier, Et le Batave encor eft preft à le noyer.
Mais en vain dans leurs licts un jufte effroi les preffe: Aucun ne laiffe encor la plume enchantereffe. Pour les en arracher Girot s'inquietant
Va crier qu'au Chapitre un repas les attend. Ce mot dans tous les cœurs répand la vigilance: Tout s'ébranle, tout fort, tout marche en diligence. Ils courent au Chapitre, & chacun fe preffant, Flate d'un doux efpoir fon appetit naiffant. Mais, ô d'un déjeuner vaine & frivole attente: A peine ils font affis, que d'une voix dolente, Le Chantre défolé lamentant fon malheur, Fait mourir l'appetit, & naiftre la douleur. Le feul Chanoine Evrard d'abftinence incapable, Ofe encor propofer qu'on apporte la table. Mais il a beau preffer, aucun ne lui refpond. Quand le premier rompant ce filence profond, Alain touffe, & fe leve, Alain ce fçavant homme, Qui de Bauni vingt fois a leu toute la Somme, Qui poflede Abely, qui fçait tout Raconis, Et mefme entend, dit-on, le Latin d'Akempis.
N'en doutez point, leur dit ce fçavant Canonifte, Ce coup part, j'en fuis feur, d'une main Janfenifte, Mes yeux en font témoins : j'ay vû moi-même hier Entrer chez le Prelat le Chapelain Garnier. Arnaud, cet Heretique ardent à nous détruire, Par ce Miniftre adroit tente de le feduire.
Sans doute il aura leu dans fon faint Auguftin Qu'autrefois Saint Louis érigea ce Lutrin. Il va nous inonder des torrens de fa plume.
Il faut, pour luy répondre, ouvrir plus d'un volume. Confultons fur ce point quelque Auteur figualé. Voions, fi des Lutrins Bauny n'a point parlé. Estudions enfin, il en eft temps encore,
Et pour ce grand projet, tantoft dés que l'Aurore Rallumera le jour dans l'Onde enfeveli, Que chacun prenne en main le moëleux Abeli.* Ce confeil'impreveu de nouveau les eftonne. Sur tout le gras Evrard d'épouvante en friffonne. Moi ? dit-il, qu'à mon âge Ecolier tout nouveau J'aille pour un Lutrin me troubler le cerveau ? Ole plaifant confeil! non, non, fongeons à vivre; Va maigrir, fi tu veux, & fecher fur un livre. Pour moi, je lis la Bible autant que l'Alcoran : Je fçai ce qu'un Fermier nous doit rendre par an: Sur quelle vigue à Rheims nous avons hypotheque. Vingt muids rangez chez moi font ma Bibliotheque. En plaçant un Pupitre on croit nous rabaifler, Mon bras feul fans Latin fçaura le reùverfer.
Que m'importe qu'Arnaud me condamne ou m'approuve ?
J'abbats ce qui me nuit par tout où je le trouve. C'eft-là mon fentiment. A quoi bon tant d'apprefts? Du refte déjeunons, Meffieurs, & benvons frais. Ce difcours, que foûtient l'embonpoint du visage, Reftablit l'appetit, rechauffe le courage: Mais le Chantre fur tout en paroist raflure. Oui, dit-il, le Pupitre a déja trop duré. Allons fur fa ruine affurer ma vengeance. Donnons à ce grand œuvre une heure d'abstinence, Et qu'au retour tantoft un ample déjeuner Long-temps nous tienne à table, & s'uniffe au difner. Auffi-toft il fe leve, & la Troupe fidele,
Par ces mots attirans fent redoubler fon zele.
*Fameux Auteur qui a fait la MoëleTheologique. Medulla Theolog.
Ils marchent droit au Chœur d'un pas audacieux, Et bien-toft le Lutrin fe fait voir à leurs yeux. A ce terrible objet aucun d'eux ne confulte. Sur l'ennemi commun ils fondent en tumulte. Ils fappent le Pivot qui fe deffend envain, Chacun fur lui d'un coup veut honorer fa main. Enfin fous tant d'effors la Machine fuccombe, Et fon corps entrouvert chancele, éclate, & tombe. Tel fur les monts glacez des farouches Gulons Tombe un chefne battu des voifins Aquilons. Ou tel abandonné de fes poutres ufées Fond enfin un vieux toit lous fes tuiles brifées. La Maffe eft emportée, & fes ais arrachez Sont aux yeux des Mortels chez le Chantre cachez.
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