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Dans fon hardi projet toutefois il s'obstine:
Lorfque des flancs poudreux de la vafte machine
L'Oifeau fort en couroux, & d'un cri menaçant
Acheve d'eftonner l'Horloger pafliffant.
De fes aifles dans l'air fecoüant la pouffiere,
Dans la main de Boirude il efteint la lumiere.
Les Guerriers à ce coup demeurent confondus:
Ils regagnent la Nef de frayeur éperdus.

Sous leurs corps tremblotans leurs genoux s'affoibliffent,
D'une fubite horreur leurs cheveux fe heriffent:
Et bien toft, au travers des ombres de la nuit,
Le timide Efcadron fe diffipe & s'enfuit.

Ainfi lorfqu'en un coin, qui leur tient lieu d'azile,
D'Ecoliers libertins une Troupe indocile,
Loin des yeux d'un Prefet au travail affidu,
Va tenir quelquefois un Brelan deffendu :
Si du veillant Argus la figure effraiante,
Dans l'ardeur du plaifir à leurs yeux fe prefente,
Le jeu ceffe à l'inftant, l'azile eft deferté.
Et tout fuit à grands pas le Tyran redouté.
La difcorde, qui void lear honteufe difgrace,
Dans les airs cependant tonne, éclate, menace:
Et malgré la fraieur dont leurs cœurs font glacez,
S'apprefte à reünit fes Soldats difperfez.
Aufli-toft de Sidrac elle emprunte l'image:
Elle ride fon front, alonge fon vifage,
Sur un baton noüieux laiffe courber fon corps,
Dont la Chicane femble animer les refforts,
Prend un cierge en fa main, & d'une voix caffée,
Vient ainfi gourmander la Troupe terraffée.

Lafches, où fuiés-vous ? Quelle peur vous abbat?
Aux cris d'un vil Qifeau vous cedez fans combat.
Où font ces beaux difcours jadis fi pleins d'audace?
Craignez-vous d'un Hibou l'impuiflante grimace?
Que feriez-vous, helas! fi quelque exploit nouveau
Chaque jour, comme moi, vous traînoit au Barreau
S'il faloit fans amis, briguant une audience,
D'un Magiftrat glacé foûtenir la prefence:

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Ou d'un nouveau procez, hardi Solliciteur,
Aborder fans argent un Clerc de Rapporteur ?
Croiez-moi, mes Enfans: Je vous parle à bon titre.
J'ai moi feul autrefois plaidé tout un Chapitre:
Et le Barreau n'a point de monftres fi hagards,
Dont mon œil n'ait cent fois foûtenu les regards.
Tous les jours fans trembler j'affiegeois leurs paffages.
L'Eglife eftoit alors fertile en grands courages.
Le moindre d'entre noust fans argent,
fans appui,
Euft plaidé le Prelat & le Chantre avec lui.
Le monde, de qui l'âge avance les ruïnes,
Ne peut plus enfanter de ces ames divines:
Mais que vos cœurs du moins imitant leurs vertus,
De l'alpect d'un Hibou ne foient pas abbatus.
Songez, quel deshonneur va foüiller voftre gloire,
Quand le Chantre demain entendra fa victoire.
Vous verrez tous les jours, le Chanoine infolent,
Au feul mot de Hibou, vous fourire en parlant.
Voftre ame
ce penfer de colere murmure:
Allez donc de ce pas en prevenir l'injure.
Meritez les lauriers qui vous font refervez,
Et reflouvenez-vous quel Prelat vous fervez.
Mais déja la fureur dans vos yeux eftincele.
Marchez, courez, volez où l'honneur vous appele.
Que le Prelat furpris d'un changement fi prompt
Apprenne la vengeance auffi-toft que l'affront.
En achevant ces mots, la Deeffe guerriere
De fon pié trace en l'air un fillon de lumiere,
Rend aux trois Champions leur intrepidité,
Et les laiffe tous pleins de fa Divinité.

à

C'eft ainfi, grand Condé, qu'en ce combat celebre, Ou ton bras fit trembler le Rhin, l'Escaut, & l'Ebre : Lors qu'aux plaines de Lens nos bataillons pouffez Furent prefque à tes yeux ouverts & renversez: Ta Valeur arreftant les Troupes fugitives, Rallia d'un regard leurs cohortes craintives: Repandit dans leurs rangs ton efprit belliqueux, Et força la Victoire à te fuivre avec eux.

La

La colere à l'instant fuccedant à la crainte, Ils rallument le feu de leur bougie efteinte. Ils rentrent. L'Oyfeau fort. L'Escadron raffermi Rit du honteux départ d'un fi foible Ennemi. Auffi-toft dans le Chœur la Machine emportée Eft fur le banc du Chantre à grand bruit remontée, Ses ais demi pouris, que l'âge a relâchez, Sont à coups de maillet unis & raprochez. Sous les coups redoublez tous les bancs retentiffent, Les murs en font émûs, les voûtes en mugiffent, Et l'Orgue même en pouffe un long gemiffement. Que fais-tu Chantre, Helas! dans ce trifte moment? Tudors d'un profond fomme, & ton cœur fans alarmes Ne fçait pas qu'on baftit l'inftrument de tes larmes. O! que fi quelque bruit, par un heureux reveil, T'annonçoit du Lutrin le funefte appareil! Avant que de fouffrir qu'on en pofast la masse; Tu viendrois en Apoftre expirer dans ta place, Et martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau. Offrir ton corps aux clous, & ta tefte au marteau. Mais déja fur ton banc la Machine enclavée Eft durant ton fommeil à ta honte enlevée. Le Sacriftain acheve en deux coups de rabot: Et le Pupitre enfin tourne sur son pivot.

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CHANT

I V.

Es Cloches dans les airs de leurs voix argentines,

Lapelloient à grand bruit des Chantres à Matines:

Quand leur Chef agité d'un fommeil effraiant,
Encor tout en fueur, fe reveille en criant.
Aux élans redoublez de fa voix douloureuse,
Tous fes Valets tremblans quittent la plume oifeufe.
Le vigilant Girot court à lui le premier.

C'eft d'un Maiftre fi faint le plus digue Officier.
La porte dans le Chœur à fa garde eft commife:
Valet fouple au logis, fier Huiflier à l'Eglife.

Quel chagrin, lui dit-il, trouble vostre sommeil ?
Quoi? voulez-vo
vous au Chour prevenir le Soleil ?
Ah! dormez: & laiffez à des Chantres Vulgaires,
Le foin d'aller fi-toft meriter leurs falaires.

Ami, lui dit le Chantre encor pafle d'horreur,
N'infulte point, de grace, à ma jufte terreur.
Méle plûtoft ici tes foupirs à mes plaintes,
Et tremble en écoutant le fujet de mes craintes.
Pour la feconde fois un fommeil gracieux
Avoit fous fes pavots appefanti mes yeux:
Quand l'efprit enyvre d'une douce fumée
J'ai crû remplir au Choeur ma place accoûtumée.
Là triomphant aux yeux des Chantres impuiffans,
Je beniffois le peuple, & j'avalois l'encens:
Lorfque du fond caché de noftre Sacristie,
Une épaiffe nuée à longs flots eft fortie,

Qui s'ouvrant à mes yeux dans fon bluastre éclat,
M'a fait voir un Serpent conduit par le Prelat.
Du corps de ce Dragon plein de fouffre & de nitre,
Une tefte fortoit en forme de Pupitre,
Dont le triangle affreux tout heriffé de crins,
Surpaffoit en groffeur nos plus épais Lutrins.
Animé par fon guide en fiflant il s'avance:
Contre moi fur mon banc, je le voi qui s'eflance.

J'ai crié, mais envain: & fuiant fa fureur,
Je me fuis réveillé plein de trouble & d'horreur.
Le Chantre s'arreftant à cet endroit funefte
A fes yeux effraiez laisse dire le reste.
Girot en vain l'affure, & riaut de fa peur,
Nomme fa vifion l'effet d'une vapeur,
Le defolé Vieillard qui hait la raillerie,
Lui defend de parler, fort du lit en furie.
On apporte à l'inftant fes fomptueux habits,
Où fur l'oüate molle éclate le tabis:
D'une longue foutane il endoffe la moire,
Prend fes gants violets, les marques de fa gloire,
Et faifit en pleurant ce rochet, qu'autrefois
Le Prelat trop jaloux lui rogna de trois doigts.
Auffi-toft d'un bonnet ornant fa tefte grife,
Déja l'aumusse en main il marche vers l'Eglife,
Et haftant de les ans l'importune langueur,
Court, vole & le premier arrive dans le Chœur.
OToi,qui fur ces bords qu'une eau dormante moüille,*
Vis combatre autrefois le Kat & la Grenouille :
Qui par les traits hardis d'un bizarre pinceau
Mis l'Italie en feu pour la perte d'un Seau: †
Mufe, prête à ma bouche une voix plus fauvage,
Pour chanter le dépit, la colere, la rage,
Que le Chantre fentit allumer dans fon fang
A l'afpect du Pupitre eflevé fur fon banc.
D'abord pafle & muët, de colere immobile,
A force de douleur, il demeura tranquile :
Mais fa voix s'échapant au travers des fanglots,
Dans fa bouche à la fin fit paffage à ces mots.
La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable,
Que m'a fait voir un fonge, helas! trop veritable.
Je le voi ce Dragon tout preft à m'égorger,
Ce Pupitre fatal qui me doit ombrager.
Prelat, que t'ai-je fait ? Quelle rage envieufe
Rend pour me tourmenter ton ame ingenieufe?

H3

*Hemere a fait la guerre, des Rats & des Grenouilles. + La Secchia rapite. Poëme Ital.

Quoi?

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