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Oui, pour mieux m'égorger, il prend mes propres ar

mes.

Le Prelat à ces mots verfe un torrent de larmes. Il veut, mais vainement pourfuivre fon discours. Ses fanglots redoublez en arreftent le cours. Le zele Gilotin, qui prend part à fa gloire, Pour lui rendre la voix fait rapporter à boire. Quand Sidrac, à qui l'âge alonge le chemin, Arrive dans la chambre, un bafton à la main. Ce vieillard dans le Choeur a déja vû quatre âges: Il fçait de tous les temps les differens ufages: Et fon rare fçavoir, de fimple Marguillier, L'efleva par degrez au rang de Cheffecier. A l'afpect du Prelat qui tombe en defaillance, Il devine fon mal, il se ride, il s'avance, Et d'un ton paternel reprimant fes douleurs: Laiffe au Chantre, dit-il, la trifteffe & les pleurs, Prelat, & pour fauver tes droits & ton Empire, Ecoute feulement ce que le Ciel m'infpire. Vers cet endroit du Choeur, où le Chantre orgueilleux Montre, affis à ta gauche, un front fi fourcilleux, Sur ce rang d'ais ferrez qui forment fa closture, Fut jadis un Lutrin d'inégale ftructure, Dont les flancs eflargis, de leur vafte contour Ombrageoient pleinement tous les lieux d'alentour. Derriere ce Lutrin, ainfi qu'au fond d'un antre, A peine fur fon banc on discernoit le Chantre : Tandis qu'à l'autre banc le Prelat radieux Découvert au grand jour attiroit tous les yeux. Mais un Demon fatal à cette ample machine, Soit qu'une main la nuit euft hafté fa ruine, Soit qu'ainfi de tout temps l'ordonnast le deftin, Fit tomber à nos yeux le Pupitre un matin. J'eus beau prendre le Ciel & le Chantre à partie: Il falut l'emporter dans noftre Sacristie, Où depuis trente hyvers fans gloire enfeveli, Il languit tout poudreux dans un honteux oubli.

* C'eft celui qui a foin des Chapos & de la Cire.

Enten

Enten-moi donc, Prelat. Dés que l'ombre tranquille
Viendra d'un crefpe noir envelopper la ville:
Il faut que trois de nous fans tumulte, & fans bruit,
Partent à la faveur de la naiflante nuit,

Et du Lutrin rompu reünissant la maffe,
Aillent d'un zele adroit le remettre en la place.
Si le Chantre demain ofe le renverfer,
Alors de cent Arrefts tu le peux terraffer.
Pour foûtenir tes droits, que le Ciel authorife,
Abîme tout plûtoft, c'eft l'efprit de l'Eglife.
C'eft par là qu'un Prelat fignale fa vigueur.
Ne borne pas ta gloire à prier dans un Choeur.
Ces vertus dans Aleth peuvent eftre en ufage:
Mais dans Paris, plaidons : c'est là noftre partage.
Tes benedictions dans le trouble croiffant,
Tu pourras les repandre & par vingt, & par cent:
Et pour braver le Chantre en fon orgueil extrême,
Les répandre à fes yeux, & le benir lui-même,
Ce difcours auffi-toft frappe tous les efprits,
Et le Prelat charmé l'approuve par des cris.
Il veut que fur le champ dans la troupe on choififfe
Les trois que Dieu deftine à ce pieux office.
Mais chacun pretend part à cet illuftre emploi:
Le fort, dit le Prelat, vous fervira de loi.
Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire.
Il dit, on obeït, on fe preffe d'écrire.
Auffi-toft trente noms fur le papier tracez
Sont au fond d'un bonnet par billets entaffez,
Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,
Guillaume enfant de Choeur prête fa main novice.
Son front nouveau tondu, fymbole de candeur,
Rougit en approchant d'une honnefte pudeur.
Cependant le Prelat, l'œil au Ciel, la main nuë,
Benit trois fois les noms, & trois fois les remuë.
Il tourne le bonnet. L'Enfant tire : & Brontin
Eft le premier des noms qu'apporte le Destin.
Le Prelat en conçoit un favorable augure,
Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.

On

On fe taift, & bien-toft on void paroistre au jour
Le nom le fameux nom de l'Horloger la Tour.
Ce nouvel Adonis, à la taille legere,

Eft l'unique fouci d'Anne fon Horlogere.
Ils s'adorent l'un l'autre, & ce couple charmant
S'unit long-temps, dit-on, avant le Sacrement:
Mais depuis trois moiflons, à leur faint assemblage
L'Official a joint le nom de mariage.

Cet Horloger fuperbe eft l'effroi du cartier,
Et fon courage eft peint fur fon vifage altier.
Un des noms refte encor, & le Prelat par grace
Une derniere fois les brouille & les refaffe.
Chacun croit que fon nom eft le dernier des trois.
Mais que ne dis-tu point, ô puiffant porte-croix,
Boirude Sacriftain, cher apui de ton Maistre,
Lors qu'aux yeux du Prelat tu vis ton nom paraistre?
On dit, que ton front jaune, & non teint fans couleur
Perdit en ce moment fon antique pafleur,

Et que ton corps gouteux plein d'une ardeur guerriere,
Pour fauter au plancher fit deux pas en arriere.
Chacun benit tout haut l'Arbitre des Humains
Qui remet leur bon droit en de fi bonnes mains.
Auffi-toft on fe leve, & l'Assemblée en foule,
Avec un bruit confus, par les portes s'écoule.

Le Prelat refté feul calme un peu fon dépit,
Et jufques au fouper fe couche & s'affoupit.

CHANT

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CHANTI I.

Cependant cet Oyfeau qui profne les merveilles,

Ce monftre compofé de bouches & d'oreilles,
Qui fans ceffe volant de climats en climats,
Dit par tout ce qu'il fait, & ce qu'il ne fçait pas,
La renommée enfin, d'une courfe legere,
Va porter la terreur au fein de l'Horlogere:
Lui dit que fon Epoux d'un faux zele conduit,
Pour placer un Lutrin doit veiller cette nuit.
A ce trifte recit tremblante, defolée,

Elle accourt l'œil en feu, la tefte eschevelée,
Et trop feure d'un mal, qu'on pense lui celer:
Ofes-tu bien encor, Traistre, difsimuler ?
Dit-elle, & ni la foi que ta main m'a donnée,
Ni nos embraffemens qu'a fuivi l'Hymenée,
Ni ton Epoufe enfin toute prefte à perir,
Ne fçauroient donc t'ofter cette ardeur de courir?
Perfide, fi du moins à ton devoir fidele

Tu veillois pour regler quelque horloge nouvele;
L'efpoir d'un jufte gain confolant ma langueur,
Pourroit de ton abfence adoucir la longueur.
Mais quel zele indifcret, quelle aveugle entreprise
Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une Eglife?
Où vas-tu, cher Epoux? Eft-ce que tu me fuis?
As-tu donc oublié tant de fi douces nuicts?
Quoi? d'un œil fans pitié vois-tu couler mes larmes ?
Au nom de nos baifers jadis fi pleins de charmes,
Si mon cœur de tout temps facile à tes defirs
N'a jamais d'un moment differé tes plaifirs;
Si pour te prodiguer mes plus tendres careffes
Je n'ai point exigé ni fermens ni promeffes;
Si toi feul à mon lict enfin eus toujours part,
Differe au moins d'un jour ce funefte départ.
En achevant ces mots, cette Amante enflammée
Sur un placet voifin tombe demi pafmée.

Son

Son Epoux s'en emeut, & fon cœur éperdu
Entre deux paffions demeure fufpendu:
Mais enfin rappellant fon audace premiere :

Ma femme, lui dit-il, d'une voix douce & fiere;
Je ne veux point nier les folides bienfaits
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits:
Et le Rhin de fes flots ira groffir la Loire,
Avant que tes faveurs fortent de ma memoire.
Mais ne prefume pas, qu'en te donnant ma foi,
L'Hymen m'ait pour jamais affervi fous ta loi.
Si le Ciel en mes mains euft mis ma destinée
Nous aurions fui tous deux le joug de l'Hymenée:
Et fans nous oppofer ces devoirs pretendus,
Nous goufterions encor des plaifirs deffendus,
Ceffe donc à mes yeux d'eftaler un vain titre.
Ne m'ofte pas l'honneur d'eflever un Pupitre :
Et toi-même donnant un frein à tes defirs
Raffermi ma vertu qu'ébranlent tes foûpirs.
Que te dirai-je enfin? c'eft le Ciel qui m'apelle:
Une Eglife, un Prelat m'engage en fa querelle.
Il faut partir: j'y cours: diffipe tes douleurs,
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.
Il la quite à ces mots. Son Amante effarée
Demeure le teint pafle, & la veuë égarée;
La force l'abandonne & fa bouche trois fois
Voulant le rappeler ne trouve plus de voix.
Elle fuit, & de pleurs inondant fon visage,
Seule pour s'enfermer vole au cinquiéme eftage,
Mais d'un bouge prochain accourant à ce bruit,
Sa fervante Alizon la rattrape, & la fuit.

Les ombres cependant fur la ville épanduës
Du faifte des maisons defcendent dans les ruës:
Le fouper hors du Choeur chaffe les Chapelains,
Et de Chantres beuvans les cabarets font pleins.
Le redouté Brontin, que fon devoir éveille,
Sort à l'inftant chargé d'une triple bouteille,
D'un vin, dont Gilotin, qui fçavoit tout prevoir,
Au fortir du confeil eut foin de le pourvoir.

L'odeur

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