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LE

LUTRIN

POËME HEROIQUE.

CHANT PREMIER.

E chante les combats, & ce Prelat terri ble

Qui par fes longs travaux, & fa force invin
cible,

Dans une illuftre Eglife exerçant fon grand cœur
Fit placer à la fin un Lutrin dans le Choeur.

C'eft en vain que le Chantre, appuié d'un vain titre,
Deux fois l'en fit ofter par les mains du Chapitre.
Ce Prelat fur le banc de fon Rival altier,

Deux fois le reportant l'en couvrit tout entier.
Mufe, redi moi donc, quelle ardeur de vengeance,
De ces Hommes facrez rompit l'intelligence,
Et troubla fi long-temps deux celebres Rivaux.
Tant de fiel entre-t-il dans l'ame des devots ?
Et toi fameux Heros, dont la fage entremife,
De ce fchifme naiffant débaraffa l'Eglife;
Vien d'un regard heureux animer nom projet,
Et garde toi de rire en ce grave fujet.

Parmi les doux plaifirs d'une paix fraternelle,
Paris voioit fleurir fon antique Chapelle.
Ses Chanoines vermeils & brillans de fanté
S'engraiffoient d'une longue & fainte oyfivere.
Sans fortir de leurs licts plus doux que leurs hermines,
Ces pieux Faineans faifoient chanter Matines,
Veilloient à bien difner, & laiffoient, en leur lieu,
A des Chantres gagés le foin de louer Dieu.
Quand la Difcorde encor toute noire de crimes,
Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes
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Avec cet air hideux qui fait fremir la Paix,
S'arrefta prés d'un arbre au pié de fon Palais.
Là, d'un œil attentif, contemplant fon empire,
A l'afpect du tumulte, elle mefme s'admire.
Elle y void par le coche & d'Evreux & du Mans,
Accourir à grands flots fes fideles Normans.
Elle y voit aborder le Marquis, la Comteffe,
Le Bourgeois, le Manant, le Clergé, la Nobleffe,
Et par tout, des Plaideurs les efcadrons épars
Faire autour de Themis flotter ses eftendars.
Mais une Eglife feule à fes yeux immobile,
Garde, au fein du tumulte, une affiete tranquille.
Elle feule lá brave, elle feule aux procez
De fes paifibles murs veut deffendre l'accez.
La Difcorde, à l'afpect d'un calme qui l'offence,
Fait fifler fes ferpens, s'excite à la vengeance.
Sa bouche fe remplit d'un poifon odieux,
Et de longs traits de feu lui fortent par les yeux.
Quoi? dit-elle, d'un ton qui fit trembler les vitres,
J'aurai pû jufqu'ici brouiller tous les Chapitres,
Divifer Cordeliers, Carmes & Celestins?
J'aurai fait foûtenir un fiege aux Augustins?,
Et cette Eglife feule à mes ordres rebelle
Nourira dans fon fein une paix éternelle ?
Suis-je donc la Difcorde & parmi les Mortels,
Qui voudra deformais encenfer mes autels?

A ces mots, d'un bonnet couvrant fa tefte énorme, Elle prend d'un vieux Chantre & la taille & la forme : Elle peint de bourgeons fon vifage guerrier

Et s'en va de ce pas trouver le Treforier.
Dans le reduit obfcur d'une alcove enfoncée,
S'éleve un lict de plume à grands frais amaffée.
Quatre rideaux pompeux, par un double contour
En deffendent l'entrée à la clarté du jour,
La parmi les douceurs d'un tranquille filence,
Regne fur le duvet une heureufe Indolence.
C'est là que le Prelat muni d'un déjeuner,
Dormant d'un leger fomme, attendoit le difner.

La

La jeuneffe en fa fleur brille fur fon visage:
Son menton fur fon fein descend à double eftage:
Er fon corps ramaffé dans fa courte groffeur,
Fait gemir les couffins fous fa molle épaiffeur.
La Déeffe, en entrant, qui void la nappe mife
Admire un fi bel ordre & reconnoist l' ***
Et marchant à grand pas vers le lieu du repos,
Au Prelat fommeillant, elle adreffe ces mots.

Tu dors? Prelat, tu dors ? & là-haut à ta place,
Le Chantre aux yeux du Chœur eftale fon Audace,
Chante les Oremus, fait des Proceflions,

Et répand à grands flots les benedictions.
Tu dors? attens tu donc, que fans bulle & fans titre
Il te raviffe encor le Rochet & la Mitre ?
Sors de ce lit oyfeux, qui te tient attaché,
Et renonce au repos, ou bien à l'Evêché.
Elle dit : & du vent de fa bouche profane,
Lui foufle avec ces mots l'ardeur de la chicane.
Le Prelat fe réveille, & plein d'émotion
Lui donne toutefois la benediction.

Tel qu'on void un Taureau, qu'une Guefpeen furie
A piqué dans les flancs, aux dépens de fa vie :
Le fuperbe Animal agité de tourmens,
Exhale fa douleur en longs mugiffemens.
Tel le fougueux Prelat, que ce fonge épouvante,
Querele en fe levant & Laquais & Servante:
Er d'un jufte courroux rallumant fa vigueur,
Même avant le dîner, parle d'aller au Chœur.
Le prudent Gilotin, fon Aumofnier fidele,
Envain par fes confeils fagement le rapelle:
Lui montre le peril : Que midi va fonner:
Qu'il va faire s'il fort refroidir le dîner.

Quelle fureur, dit-il, quel aveugle caprice,
Quand le dîner eft preft, vous appelle à l'Office?
De voftre dignité foûtenés mieux l'éclat.
Eft-ce pour travailler que vous eftes Prelat?
A quoi bon ce dégouft & ce zéle inutile ?
Eft-il donc pour jeûner Quatre-temps ou Vigile

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Repre

Reprenez vos efprits & souvenez-vous bien,
Qu'un difner réchauffé ne valut jamais rien.
Ainfi dit Gilotin, & ce Ministre fage

Sur table au même inftant, fait fervir le potage.
Le Prelat void la foupe, & plein d'un faint refpect
Demeure quelque temps müet à cet afpect.
Il cede, il dine enfin : mais toûjours plus farouche,
Les morceaux trop hastez se preffent dans fa bouche.
Gilotin en gemit, & fortant de fureur,

Chez tous les Partisans va femer la terreur.
On void courir chez luy leurs troupes éperduës:
Comme l'on void marcher les bataillons de Gruës,
Quand le Pygmée altier redoublant les efforts,
De l'Hebre ou du Strymon vient d'occuper les bords.
A l'afpect imprevu de leur foule agreable,
Le Prelat radouci veut fe lever de table.
Son vifage n'a plus cet air fi furibon.
Il fait par Gilotin rapporter un jambon.
Lui-même le premier, pour honorer la troupe,
D'un vin pur & vermeil il fait remplir fa coupe:
Il l'avale d'un trait : & chacun l'imitant,
La cruche au large ventre eft vuide en un instant.
Si-toft que du nectar la troupe eft abreuvée,
On deffert : & foudain la nappe estant levée,
Le Prelat, d'une voix conforme à son malheur,
Leur confie en ces mots la trop jufte douleur.

Illuftres Compagnons de mes longues fatigues,
Qui m'avez foûtenu par vos pieufes ligues,
Et par qui, maistre enfin d'un Chapitre infenfé,
Seul à Magnificat, je me vois encenfé.

Souffrirez-vous toujours qu'un orgueilleux m'outrage?
Que le Chantre à vos yeux détruile vostre ouvrage,
Ufurpe tous mes droits, & s'égalant à moi

Donne à voftre Lutrin & le ton & la loi ?

Ce matin même encor, ce n'eft point un menfonge;
(Une Divinité me l'a fait voir en fonge)

L'Infolent s'emparant du fruit de mes travaux,
A prononcé pour moi le Benedicat vOL.

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