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En-vain l'efprit eft plein d'une noble vigueur,
Le vers fe fent toûjours des baffeffes du cœur.
Fuiés fur tout, fuiés ces baffes jaloufies,
Des vulgaires efprits malignes phrenefies.
Un fublime Ecrivain n'en peut eftre infecté.
C'eft un vice qui fuit la Mediocrité.

Du Merite éclatant cette fombre Rivale
Contre lui chez les Grands inceffamment cabale;
Et fur les piés en vain tâchant de fe hauffer,
Pour s'égaler à lui cherche à le rabaiffer.

Ne defcendons jamais dans ces lâches intrigues.
N'allons point à l'honneur par de honteufes brigues.
Que les vers ne foient pas voftre eternel emploi.
Cultivés vos amis: foiés homme de foi.

C'eft peu d'eftre agreable & charmant dans un livre ;
Il faut fçavoir encore & converfer & vivre.

Travaillez pour la gloire, & qu'un fordide gain
Ne foit jamais l'objet d'un illuftre Ecrivain.

Je fçai qu'un noble Efprit peut fans honte & fans crime
Tirer de fon travail un tribut legitime:

Mais je ne puis fouffrir ces Auteurs renommés
Qui degoutez de gloire, & d'argent affamés,
Mettent leur Apollon aux gages d'un Libraire,
Et font d'un art divin un métier mercenaire.

Avant que la Raifon s'expliquant par la voix
Euft inftruit les Humains, euft enfeigné des loix:
Tous les Hommes fuivoient la groffiere Nature,
Difperfez dans les bois couroient à la pafture.
La force tenoit lieu de droit & d'équité:
Le meurtre s'exerçoit avec impunité.

Mais du Difcours enfin l'harmonieuse adreffe
De ces fauvages mœurs adoucit la rudeffe:
Raffembla les Humains dans les forests épars:
Enferma les Cités de murs & de remparts:
De l'aspect du fupplice effraia l'Infolence,
Et fous l'apui des loix mit la foible Innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.
Delà font nés ces bruits receus dans l'Univers,

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Qu'aux

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Qu'aux accens, dont Orphée emplit les mons de Thra

ce,

Les Tygres amollis dépouilloient leur audace:

Qu'aux accords d'Amphion les pierres fe mouvoient,
Et fur les murs Thébains en ordre s'élevoient.
L'Harmonie en naiffant produifit ces miracles.
Depuis le Ciel en vers fit parler les Oracles.
Du fein d'un Preftre émû d'une divine horreur,
Apollon par des versexhala fa fureur.

Bien toft reffufcitant les Heros des vieux âges
Homere aux grands exploits anima les courages.
Hefiode à fon tour, par d'utiles leçons,

Des champs trop pareffeux vint hafter les moiflons.
En mille écrits fameux la fagefle tracée

Fut à l'aide des vers aux Mortels annoncée,
Et par tout des efprits fes preceptes vainqueurs,
Introduits par l'oreille entrerent dans les cœurs.
Pour tant d'heureux bienfaits les Mufes reverées
Furent d'un jufte ençens dans la Grece honorées,
Et leur Art attirant le culte des Mortels,
A fa gloire en cent lieux vid dreffer des Autels.
Mais enfin l'Indigence amenant la Baffeffe,
Le Parnaffe oublia fa premiere nobleffe.
Un vil amour du gain infectant les efprits,
De menfonges groffiers foüilla tous les écrits,
Et par tout enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du difcours, & vendit les paroles.
Ne vous flétriffés point par un vice fi bas.
Și l'or feul à pour vous d'invincibles appas,
Fuiés ces lieux charmans qu'arrofe le Permeffe.
Ce n'eft point fur fes bords qu'habite la Richeffe.
Aux plus fçavans Auteurs, comme aux plus grands
Guerriers,

Apollon ne promet qu'un nom & des lauriers.

Mais, quoi dans la difette une Muse affamée
Ne peut pas, dira-t-on, fubfifter de fumée.
Un Auteur qui preffé d'un befoin importun,
Le foir entend crier fes entrailles à jeun,

Goufte

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Goufte peu d'Hélicon les douces promenades.
Horace a bû fon faoul quand il void les Ménades,
Et libre du fouci qui trouble Colletet,
N'attend pas pour dîner le fuccez d'un Sonnet.

Ileft vrai: mais enfin cette affreuse disgrace
Rarement parmi nous afflige le Parnaffe.

Et que craindre en ce fiecle, où toûjours les beaux Arts
D'un Aftre favorable éprouvent les regards?
Où d'un Prince éclairé la fage prévoyance
Fait par tout au Merite ignorer l'indigence.

Mufes, dictés fa gloire à tous vos Nourriffons.
Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leçons.
Que Corneille pour lui rallumant fon audace,
Soit encor le Corneille & du Cid & d'Horace.
Que Racine enfantant des miracles nouveaux,
De fes Heros fur lui forme tous les tableaux.
Que de fon nom chanté par la bouche des Belles,
Benferade en tous lieux amufe les ruéles.
Que Segrais dans l'Eglogue en charme les forests.
Que pour lui l'Epigramme aiguize tous les traits.
Mais quel heureux Auteur, dans une autre Eneïde,
Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide!
Quelle fçavante Lyre au bruit de les exploits,
Fera marcher encor les rochers & les bois ?
Chantera le Batave éperdu dans l'orage,
Soi mefme fe noiant pour fortir du naufrage:
Dira les bataillons fous Maftricht enterrés,
Dans ces affreux affauts du Soleil éclairés.

Mais tandis que je parle, une gloire nouvelle
Vers ce Vainqueur rapide, aux Alpes vous appelle.
Déja Dole & Salins fous le joug ont ployé.
Bezançon fume encore fur fon Roc foudroyé.
Où font ces grands Guerriers, dont les fatales ligues
Devoient à ce torrent opposer tant de digues?
Eft-ce encore en fuiant, qu'ils penfent l'arrefter,
Fiers du honteux honneur d'avoir fceu l'éviter
Que de remparts détruits! Que de villes forcées!
Que de moiffons de gloire en courant amaffées !

Auteurs, pour les chanter, redoublez vos transports. Le fujet ne veut pas de vulgaires efforts.

Pour moi qui jufqu'ici nouri dans la Satyre,
N'ofe encor manier la trompette & la lyre:
Vous me verrez pourtant dans ce champ glorieux,
Vous animer du moins de la voix & des yeux :
Vous offrir ces leçons que ma Muse au Parnaffe
Rapporta jeune encor du commerce d'Horace,
Seconder vostre ardeur, échauffer vos esprits,
Et vous montrer de loin la couronne & le prix.
Mais auffi pardonnez, fi plein de ce beau zele,
De tous vos pas fameux obfervateur fidele,
Quelquefois du bon or, je fepare le faux,
Et des Auteurs groffiers j'attaque les defaux,
Cenfeur un peu fâcheux, mais fouvent neceffaire,
Plus enclin à blafmer, que fçavant à bien faire.

LE

LE

LUTRIN

POËME HEROIQUE.

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