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Et par quel art encor l'églogue quelquefois
Rend dignes d'un Conful la campagne & les bois.
Telle eft de ce Poëme * & la force & la grace.

D'un ton un peu plus haut,mais pourtant fans audace, La plaintive Elegie en longs habits de deuil Sçait les cheveux épars gemir fur un cercueil. Elle peint des Amans la joie, & la tristeffe, Flate, menace, irrite, appaile une Maîtreffe: Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux, C'eft peu d'eftre Poëte, il faut eftre amoureux. Je hais ces vains Auteurs, dont la Mufe forcée M'entretient de fes feux toûjours froide & glacée, Qui s'affligent par art, & fous de fens raffis S'érigent, pour rimer, en Amoureux tranfis.

Leurs tranfports les plus doux ne font que phrafes vai

nes.

Ils ne fçavent jamais que fe charger de chaînes,
Que benir leur martyre, adorer leur prifon,
Et faire quereler les fens & la raifon.

Ce n'eftoit pas jadis, fur ce ton ridicule
Qu'Amour dictoit les vers que foûpiroit Tibule :
Ou que du tendre Ovide animant les doux fons,
Il donnoit de fon Art les charmantes leçons.
Il faut que le cœur feul parle dans l'Elegie.
L'Ode avec plus d'éclat & non moins d'energie
Eflevant jufqu'au Ciel fon vol ambitieux,

Entretient dans les vers commerce avec les Dieux.
Aux Athletes dans Pife, elle ouvre la bariere,
Chante un Vainqueur poudreux au bout de la cariere.
Mene Achille fanglant aux bords du Simoïs,
Ou fait flechir l'Efcaut fous le joug de Louïs.
Tantoft comme une Abeille ardente à fon ouvrage,
Elle s'en va de fleurs depoüiller le rivage:
Elle peint les feftins, les danfes, & les ris,
Vante un baifer cueilli fur les levres d'Iris
† Qui mollement refifte, & par un doux caprice,
Quelquefois le refuje, afin qu'on le raviffe,

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Virg. Eglo.4. Horat. Ode 12.lib.2.

Son

Son file impetueux fouvent marche au hazard,
Chez elle un beau defordre eft un effet de l'art.
Loin ces Rimeurs craintifs, dont l'efprit phlegma tique
Garde dans fes fureurs un ordre didactique:
Qui chantant d'un Heros les progrez éclatans,
Maigres Historiens, fuivront l'ordre des temps.
Ils n'ofent un moment perdre un fujet de veuë.
Pour prendre Dole, il faut que l'Ifle foit renduë,
Et que leur vers exact, ainfi que Mezeray,
Ait fait déja tomber les remparts de Courtrai.
Apollon de fon feu leur fut toûjours avare.

On dit à ce propos, qu'un jour ce Dieu bizare
Voulant pouffer à bout tous les Rimeurs François,
Inventa du Sonnet les rigoureufes lois:
Voulut, qu'en deux Quatrains de mefure pareille
La Rime avec deux fous frappaft huit fois l'oreille,
Et qu'enfuite, fix vers artistement rangez
Fuflent en deux Tercets par le fens partagez.
Sur tout de ce Poëme il bannit la licence:
Lui-même en mefura le nombre & la cadence:
Deffendit qu'un vers foible y pût jamais entrer,
"Ni qu'un mot déja mis ofaft s'y remontrer.
Du refte il l'enrichit d'une beauté fuprême.
Un fonnet fans defaux vaut feul un long Poëme:
Mais en vain mille Auteurs y penfent arriver,
Et cet heureux Phenix eft encore à trouver.
A peine dans Gombaut, Maynard, & Malleville
En peut-on admirer deux ou trois entre mille.
Le reffe auffi peu lû que ceux de Pelletier,
N'a fait de chez Sercy qu'un faut chez l'Epicier.
Pour enfermer fon fens dans la borne prefcrite,
La mefure eft toûjours trop longue ou trop petite.
L'Epigramme plus libre, en fon tour plus borné,
N'eft fouvent qu'un bon mot de deux rimes orné.
Jadis de nos Auteurs les Pointes ignorées
Furent de l'Italie en nos vers attirées.
Le Vulgaire ébloui de leur faux agrément,
A ce nouvel appas courut àvidement.

La

La faveur du Public excitant leur audace,
Leur nombre impetueux inonda le Parnaffe.
Le Madrigal d'abord en fut enveloppé.

Le Sonnet orgueilleux luy-mefme en fut frappé.
La Tragedie en fit fes plus cheres delices.
L'Elegie en orna fes douloureux caprices.
Un Heros fur la Scene eut foin de s'en parer,
Et fans Pointe un Amant n'ofa plus foûpirer.
On vid tous les Bergers, dans leurs plaintes nou-
velles,

Fideles à la Pointe encor plus qu'à leurs Belles.
Chaque mot eut toûjours deux vifages divers.
La profe la receut aufli bien que les vers.
· L'Avocat au Palais en heriffa fou ftile,
Et le Docteur en chaire en fema l'Evangile.
La raifon outragée enfin ouvrit les yeux,
La chaffa pour jamais des difcours ferieux,
Et dans tous ces écrits la declarant infame,
Par grace lui laiffa l'entrée en l'Epigramme:
Pourveu que fa finesse éclatant à propos
Roulaft fur la pensée, & non pas fur les mots.
Ainfi de toutes parts les defordres cefferent.
Toutefois à la Cour les Turlupins refterent,
Infipides Plaifans, Bouffons infortunez,
D'un jeu de mots groffiers partifans furannez.
Ce n'eft pas quelquefois qu'une Mufe un peu fine
Sur un mot en paffant ne joue & ne badine,
Et d'un fens deftourné n'abufe avec fuccés:
Mais fuiez fur ce point un ridicule excés,
Et n'allez pas toujours d'une pointe frivole
Aiguifer par la queue une Epigramme folle.
Tout Poëme eft brillant de la propre beauté:

Le Rondeau né Gaulois à la naïveté.

La Ballade affervie à fes vieilles maximes
Souvent doit tout fon luftre au caprice des rimes.

Le Madrigal plus fimple, & plus noble en fon

tour,

Refpire la douceur, la tendreffe, & l'amour.

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L'ardeur de fe montrer, & non pas de médire, Arma la Verité du vers de la Satire.

Lucile le premier ofa la faire voir :

Aux vices des Romains prefenta le miroir:
Vengea l'humble Vertu, de la Richeffe altiere,
Et l'honnefte Homme à pié, du Faquin en litiere.
Horace à cette aigreur mefla fon enjoûment.
On ne fut plus ni fat ni fot impunément :
Et, malheur à tout nom, qui propre à la cenfure,
Pût entrer dans un vers, fans rompre la melure.
Perfe en fes vers obfcurs, mais ferrez & preffans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de fens.
Juvenal enlevé dans les cris de l'Ecole
Pouffa jufqu'à l'excés fa mordante hyperbole.
Ses ouvrages tout pleins d'affreuses veritez
Eftincellent pourtant de fublimes beautez:
Soit que fur un écrit arrivé de Caprée
Il brife de Sejan la ftatuë adorée :

Soit qu'il faffe au Confeil courir les Senateurs,
D'un Tyran foupçonneux, pales adulateurs :
Ou que, pouffant à bout la luxure Latine,

Aux Portefaix de Rome il vende Meffaline.
Ses écrits pleins de feu par tout brillent aux yeux.
De ces Maiftres fçavans difciple ingenieux
Regnier feul parmi nous forme fur leurs modeles,
Dans fon vieux ftile encore a des graces nouvelles.
Heureux ! fi fes Difcours craints du chafte Lecteur,
Ne fe fentoient des lieux où frequentoit l'Auteur,
Et fi du fon hardi de fes rimes Cyniques,
Il n'alarmoit fouvent les oreilles pudiques.

Le Latin dans les mots brave l'honnefteté :
Mais le lecteur François veut eftre respecté :
Du moindre fens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la Satire un efprit de candeur,
Et fuis un effronté qui préche la pudeur.

*Satire 10. + Sat.4. Sat.6.

D'un

D'un trait de ce Poëme en bons mots fi fertile,
Le François né malin forma le Vaudeville,
Agreable Indifcret, qui conduit par le chant,
Paffe de bouche en bouche, & s'accroift en marchant.
La liberté Françoise en fes vers fe déploie.
Cet Enfant de plaifir veut naistre dans la joie.
Toutefois n'allés pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le fujet d'un badinage affreux.
A la fin tous ces jeux, que l'atheïíme éleve,
Conduifent triftement le Plaifant à la Greve.
Il faut inefme en chanfons du bon-fens & de l'art:
Mais pourtant on a veu le vin & le hazard
Infpirer quelquefois une Mufe groffiere,
Et fournir fans genie un couplet à Lo***
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
Gardés qu'un fot orgueil ne vous vienne enfumer.
Souvent, l'Auteur altier de quelque chansonnette
Au même inftant prend droit de fe croire Poëte.
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un Sonnet.
Il met tous les matins fix Impromptus au net.
Encore eft-ce un miracle, en fes vagues furies,
Si bien-toft imprimant fes fottes refveries,
Il ne fe fait graver au devant du Recueuil,
Couronné de lauriers par la main de Nanteuil.

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