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Que toûjours dans vos vers, le fens coupant les mots, Sufpende l'hemiftiche, en marque le repos.

Gardez qu'une voyele à courir trop hastée, Ne foit d'une voyele en fon chemin heurtée.

Il est un heureux choix de mots harmonieux.
Fuiez des mauvais fons le concours odieux.
Le vers le mieux rempli, la plus noble penfée
Ne peut plaire à l'efprit, quand l'oreille eft bleffée.
Durant les premiers ans du Parnaffe François,
Le caprice tout feul faifoit toutes les lois.

La rime, au bout des mots affemblez fans mesure,
Tenoit lieu d'ornemens, de nombre, & de céfure.
Villon fçût le premier, dans ces fiecles groffiers
Débrouiller l'art confus de nos vieux Romanciers.
Marot bientoft aprés fit fleurir les Ballades,
Tourna des Triolets, rima des Mafcarades,
A des refrains reglez affervit les Rondeaux,
Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux.
Ronfard qui le fuivit, par une autre methode
Reglant tout, broüilla tout, fit un art à sa mode;
Et toutefois long-temps eut un heureux deftin:
Mais fa Mufe, en François parlant Grec & Latin,
Vid dans l'âge fuivant, par un retour grotesque,
Tomber de les grands mots le fafte Pedantefque.
Ce Poëte orgueilleux trébuché de fi hant
Rendit plus retenus Defportes & Bertaut.
Enfin Malherbe vint, & le premier en France,
Fit fentir dans les vers une jufte cadence,
D'un mot mis en fa place enfeigna le pouvoir,
Et reduifit la Mufe aux regles du devoir.
Par ce fage Efcrivain la langue reparée
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.
Les Stances avec grace apprirent à tomber,
Et le vers fur le vers n'ofa plus enjamber.
Tout reconnut fes lois, & ce guide fidele
Aux Auteurs de ce temps fert encor de modele.
Marchez donc fur fes pas, aimez fa pureté,
Et de fon tour heureux imitez la clarté.

Si le fens de vos vers tarde à fe faire entendre,
Mon efprit auffitoft commence à fe deftendre,
Et de vos vains difcours promt à fe détacher,
Ne fuit point un Auteur qu'il faut toûjours chercher.
Il eft certains Efprits, dont les fombres pensées
Sont d'un nuage épais toûjours embarraflées.
Le jour de la raifon ne le fçauroit percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser,
Selon que noftre idée eft plus, ou moins obfcure,
L'expreffion la fuit ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aifément.

Sur tout qu'en vos écrits la langue reverée
Dans vos plus grands excez vous foit toûjours facrée.
En vain vous me frappez d'un fon melodieux;
Si le terme eft impropre, ou le tour vicieux,
Mon efprit n'admet point un pompeux Barbarisme,
Ni d'un vers empoulé l'orgueilleux Solecifme.
Sans la langue en un mot, l'Auteur le plus divin
Eft toûjours, quoi qu'il faffe, un méchant Ecrivain.
Travaillez à loifir, quelque ordre qui vous preffe,
Et ne vous piquez point d'une folle viteffe.
Un ftile fi rapide, & qui court en rimant
Marque moins trop d'efprit, que peu de jugement.
J'aime mieux un ruiffeau qui fur la molle arene
Dans un pré plein de fleurs lentement se promene,
Qu'un torrent débordé qui d'un cours orageux
Roule plein de gravier fur un terrain fangeux.
Haftez-vous lentement, & fans perdre courage
Vingt fois fur le meftier remettez voftre ouvrage.
Poliffez-le fans ceffe, & le repoliffez.

Ajoutez quelquefois, & fauvent effacez.

C'eft peu qu'en unOuvrage, où les fautes fourmillent, Des traits d'efprit femez de temps en temps petilient. Il faut que chaque chofe y foit mife en fon lieu; Que le debut, la fin, répondent au milieu: Que d'un art delicat les pieces afforties

N'y forment qu'un feul tout de diverses parties:

F 3

Que

Que jamais du fujet le difcours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez-vous pour vos vers la cenfure publique ?
Soyez-vous à vous-mefme un fevere Critique.
L'ignorance toujours eft prefte à s'admirer.
Faites-vous des Amis prompts à vous cenfurer.
Qu'ils foient de vos écrits les Confidens finceres,
Et de tous vos defaux les zelés adverfaires.
Dépouillez devant eux l'Arrogance d'Auteur:
Mais fçachez de l'Ami, difcerner le Flateur.
Tel vous femble aplaudir, qui vous raille & vous joue.
Aimez qu'on vous confeille, & non pas qu'on vous loüe.
Un Flateur auffitoft cherche à fe recrier.
Chaque vers qu'il entend, le fait extasier.
Tout eft charmant, divin, aucun mot ne le blesse.
Il trépigne de joie, il pleure de tendreffe,
Il vous comble par tour d'éloges faftueux.
La verité n'a point cet air impetueux.

Un fage Ami toûjours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laiffe paifible.
Il ne pardonne point les endroits negligez.
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangez.
Il reprime des mots l'ambitieufe emphaze.
Ici le fens le choque, & plus loin c'eft la phraze.
Vostre construction femble un peu s'obscurcir:
Ce terme eft équivoque, il le faut éclaircir.
C'est ainfi que vous parle un Ami veritable.

Mais fouvent fur fes vers un Auteur intraitable
A les proteger tous fe croit intereffé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offenfé.
De ces vers, direz-vous, l'expreffion eft baffe.
Ah! Monfieur, pour ce vers je vous demande grace,
Répondra-t-il d'abord. Ce mot me femble froid,
Je le retrancherois. C'eft le plus bel endroit.
Ce tour ne me plaift pas. Tout le monde l'admire.
Ainfi toûjours conftant à ne fe point dédire;
Qu'un mot dans fon ouvrage ait paru vous bleffer,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.

Cepen

Cependant, à l'entendre, il cherit la critique.
Vous avez fur fes vers un pouvoir Defpotique.
Mais tout ce beau discours, dont il vient vous flater,
N'eft rien qu'un piege adroit pour vous les reciter.
Auffitoft il vous quitte, & content de sa Muse
S'en va chercher ailleurs quelque Fat qu'il abufe.
Car fouvent il en trouve. Ainfi qu'en fots Auteurs
Noftre fiecle eft fertile en fots Admirateurs,
Et fans ceux que fournit la Ville & la Province,
Il en eft chez le Duc, il en eft chez le Prince,
L'ouvrage le plus plat a chez les Courtisans
De tout temps rencontré de zelez partisans;
Et pour finir enfin par un trait de Satire,
Un Sot trouve toûjours un plus Sot qui l'admire.

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T

CHANT II.

Elle qu'une Bergere, au plus beau jour de Fefte,
De fuperbes rubis ne charge point fa teste,

Et fans méler à l'or l'éclat des diamans,

Cueille en un champ voifin fes plus beaux ornemens.
Telle, aimable en fon air, mais humble dans fon ftile,
Doit éclater fans pompe une élegante Idylle:
Son tour fimple & naif n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers prefomptueux.
Il faut que fa douceur flate, chatoüille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.
Mais fouvent dans ce ftile un Rimeur aux abois
Jette là de depit la flufte & le haubois,

Et follement pompeux, dans fa verve indiscrete,
Au milieu d'une églogue entonne la trompete.
De peur de l'écouter, Pan fuit dans les rofeaux,
Et les Nymphes d'effroi fe cachent fous les eaux.

Au contraire, cet autre abject en fon langage
Fait parler fes Bergers, comme on parle au village.
Ses vers plats & groffiers dépouillez d'agrément.
Toujours baifent la Terre, & rampent tristement.
On diroit que Ronfard fur fes pipeaux ruftiques
Vient encor fredouner fes Idylles Gothiques,
Et changer, fans refpect de l'oreille & du fon,
Lycidas en Pierot, & Phylis en Thoinon.

Entre ces deux excez la route eft difficile.
Suivez, pour la trouver, Theocrite & Virgile.
Que leurs tendres écrits par les Graces dictez
Ne quittent point vos mains jour & nuit feüilletez.
Seuls dans leurs doctes vers ils pourront vous apprendre,
Par quel art fans bassesse un Auteur peut defcendre,
Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers,
Au combat de la Flufte animer deux Bergers,
Des plaifirs de l'Amour vanter la douce Amorce,
Changer Narciffe en fleur, couvrir Daphné d'écorce,

Et

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