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En vain, par fa grimace, un Bouffon odieux
A table nous fait rire, & divertit nos yeux.
Ses bons mots ont befoin de farine & de plâtre.
Prenés le tefte à tefte, oftés-lui fon theatre,
Ce n'eft plus qu'un cœur bas, un Coquin tenebreux,
Son vifage effuié n'a plus rien que d'affreux.
J'aime un efprit aifé qui fe montre, qui s'ouvre,
Et qui plaift d'autant plus, que plus il fe découvre.
Mais la feule Vertu peut fouffrir la clarté.
Le Vice toûjours fombre aime l'obscurité.
Pour paroiftré au grand jour, il faut qu'il fe déguife..
C'eft lui qui de nos meurs a banni la franchife.
Jadis l'homme vivoit au travail occupé,
Et ne trompant jamais, n'eftoit jamais trompé.
On ne connoiffoit point la rufe & l'imposture.
Le Normand mefme alors ignoroit le parjure.
Aucun Rheteur encore arrangeant le difcours
N'avoit d'un art menteur enfeigné les détours..
Mais fitoft qu'aux Humains faciles à feduire
L'abondance eut donné le loifir de fe nuire..
La molleffe amena la fauffe Vanité.

arrogante

Chacun chercha pour plaire un vifage emprunté
Pour éblouir les yeux la Fortune.
Affecta d'étaler une pompe infolente.
L'or éclata par tout fur les riches habits..
On polit l'Emeraude, on tailla le rubis,
Et la laine & la foye en cent façons nouveles
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelės.
La trop courte Beauté monta fur des patins.
La Coquette tendit fes laqs tous les matins,
Et mettant la cerufe, & le plâtre en ufage
Compofa de fa main les fleurs de fon vilage.
L'ardeur de s'enrichir chaffa la bonne foi.
Le Courtizan n'eut plus de fentimens à foi...
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie..
On vid par tout regner la bafle flatterie.

Le Parnaffe fur tout fecond en Impofteurs
Diffama le Papier par fes propos menteurs,

È 7

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De là vint cet amas d'ouvrages mercenaires
Stances, Odes, Sonnets, Epiftres liminaires,
Ou toûjours le Heros paffe pour fans pareil,
Et fuft-il louche & borgne eft reputé Soleil.
Ne crois pas toutefois fur ce difcours bizarre,
Que d'un frivole encens malignement avare
Fen veuille fans raifon fruftrer tout l'Univers.
La louange agreable eft l'ame des beaux vers,
Mais je tiens comme toi qu'il faut qu'elle foit vraye,
Et que fon tour adroit n'ait rien qui nous effraye.
Alors, comme j'ai dit, tu la fçais écouter,

Et fans crainte à tes yeux, on pourroit t'exalter.
Mais fans t'aller chercher des vertusdans les nuës,
Il faudroit peindre en toi des verités connuës:
Décrire ton efprit ami de la raifon,

Ton ardeur pour ton Roi puifée en ta maison,
A fervir fes deffeins ta vigilance heureuse,
Ta probité fincere, utile, officieuse..

Tel, qui hait à fe voir peint en de faux portraits,
Sans chagrin void tracer fes veritables traits.
Condé mefmes Condé, ce Heros formidable,

Et non moins qu'aux Flamans aux Flatteurs redoutable
Ne s'offenferoit pas, fi quelque adroit pinceau
Traçoit de fes exploits le fidele tableau:

Et dans Seneffe en feu contemplant fa peinture.
Ne defavoûroit pas Malherbe ni Voiture.
Mais malheur au Poëte infipide, odieux
Qui viendroit le glacer d'un éloge ennuieux.
Il auroit beau crier; premier Prince du monde, *~
Courage fans pareil, lumiere fans feconde.
Ses vers jettés d'abord fans tourner le feuillet,
Iroient dans l'antichambre amufer Pacolet.

*Commencement du Poëme de Charlemagne.
*Fameux valet de pié de Monfeigneur le Prince,

Fin des Epiftres.

LET

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LETTRE

A MONSEIGNEUR LE DUC

DE VIVONE

SUR SON ENTRE E
DANS LE FARE DE MESSINE..

CONSEIGNEUR,

Sçavés vous bien qu'un des plus feurs moiens pourempêcher un homme d'eftre plaisant, c'eft de lui dire; Je veux que vous le foyez ? Depuis que vous m'avés deffendu le ferieux, jene me fuis jamais fen ti fi grave, je ne parle plus que par fentences. Et d'ailleurs voftre derniere action a quelque chofe de figrand, qu'en verité je ferois confcience de vous en écrire autrement qu'en ftile beroique. Cependant je ne sçaurois me refoudre à ne vous pas obeïren tout ce que vous m'ordonnés. Ainfi dans l'humeur où je me trouve, je tremble également de vous fatiguer par un ferieux fade, ou de vous ennuier par une méchante plaifanterie. Enfin mon Apollon m'a fecouru ce matin, & dans le temps que j'y penfois le moins, m'a fait trouver fur mon chevet deux Let

tres,

tres, qui au defaut de la mienne pourront peut-être vous amufer agreablement. Elles font dattées des champs Elysées. L'une eft de Balzac, & l'autre de Voiture, qui tous deux charmés du recit de voftre dernier combat, vous écrivent de l'autre Monde, pour vous en feliciter.

Voici celle de Balzac. Vous la reconnoiftrés aifément à fon ftile qui ne fçauroit dire fimplement les chofes,ni defcendre de fa hauteur.

MONSEIGNEUR,

Aux champs Elysées 2. Iuin.

Le bruit de vos actions reffufcite les Morts. It reveille des gens endormis depuis trente années,& condamnés à un fommeil éternel. Il fait parler le Silence mefine. La belle ! l'éclatante! la glorieufe conquefte que vous avés faite furles Ennemis de la France! Vous avés redonné le pain à une Ville qui a accoûtumé de le fournir à toutes les autres. Vous avés nouri la mere nourice de l'Italie. Les tonneres de cette flotte qui vous fermoit les avenues de fon port,n'ont fait que falüer voftre entrée.Sa refiftance ne vous a pas arrêté plus long temps qu'une reception un peu trop civile. Bien loin d'empêcher la rapidité de voftre course, elle n'a pas feulement interrompu l'ordre de voftre marche. Vous avés contraint à fa veue le Sud & leNord de vous obeïr. Sans châtier la mer comme Xerxés vous l'avés renduë disciplinable. Vous avés plus fait encore, vous

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avés rendu l'Espagnol humble. Aprés cela que ne peut-on point dire de vous? Non, la Nature, je dis la Nature encore jeune & du temps qu'elle produifoit les Alexandres & lesCefars,n'a rien produit de fi grand que fous le regne de LOUIS quatorziéme. Elle a donné aux François fur fon declin ce que Rome n'a pas obtenu d'elle dans fa plus grande maturité. Elle a fait voir au monde dans vôtre fiecle en corps & en ame, cette valeur parfaite, dont on avoit à peine entreveu l'idée dans les Romans & dans les Poëmes Heroïques. N'en déplaise à un de vos Poëtes, il n'a pas raifon d'écrire qu'au de-là du Cocyte le mérite n'eft plus. connu. Le voftre, MONSEIGNEUR, eft vanté ici d'une commune voix des deux coftés du Styx. Il fait fans ceffe reffouvenir de vous dans le féjour mefmes de l'oubli. Il trouve des partifans zelés dans le païs de l'Indifference. Ilmet l'Acheron dans les interefts de la Seine. Difons plus, il n'y a point d'ombre parmi nous fr prevenue des principes du Portique, fi endurcie dans l'Ecole de Ze

fi fortifiée contre la joie & contre la douleur, qui n'entende vos louanges avec plaifir,qui ne batte des mains, qui ne crie, miracle! au moment que l'on vous nomme, & qui ne foit prefte de dire avec voftre Malherbe

A la fin c'est trop de filence
En fi beau fujet de parler.

Pour

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