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ma vie est aussi précieuse que la sienne, et je ne fuis point, quoique la peste soit dans mon palais : ainsi, qu'il reste chez lui. »

16. On ne peut toucher le charbon sans se noircir les mains, ou même sans se brûler s'il est allumé. 17. La précipitation est toujours suivie de l'infortune, la patience seule amène le salut.

18. S'il suffisait de désirer pour obtenir, chaque faquir deviendrait pacha. Le mot faquir signifie pauvre; c'est le nom qu'on donne aux derviches qui se livrent à la divination, et prétendent opérer des miracles soit en se mettant dans l'eau, soit en enfonçant une épée dans la terre; ils se servent également de miroirs pour faire leurs sortiléges.

19. Qui fuit la pluie rencontre souvent la grêle; tomber de Carybde en Scylla.

20. Nul ne profite de ce que Dieu a réservé à un

autre.

21. Mille cavaliers ne sauraient dépouiller un homme nu.

22. Le voleur qui ne se laisse pas surprendre passe pour le plus honnête des hommes. La Bruyère, dans la définition qu'il fait du caractère de l'honnête homme, dit : « L'honnête homme est celui qui ne vole pas sur les grands chemins, et qui ne tue personne, et dont les vices enfin ne sont point scandaleux. Plusieurs critiques n'ont point saisi ou ont mal interprété ce passage de La Bruyère. Il est évident qu'il n'a pas voulu peindre l'honnête homme dans toute l'acception que comporte ce caractère moral, c'est-à-dire l'honnête homme qui aime Dieu, son pays et son roi, pratique toutes les ver

tus sociales, ne transige jamais avec ses devoirs, et respecte les biens, la vie, l'honneur de ses semblables; mais il a voulu caractériser l'homme de la société parvenue à l'excès de la civilisation, c'està-dire l'homme qui dissimule ses vices sous l'extérieur de la vertu, qui use de ruses et d'artifices dans le commerce de la vie, qui pactise avec la mauvaise foi, pourvu qu'il sauve les apparences de la probité, qui peut faire ce que la loi ne défend pas, qui a assez de finesse et de duplicité pour éluder ce qu'elle défend, et enfin qui n'a pas assez fait ou qui a trop fait pour être pendu.

23. La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit.

24. Es-tu malheureux en cette vie? imite le voyageur, qui, lorsqu'il est mal dans une auberge, se console en réfléchissant qu'il ne fait que passer.

25. Homme orgueilleux, ton palais a englouti d'immenses trésors: tout le monde en admire la magnificence; mais, hélas! le sarfar y pénétrera comme ailleurs. Le sarfar est le vent de la mort.

26. Ne regarde pas à la blancheur du turban, le savon a été pris à crédit. Ce proverbe est bien applicable à nos mœurs actuelles. C'est sans doute ob

server les lois de l'égalité et de la liberté que de laisser chacun s'habiller à sa guise; mais ce qu'on est fâché et inquiet de voir, ce sont les conséquences qui résultent de cette faculté dans un temps où les fortunes sont si inégales, et où le luxe est si généralement répandu. L'ouvrier nécessiteux, qui épuise sa bourse pour s'habiller avec autant d'élégance et à aussi grands frais que le jeune

et riche marchand son voisin, est bientôt forcé, pour satisfaire ses goûts ruineux et ses folles dépenses, de contracter des dettes et de puiser dans la bourse d'autrui : de là les atteintes à la morale, de là les vols et le déshonneur:

Vêtu d'un habit magnifique,

Tu regardes, du haut en bas,
Mon habillement à l'antique :

11 ne vaut rien, Cliton, mais je ne le dois pas.

27. Changement est un bien. Dans les États despotiques, le peuple, n'ayant point d'intérêt à défendre l'empire, et n'étant mu que par la force, est toujours avide de révolutions; l'envie de parvenir et l'ambition font fermer les yeux à un Turc sur les dangers imminens auxquels il s'expose pour s'élever. En voyant parvenir en trois ou quatre années aux plus hautes dignités de l'empire, un misérable batelier, un vendeur de fruits, un simple maquignon, comment un homme entreprenant et ambitieux pourrait-il rester dans l'inaction? Il préfère braver les intrigues, les dénonciations, la mort même, pourvu qu'il réussisse. Un Turc, quel qu'il soit, accueille avec transport les souhaits qu'on lui adresse de le voir devenir pascha, capitan-pascha ou amiral, kaïmakan, lieutenant du grand visir, et même grand visir. Il se croit propre à tous les emplois et capable de les remplir. Aussi un homme que le sultan élève au pouvoir, n'eût-il pas un para dans sa poche avant sa nomination, n'a pas besoin de s'inquiéter où il trouvera l'argent nécessaire pour monter sa maison; il se voit en peu d'instans possesseur de plusieurs milliers de bour

ses. Chaque bourse ou monnaie de compte est de 1500 francs.

28. Bon cheval n'a pas besoin de sentir le tranchant des étriers. Les étriers des Turcs sont des espèces de plateaux, dont les bords regardant le talon et la pointe du pied, sont légèrement affilés.

29. L'œuf d'aujourd'hui vaut mieux que la poule de demain.

30. Qui se lève avec colère se couche avec dom

mage.

31. Qui crache au ciel voit retomber la salive sur sa barbe.

32. L'ignorance est un état d'enfance perpétuelle : elle suppose l'oisiveté qui engendre tous les vices. L'homme instruit peut bien n'être pas heureux, mais ila de plus que l'ignorant, de savoir ce qu'il doit faire pour sortir du malheur.

33. Il faut chasser le lièvre en arabat. L'arabat est une petite charrette traînée par des buffles et à l'usage des femmes. Les voitures, disent les mahométans, sont l'apanage du sexe et des nations efféminées; le cheval est la seule monture de l'homme: aussi les Turcs n'en connaissent point d'autre. M. de Vergennes, ambassadeur de France près le grand-seigneur, qui a si bien connu les Turcs et les ministres de la Porte, peignait le caractère défiant et circonspect de ces derniers dans les négociations, en rapportant ce proverbe, qu'ils aiment à répéter.

34. Il est plus aisé d'être sage pour les autres que de l'être pour soi-même : nous avons tous assez de force pour supporter les maux d'autrui.

35. Avec de la patience, le verjus devient doux comme le calva: Sabre ilem kourouk kalva olour. Le calva est une sorte de confiture faite avec du miel.

36. Aain oun, subtilité à dix yeux ou à dix sentinelles ; c'est-à-dire une subtilité si fine, qu'il faudrait dix yeux ou dix sentinelles pour la découvrir. Les Turcs se servent ordinairement de cette expression pour signifier qu'il est impossible qu'un seul homme puisse découvrir tous les désordres qui se commettent dans une armée aussi nombreuse que celle des Turcs, surtout lorsqu'on trompe avec adresse et avec cette sorte de subtilité, qu'ils appellent aain oun, ou tromperie secrète; c'est notre tour du bâton.

37. Ne parle pas de pierres à un fou, car il en ramasserait pour te les jeter à la tête. Les Français disent: Jouez-vous avec le fou en particulier, il se jouera de vous en public.

38. Dieu a créé les viandes afin d'obliger les hommes à se laver. Il n'y a pas de peuple qui fasse plus fréquemment usage des ablutions de toute espèce que les Turcs; aussi le nombre des bains publics et particuliers en Turquie, et surtout à Constantinople, est prodigieux; c'est un des principaux objets du luxe et de la vanité des Turcs; les préceptes mêmes de leur religion leur servent de prétexte pour pallier les folles et somptueuses dépenses de leurs bains. Parmi ces ablutions,, il y en a une surtout qui est de la plus stricte obligation, et qu'ils nomment gusul: sans elle, ils se disent ginnub, c'est-à-dire souillés pour avoir eu un commerce intime avec une femme ou pour quelque pollution

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