le monde à une époque où l'esprit d'intrigue ét de faction agitait toutes les têtes. La trempe de son âme ne fut pas assez forte pour lui faire adopter franchement un des partis qui divisaient l'État; il flotta toujours entre tous, et montra une irrésolution qui devint l'objet des reproches du cardinal de Retz. Dégoûté des tracasseries politiques, son caractère doux et paisible le ramena à la vie privée; il s'y fixa, et sut y goûter pleinement les charmes de l'amitié et les plaisirs de l'esprit. Ce fut au milieu de la société la plus polie, et de tout ce qu'il y avait de plus distingué à la cour et à la ville, qu'il composa ses Maximes (ou plutôt ses pensées) et ses Réflexions morales. Il mourut à Paris, en 1680, à l'âge de soixante-huit ans. Le duc de La Rochefoucauld n'était rien moins qu'orateur, ce qui prouve que la réflexion s'allie difficilement avec la vivacité d'imagination et la facilité de l'élocution. Huet nous apprend, dans ses Mémoires, « que ce seigneur résista aux instances de toute la cour pour qu'il prît place à l'Académie française, alléguant raison d'impuissance pour parler au public. La Rochefoucauld a ramené toutes les passions à une seule, à l'amour de soi-même. Aussi est-il accusé, par beaucoup de censeurs sévères, d'avoir voulu calomnier l'espèce humaine, en généralisant un système peu consolant pour la vertu. Outre qu'un grand nombre de ses réflexions n'ont aucun rapport à l'amour-propre ni à l'intérêt, il est facile de justifier le duc de La Rochefoucauld, en considérant les mœurs de son siècle, le temps de troubles et de guerre civile où il vivait,

et le lieu où il a écrit. L'essentiel est de savoir si cette accusation est fondée, et si La Rochefoucauld a deviné juste; malheureusement la preuve en est écrite dans tous les cœurs, et le peintre a saisi les hommes dans l'expression habituelle de leur physionomic. Le temps où il vivait contribuait à développer le jeu de toutes les petites passions qui prennent leur source dans l'amour-propre, de toutes ces basses intrigues où les faiblesses humaines se trahissent, où l'intérêt personnel se montre à nu, et, à la tête de la cohorte des vices, porte sa corruption dans le cœur des particuliers, et finit par infecter la masse du corps social. Le temps présent corrobore le système de La Rochefoucauld; · le corollaire même a dépassé de beaucoup la proposition:

1. La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu'ils ont ou par leur fortune.

2. L'amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.

3. L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.

4. La vanité, la honte, et surtout le tempérament, font souvent la valeur des hommes et la vertu des femmes.

5. L'intérêt parle toutes sortes de langages, et joue toutes sortes de personnages, même celui de dés

intéressé.

6. La félicité est dans le goût, et non pas dans les choses, et c'est par avoir ce qu'on aime qu'on est

heureux, non par avoir ce que les autres trouvent aimable.

7. L'art de savoir mettre en œuvre de médiocres qualités dérobe l'estime, et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite.

8. Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaisir à en remarquer dans les

autres.

9. La fortune fait paraître nos vertus et nos vices, comme la lumière fait paraître les objets.

10. Tout le monde se plaint de sa mémoire, et personne ne se plaint de son jugement. C'est que la mémoire n'est que l'effet de l'art et du travail, et que le jugement constitue l'homme raisonnable.

11. Les vieillards aiment à donner de bons préceptes, pour se consoler de n'être plus en état de donner de mauvais exemples.

12. L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu.

13. La plupart des honnêtes femmes sont des trẻsors cachés, qui ne sont en sûreté que parce qu'on ne les cherche pas.

14. La souveraine habileté consiste à bien connaître le prix des choses et l'esprit de son siècle.

15. On est quelquefois un sot avec de l'esprit, mais on ne l'est jamais avec du jugement.

16. Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions, si le monde voyait tous les motifs qui les produisent. La pensée contraire est heureusement aussi vraie ; c'est-à-dire, nous serions souvent dans le cas de nous enorgueillir de nos belles actions,

si les autres pouvaient être témoins du noble motif qui les produit.

17. La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde.

18. Il en est de la reconnaissance comme de la bonne foi des marchands: elle entretient le commerce, et souvent nous payons, non parce qu'il est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prêtent.

VAUVENARGUES. Luc Clapiers de Vauvenargues, naquit à Aix, en 1715, d'une famille noble de Provence. Il servit long-temps en qualité de capitaine dans le régiment du Roi, infanterie ; il quitta le service, et se livra à l'étude de la morale. Il mourut en 1747. Les maximes suivantes sont extraites du recueil de réflexions et maximes, qui font suite à l'Introduction à la Connaissance de l'Esprit Humain, ouvrage fort de raisonnement, et qui place son auteur parmi les moralistes les plus distingués :

1. Nous aimons quelquefois jusqu'aux louanges que nous ne croyons pas sincères. Nous ressemblons à ce prélat italien dont quelqu'un louait la libéralité, quoique son avarice fût extrême. M'adula, disait-il, ma mi piace, il me flatte, mais il me plaît,

2. Les joueurs ont le pas sur les gens d'esprit, comme ayant l'honneur de représenter les hommes riches.

3. Les maximes des hommes décèlent leur cœur.

4. On n'est pas né pour la gloire, lorsqu'on ne connaît pas le prix du temps.

5. Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature: la nature n'a rien fait d'égal; sa loi souveraine est la subordination et la dépendance.

6. Il n'y a pas d'homme qui ne porte dans son caractère une occasion continuelle de faire des fautes; et si elles sont sans conséquence, c'est à la fortune qu'il le doit.

7. Le sot est comme le peuple, qui se croit riche de

peu.

8. Il nous est plus facile de nous teindre d'une infinité de connaissances, que d'en bien posséder un petit nombre.

9. Qui s'étonnera des erreurs de l'antiquité, s'il considère qu'encore aujourd'hui, dans le plus philosophe de tous les siècles, bien des gens de beaucoup d'esprit n'oseraient se trouver à une table de treize couverts?

10. Il est faux qu'on ait fait fortune lorsqu'on ne sait pas en jouir.

11. Quelques auteurs traitent la morale comme on traite la nouvelle architecture, où l'on cherche avant toutes choses la commodité.

12. Les grandes pensées viennent du cœur.

BACON. François Bacon, vicomte de Saint-Alban, grand chancelier d'Angleterre, naquit à Londres le 22 janvier 1561. Dès son enfance, il donna des marques de ce qu'il deviendrait un jour. Étant fort jeune, il accompagna Pawlet dans son ambassade à la cour de France. Ayant perdu son père, il re