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cœur plus noble que lui, il répondit : Un jour, après avoir fait un sacrifice de quarante chameaux, je sortis dans la campagne, accompagné de seigneurs arabes; je vis un homme qui avait amassé une charge d'épines sèches pour brûler; je lui demandai pourquoi il n'allait pas chez Hatemtaï pour avoir sa part du festin qu'il donnait à une nombreuse assemblée du peuple : Qui peut manger son pain du travail de ses mains, ne veut pas avoir d'obligation à Hatemtaï, me répondit-il. Certes, ajoutait Hatemtai, cet homme avait l'âme plus noble que moi. En France, la cupidité et la sottise n'ont pas honte d'arracher et de se partager le manteau dont la bienfaisance royale veut couvrir le mérite et l'indigence.

53. Si l'on vient vous dire qu'une montagne a changé de place, permis à vous de le croire; mais si l'on vous dit qu'un homme a changé de caractère, n'en croyez rien. Cette maxime est attribuée à Mahomet.

54. Dans le pays des palmiers (le Biledulgerid), on nourrit les ânes avec des dattes; parce qu'il y en a beaucoup. La datte est le fruit du palmier.

55. Amitié d'un jour, oubli prochain.

56. Souvent la parole dit à son maître, guide moi, car. C'est un appel que ce proverbe fait à la réflexion; car on parle beaucoup et trop quand on réfléchit peu. Si un babillard réfléchissait, il se dirait toujours à lui-même, avant de parler: Ce que je vais dire ne me nuira-t-il point? sera-t-il utile ou agréable à ceux qui m'écouteront? Les paroles sont les images des pensées.

57. O vous à qui tout réussit, tremblez! la Fortune se paie avec usure des faveurs qu'elle accorde. Horace a dit avec raison de cette capricieuse déesse : Fortuna savo lata negotio, et

Ludum insolentem ludere pertinax.

La fortune se fait un plaisir des plus tragiques avantures et s'attache constamment dans le monde à jouer des jeux extraordinaires. »

58. Le meilleur compagnon pour passer le temps est un livre. Un bon livre est le meilleur des amis; vous vous entretenez agréablement avec lui, lorsque vous n'avez pas un ami à qui vous puissiez vous fier; il ne révèle pas vos secrets, et il vous enseigne la sagesse. Un mauvais livre est une boîte de poisons subtils qui montent au cerveau. Un méchant livre est un sachet d'opium. Quand Diogène voyait approcher la fin d'un discours ennuyeux, courage, disait-il, je vois terre. On peut en dire autant quand on est à la fin d'un méchant livre.

59. Celui qui tire l'épée de la haine, la dirige contre sa propre tête.

60. Mesure la profondeur de l'eau avant de t'y plonger. Vois le fonds d'une affaire, avant de t'y engager.

61. La mèche surnageant dans l'huile s'en nourrit; plongée dans l'huile elle s'y éteint. Un peu de philosophie éclaire et console; trop de philosophie éblouit et égare. On veut percer trop loin, on oublie qu'on est homme et l'on croit pouvoir dépasser les bornes du possible.

62. Les paroles de la nuit ne se donnent que pour attendre le jour. Une historiette a donné lieu à ce

proverbe. Le calife Haroun-al-Raschid aimait une des suivantes de Zobéida, son épouse, sans que cette suivante eût jamais consenti à couronner ses feux. Le calife, la trouvant une nuit endormie dans un bosquet, crut pouvoir profiter de l'occasion et vaincre sa résistance. Elle allait succomber sous les efforts que faisait Haroun pour satisfaire sa passion, lorsqu'elle le supplia d'attendre jusqu'à l'arrivée du jour; le calife y consentit à regret. Au lever de l'aurore, il envoya un messager à la belle esclave pour la sommer de tenir sa promesse; mais elle lui fit la réponse citée ci-dessus, qui a depuis passé en proverbe, et qu'Haroun, admirant la vertu de cette fille, fit célébrer en vers par Abu-Naovas, le plus grand poète alors de l'Arabie.

65. Le grand homme est un but contre lequel la fortune dirige ses traits. Elle semble avoir épuisé son carquois sur l'éxilé de Sainte-Hélène.

64. Point de chagrin dont on ne trouve un jour le terme; point de position dans la vie qui ne fasse place à une autre.

65. En pays étranger, le plus clairvoyant est aveugle.

66. Ily a quatre espèces de morts: la mort des princes, la mort des riches, celle des savans et celle des pauvres. La première est un crime lorsqu'elle est violente, la seconde est l'objet des désirs des envieux, la troisième est l'objet des regrets, et la quatrième est un repos.

67. Il y a deux classes d'hommes: ceux qui jouissent et ne sont pas heureux; ceux qui cherchent le bonheur et ne le trouvent pas.

68. La libéralité du pauvre est la meilleure libéralité. Le denier de la veuve l'emportera dans la balance divine sur la pièce d'or d'un millionnaire, et le léger tribut du pauvre sur la pitié dédaigneuse

d'un parvenu.

69. C'est le repentir d'Abu-Gapshan. L'honneur d'être le dépositaire des clefs de la Caabah, ce temple aussi fameux autrefois par les pélerinages des païens arabes qu'il l'est aujourd'hui par ceux des musulmans, était confié à un certain Abu-Gapshan, de la tribu des Kozaïtes, dont l'antiquité était remarquable chez les Arabes. Ces Kozaïtes descendaient de Joktan, et avaient long-temps habité l'Yémen dans l'Arabie Heureuse; mais, forcés par les inondations du lac d'Aram de chercher un autre pays, ils se transportèrent dans la vallée de Marry, qui est voisine de la Mecque. Ce changement de séjour en opéra un dans leur nom, ayant toujours été appelés depuis Kozaïtes ou séparés, parce qu'ils ne conservèrent plus aucune liaison avec leur souche. Ils ne furent pas long-temps dans ce nouveau séjour sans y donner des marques de leur valeur et de leur puissance; ils se rendirent maîtres de la Mecque et du temple de la Caabah, qu'ils possédèrent en paix durant plusieurs siècles. Mais comme tous les successeurs d'un même État ne se ressemblent pas, Abu-Gapshan, un des descendans de ces généreux Kozaïtes, dégénérant de la vertu de ses ancêtres, perdit, par sa faiblesse, ce qu'ils avaient acquis par leur valeur. Il était extrêmement adonné au vin; Cosa, aïeul maternel de Mohammed, profita de ce faible, surprit cet homme indo

T. II.

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lent dans un accès de débauche, et acheta de lui pour une bouteille de vin les clefs du temple avec l'intendance de ce fameux édifice. Lorsque AbuGapshan fut revenu de son ivresse, il s'aperçut qu'il avait fait un mauvais marché; mais son repentir, tout prompt qu'il fut, ne lui fit pas restituer ce qu'il avait si sottement perdu, ce qui donna lieu depuis au proverbe arabe : C'est le repentir d'Abu-Gapshan, pour signifier, perdre sans retour une chose précieuse. Cependant le sentiment de sa perte excita en lui l'envie de la réparer; et parce que les Kozaïtes semblaient partager avec lui la honte attachée au malheur qui lui était arrivé, il les appela aux armes. Cosa, aussi jaloux de conserver que d'acquérir, mit, de son côté, tout en usage pour maintenir son usurpation. Il envoya solliciter secrètement les Korashites dispersés dans les tribus voisines, de se trouver armés à un rendezvous dont il fixa le jour; ils y accoururent suivant qu'ils en étaient convenus, et, fondant à l'improviste sur les Kozaïtes, il les défirent et les chassèrent de la ville, dont ils demeurèrent toujours les maîtres depuis. Cosa et sa postérité jouirent jusqu'au temps de Mahomet, du gouvernement de la Mecque et de celui de la Caabah.

70. Les biens de ce monde ne nous appartiennent qu'en usufruit; le corps n'est qu'un vêtement de louage, cette vie qu'une hôtellerie. Les biens de ce monde n'ont point de stabilité. Les sages disent qu'il y a six choses dont il ne faut point espérer de durée : 1° d'une nue, car elle se dissipe en un instant; 2° d'une feinte amitié, parce qu'elle passe

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