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furent inutiles, ils s'en donnèrent plus à cœur joie. Le pape Honorius, qui connaissait sans doute l'entêtement et l'incontinence des Allemands, dans l'intention de réprimer cet abus, ne trouva rien de mieux que d'accorder des indulgences à ceux qui boiraient un coup après avoir dit grâces. Mais estce bien là l'origine de cette façon de parler proverbiale? ne viendrait-elle pas plutôt de ce passage de l'Evangile : Et accepto calice, gratias agens dedit eis, et biberunt ex illo omnes. La Monnaie, qui a commenté cette expression, pense qu'il faut peut-être lire, après grâces-Dieu bue, pour donner à entendre que, non contens d'avoir bu le coup après grâces, ils (les moines) demandaient à boire sur nouveaux frais, ainsi boire grâces-Dieu, ce serait boire un coup après avoir dit ses grâces. Mathurin Regnier a dit :

Après grâces Dieu beut; ils demandent à boire.

7. Il se croit le premier moutardier du pape. Cela se dit ironiquement d'un homme présomptueux qui a une haute opinion de son mérite. C'est le nom qu'on a donné primitivement en proverbe aux Dijonnais. Cela vient de ce qu'en 1382, Charles VI, roi de France, allant avec son oncle Philippe-le-Hardi, duc de Bourgogne, contre les Gantais qui s'étaient révoltés contre Louis, comte de Flandres, la ville de Dijon leva à ses frais mille hommes pour renforcer l'armée royale. En reconnaissance de ce service, le duc de Bourgogne donna, entre autres priviléges, à la ville de Dijon, celui de porter ses armes, et lui donna son cri, qui

était moult me tarde, qu'on écrivait alors en forme de rouleau, de sorte que les deux mots moult tarde étaient l'un proche de l'autre, et comme sur la même ligne, tandis que le mot me était hors de la ligne, et dans un repli du rouleau, abaissé au-dessous des deux autres mots. Mais plusieurs, par ignorance ou par promptitude, lisaient de suite les deux mots supérieurs moult tarde, ce qui a donné occasion d'appeler les habitans de Dijon moutardiers, et non pas à cause de la moutarde qu'on y fabrique, comme beaucoup d'autres se l'imagi

nent.

8. Il ne faut pas faire barbe de foare à Dieu. Vieux proverbe dont le sens est qu'il ne faut pas se moquer de Dieu, le tromper. Le mot foare, d'où nous est venu apparemment celui de fourrage, signifie de la paille, comme on peut le voir dans Nicot, qui ne dit pas faire à Dieu barbe, mais garbe de foare, de garba gerbe, c'est-à-dire, frauder la díme, ne baillant que de la paille sans grain. On disait du temps de Rabelais faire gerbe de feurre. Gargantua, dit-il, faisait gerbe de feurre aux dieux. Si Nicot a donné la vraie explication de ce proverbe, comme il n'y a pas lieu d'en douter, le mot dieux n'y a été mis que pour désigner les ministres des choses sacrées, par un tour d'expression dont l'usage est fort ancien dans le monde. (Voy. Nicot dans ses Proverbes, p. 18; Pasquier, liv. 8, de ses Recherches, et Ménage dans ses Origines.) Ce proverbe ne viendrait-il pas de ce qu'on faisait des barbes d'or aux dieux, et qu'à l'or on substitua de la paille?

9. Il souvient toujours à Robin (ou Robine) de ses flûtes. Selon le Duchat, ce proverbe vient de ce qu'un bon ivrogne, accoutumé à boire dans ces grands verres qu'on appelait flûtes, n'osant plus, à cause de la gontte, boire son vin que trempé, ne buvait jamais qu'il ne se ressouvînt de ses flûtes et qu'il ne les regrettât. Je prie le lecteur de ne pas s'effaroucher de l'interprétation un peu graveleuse qu'en donne l'auteur des Illustres Proverbes. Pour ménager la pudeur, je la traduis ainsi : Agitur de puellæ cujusdam historia: susurrum ex ore infimo, dum meiebat, exilientem, vocique sibillanti consimilem audiens, sonituque inaudito attonita, suum sic alloquebatur negotium: Sibillare cupis, amice, tibiâ tibi opus est, certè tibiam habebis; moxque amicum tibia donavit, sicut illi pollicita erat.

10. Les armes de Bourges, un âne dans un fauteuil (asinus in cathedra.) Il existe, suivant l'abbé Bordelon, qui l'a vu sans doute à Rome dans la bibliothèque du Vatican, un ancien manuscrit latin qui est une espèce de commentaire sur les commentaires de César. Il renferme, dit-il, le passage suivant: Asinius fuit (1), urbi Avarico, tanquam arma inimicis maximè exitiosa, qui offre le nœud ou l'explication du proverbe. Pendant que Jules César assiégeait la ville de Bourges (Avaricum), Vercingintorix, chef des Gaulois, ayant donné ordre à un capitaine nommé Asinius de faire faire une sortie par ses soldats contre les troupes de César, ce capitaine Asinius, ne pouvant les conduire lui-même

(1) Sous-entendu, sans doute, in cathedra.

à cause qu'il était très-incommodé de la goutte, envoya à sa place son lieutenant. Mais une heure après, comme on vint lui dire que ce lieutenant lâchait pied, il se fit porter dans une chaise aux portes de la ville, et anima de telle sorte ses soldats par ses discours et sa présence, qu'ils reprirent courage, retournèrent contre les ennemis, et en tuèrent un grand nombre; ce qui fit dire qu'Asinius dans sa chaise avait, aussi bien que par les armes des soldats, défait les troupes de César, et sauvé la ville de Bourges. Le sens primitif s'est altéré par rapport au mot armes qu'on a changé en celui d'armoiries, et au nom d'Asinius auquel on a substitué le mot âne.

11. Bourguignons sales. Si l'on s'en rapporte au sentiment de Bernard Palissy, le surnom de salés, donné pendant long-temps aux Bourguignons, provenait d'un usage qu'on leur attribue de mettre un grain de sel sur la langue des enfans, au moment de la cérémonie du baptême. Après avoir vanté les vertus de cette substance, cet homme de génie dit: Si les Bourguignons eussent connu que le sel fût ennemi de la nature humaine, ils n'eussent ordonné de mettre du sel en la bouche des petits enfans, quand on les baptise, et on ne les appeleroit pas Bourguignons sales, comme l'on fait. Suivant le Duchat, l'épithète de Bourguignons salés vient de la salade ou bourguignotte, ornement de tête particu. lier à l'ancienne milice bourguignone. Ce sobriquet est aussi attribué à l'opiniâtreté ou tête-dure des Bourguignons, qu'effectivement d'Aubigné, p. 207 de ses Tragiques, traite de Bourguignons testus,

et a rapport aux démêlés des maisons de Bourgogne et d'Orléans, qui ont donné lieu à cet ancien dicton :

Bourguignon salé
L'épée au côté,

La barbe au menton,
Saute Bourguignon.

De Serre, en son Inventaire sous Charles VII,année 1422, dit que les habitans d'Aiguesmortes massacrèrent la garnison de Bourguignons que le prince d'Orange y avait établie, et que, de peur que l'odeur fétide des cadavres n'infectât l'air, ils firent un grand trou dans lequel ils les jetèrent et les couvrirent de sel. L'abbé Tuet a suivi cette interprétation. On montre encore à Aiguesmortes, dit Ménage, une grande cuve de pierre où l'on salait les Bourguignons. Pasquier, dans ses Recherches, donne à ce surnom une origine différente; il la fait remonter au temps où les Bourguignons, résidant au pays de delà le Rhin, étaient toujours en querelle avec les Allemands au sujet de leurs salines. « Ce qui nous peut donner à penser, dit-il, que leurs voisins, les voyant en ce point piqués et continuer leurs discordes au sujet du sel, s'induisirent facilement à les appeler salés. »

12. Enlever comme un corps saint. Quelques auteurs prétendent qu'il faut dire : enlever comme un Corsin ou Cahorsin, et non pas comme un corps saint, expression qu'ils croient être une corruption que la ressemblance des mots a produite. Les Corsins (Corsini) furent des marchands d'Italie, fameux parleurs usures au treizième siècle, en France,

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