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quelques galères qu'il leur demandait, je vous conseille, leur dit Phocion, d'être les plus forts, ou d'être amis de ceux qui le sont.

20. Nager entre deux eaux. C'est se ménager entre deux partis, sans oser se décider pour aucun rôle délicat, incompatible avec la bonne foi, et dont l'acteur, quand on le connaît, est généralement méprisé. Il vaut cependant encore mieux rester neutre, que de s'insinuer dans l'un et l'autre parti, de manière à faire croire, à chacun d'eux, qu'on lui est exclusivement dévoué; c'est une conduite indigne d'une âme droite et honnête. Solon fit passer en loi, que personne ne pourrait être neutre dans les troubles de la république, non, sans doute, pour forcer les parens et les amis à s'entr'égorger, mais au contraire pour les contraindre à cesser leurs divisions par la rigueur d'une telle alternative. La plupart des Etats, dit Rhulières dans son Histoire de l'Anarchie de Pologne, ont été perdus par ces citoyens équivoques qui veulent s'accommoder au temps; qui dans les affaires publiques, au lieu de considérer ce que le devoir exige d'eux, cherchent à tirer des plus fâcheuses circonstances le meilleur parti, ou du moins le moindre mal possible, et n'opposent par là aux événemens que les ressources de leur esprit, de leur sagacité, de la faible prévoyance humaine, et non l'inflexible raideur de la vertu, la fermeté inébranlable du devoir. L'expression française nager entre deux eaux correspond à celle des Latins duabus sedere sellis, être assis sur deux siéges. Le poète Laberius ayant été fait sénateur par César, Cicéron

refusa de lui faire place, en disant: Je vous recevrais volontiers, si nous n'étions pas trop serrés. C'était reprocher à César de trop multiplier le nombre des sénateurs. A l'application, c'était autrefois tout comme aujourd'hui. Laberius repoussa le trait par un autre plus piquant: Atqui solebas duabus sedere sellis, vous aviez pourtant coutume d'être assis sur deux siéges; voulant reprocher par ces mots à cet illustre orateur, sa conduite équivoque dans les dissentions civiles.

21. L'opinion est la reine du monde, « parce que, dit Champfort, la sottise est la reine des sots. Il en est de l'opinion comme des étoffes que l'on débite dans un immense magasin. Beaucoup d'acheteurs regardent plus au lustre et à l'éclat qu'à la qualité; aussi l'homme sage ne doit point s'étonner de la bizarrerie, de l'inconséquence, et de la versatilité des esprits de ce temps, qui n'ont rien d'arrêté, rien de solide, et qui ne vivent que d'emprunts. Il est rare de trouver un homme qui ait positivement son esprit à soi; il est presque toujours teint de celui des autres.

L'opinion gouverne en mille circonstances;

Au lieu de la fronder, feignons ses apparences:
Avec ce stratagême, on voit plus d'un esprit,
Adorer le veau d'or sans perdre son crédit.

22. Qui ne peut nous obliger, peut souvent nous nuire. Quelqu'oubliés que paraissent certains personnages, qui ont joué des rôles importans sur la scène de la politique, si vous êtes ambitieux, vous ne devez pas cesser de les cultiver, parce que, s'ils ne peuvent pas vous être utiles, ils ne chercheront

pas du moins à vous nuire. S'ils ne sont pas puissans par eux-mêmes, ils tiennent à ceux qui sont puissans; ils ont des amis par qui ils peuvent nuire ou obliger; ils peuvent d'ailleurs revenir sur l'eau. Si vous vous sentez dans l'âme l'énergie de la vertu, vous pouvez les mépriser et les fuir.

23. A trompeur trompeur et demi. La fable suivante expliquera la morale de ce proverbe: Un renard, voyant des poules juchées, avec leur coq, dans une cour, tâchait de les attirer par de belles paroles J'ai, dit-il, une bonne nouvelle à vous apprendre, c'est que les animaux ont tenu un grand conseil, et ont fait entre eux une paix éternelle. Descendez, dit-il, célébrons cette paix de bonne amitié. Le coq, plus fin que le renard, se dresse sur ses ergots, et regarde de tous côtés. Que regardez-vous? dit le renard. Je regarde deux maîtres chiens qui s'avancent; et renard de fuir à toutes jambes. Eh, dit le coq, pourquoi fuyez-vous? la paix est faite entre les animaux. Oh, dit le renard en se retournant et fuyant de plus belle, peut-être que ces deux chiens n'en savent pas encore la nouvelle. La Fontaine a imité cette fable, mais il n'a pas employé la repartie du renard, qui est très-fine, et qui peut servir de leçon à bien des diplomates.

24. Le soleil n'échauffe que ce qu'il voit. L'homme de cour qui veut monter en crédit auprès du prince, vient se chauffer aux rayons de ses faveurs. Il doit lui faire une cour assidue pour le voir et pour en être vu. Les habiles courtisans savent bien mettre ce proverbe en pratique; il est fait pour eux. Leur maxime favorite est qu'il faut adorer le soleil levant.

Un moraliste d'humeur un peu atrabilaire a comparé le courtisan en faveur à un serpent: celui-ci ne nuit pas tant que le froid le resserre; réveillé par la chaleur du soleil, il s'agite, siffle, et darde sa langue fourchue.

CHAPITRE VIII.

Proverbes énigmatiques.

J'ai cru devoir donner dans ce paragraphe les principaux symboles de Pythagore. Ce sont, effectivement, autant de proverbes énigmatiques qui cachent une morale appropriée aux mœurs particulières au temps où vivait cet illustre philosophe. Ce sont des sentences courtes, et comme des énigmes, qui, sous l'enveloppe de termes simples et naturels, présentent à l'esprit des vérités analogiques qu'on veut lui enseigner. Ces sortes de symboles furent comme le berceau de la morale; car, n'ayant besoin, non plus que les proverbes, ni de définition, ni de raisonnement, et allant droit à inculquer le précepte, ils étaient très-propres à instruire les hommes dans un temps surtout où la morale n'était pas encore traitée d'une manière méthodique. Ils convenaient à Pythagore, qui, à l'exemple des Égyptiens, cherchait à enseigner sa doctrine, sans la divulguer et sans la cacher, se contentant toutefois de l'envelopper du voile de l'allégorie. On peut consulter avec fruit sur ce sujet Lilius Giral

dus, homme très-savant et grand critique, qui a donné un recueil complet de ces symboles, avec des interprétations latines très-étendues, et la Bibliothèque des anciens philosophes, par M. Dacier. Voici comme s'exprime ce savant académicien : « On dit communément que tout le bon sens est dans les proverbes, et on a raison; mais le symbole a un avantage sur le proverbe, c'est qu'il est plus figuré et plus travaillé, et qu'il renferme une morale plus fine et plus approfondie, comme on pourra le remarquer dans ceux de Pythagore (1), qui ne sont pas indignes de la curiosité du lecteur.">

(1) Pythagore naquit à Samos, une des îles de l'Archipel, vers l'an 592 ou 600 avant Jésus-Christ; il vivait du temps de Tullus Hostilius, selon Tite-Live, ou de Tarquin le Superbe, suivant Cicéron. Il descendait d'Ancée, qui avait régné à Céphalonie. Après avoir voyagé en Égypte, en Chaldée et dans l'Asie mineure, et après avoir enrichi son esprit des plus rares connaissances, il revint à Samos, qu'il quitta bientôt pour s'établir dans la partie de l'Italie appelée la Grande-Grèce, et principalement à Crotone : c'est de-là que sa secte a été appelée Italique. Il se rendit extrêmement habile dans la morale, dans la politique, la médecine, l'astronomie, et dans toutes les parties des mathématiques. Il inventa le fameux théorème du carré de l'hypothénuse, qui est de si grande utilité en géométrie, et pour la découverte duquel il fit, dit-on, un sacrifice de cent bœufs. On lui attribue le dogme de la métempsycose, ou de la transmigration des âmes d'un corps dans un autre. L'abbé Barthélemy prétend que Pythagore n'admettait point ce dogme. Sa théorie des sons contribua à perfectionner la musique. Ce grand homine, quelque profond et universel qu'il fût dans les sciences, eut assez de modestie pour refuser le titre de sage, disant que ce titre n'appartenait qu'à Dieu seul. Il faut, disait-il souvent, faire la guerre aux cinq choses suivantes : aux maladies du corps, à l'ignorance de l'esprit, aux passions du cœur, aux séditions des villes, et à la discorde des familles. On n'a aucune donnée certaine sur le lieu et sur le temps de la mort de Pytbagore; l'opinion la plus commune est qu'il mourut à Métaponte, vers l'an 490 avant Jésus-Christ. Il fut honoré comme un dieu par ses disciples, qui regardaient comme un crime de douter de la vérité de ses principes; et quand on leur demandait la raison d'une croyance si absolue, ils se contentaient de répondre : Le maître l'a dit.

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