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7. Vox populi vox dei, la voix du peuple est la voix de Dieu. Cette sentence est d'Aristote. Aristide, défendant Périclès dans l'accusation intentée contre celui-ci, soutint que ce qui était universellement reçu par le peuple était fondé sur la vérité, et non sur le mensonge, et devait devenir la croyance générale, parce que la masse rend presque toujours hommage à la vérité. L'opinion publique est un écho qui répète toutes les voix : L'universale non s'inganna, disent les Italiens, et Sénèque a dit à peu près de même : Nemo omnes, neminem omnes fefellerunt. Cette maxime, pour être vraie en principe, n'est pas toujours bonne en application. Phocion semblait être bien convaincu de cette dernière vérité, lorsqu'un jour, haranguant la multitude, il s'aperçut qu'elle l'applaudissait; il se tourna aussitôt vers ses amis pour leur demander s'il lui était échappé quelque sottise; voilà ce qui s'appelle avoir une bonne idée du souverain. Les Italiens disent en proverbe : L'acqua e'l popolo non si può tenere, on ne peut retenir ni l'eau ni le peuple.

8. Les particuliers sont fiers dans une république, mais la nation est bien plus fière dans une monarchie.

9. L'argent est le nerf de la guerre. Il faut en effet en être abondamment pourvu pour l'entreprendre avec prudence et la soutenir avec avantage. Charles VII, plus qu'aucun autre prince, avait connu cette vérité par expérience. C'est pour cela que l'as, dans le jeu de piquet, est la première de toutes les cartes. Ce mot as signifia d'abord, chez

les Romains, le poids d'une livre de cuivre, lequel fut réputé leur première monnaie. Ce mot a eu depuis plusieurs significations, en matière de monnaies, en proportion de la valeur attribuée à la chose. Aujourd'hui encore, le mot sol est rendu en latin, par celui de as ou par celui d'assis, de sorte que dans l'institution du jeu des cartes, on n'a pu donner le nom d'as à cette carte, qu'en la faisant regarder comme une pièce de monnaie, et comme synonyme d'argent. Ainsi la primauté qu'on lui attribue sur toutes les autres cartes, dans ce jeu symbolique et militaire, montre clairement qu'on n'a eu en vue que d'exprimer la vérité de l'axiome, qui est devenu proverbial: L'argent est le nerf de la guerre. Celui qui aura le dernier écu dans ses coffres, disait un habile ministre, demeurera le maître du champ de bataille.

10. Où il n'y a rien, le roi perd ses droits. Mademoiselle Clairon, actrice célèbre, et connue pour son intimité avec le margrave d'Anspach, quitta de dépit le théâtre, à sa sortie du fort l'Évêque, où elle avait été renfermée. Elle disait avec un ton d'emphase qui lui était familier, que le roi était maître de sa fortune et de sa vie, mais non de son honneur. Vous avez raison, dit Sophie Arnould, qui était présente lors de cette apostrophe contre le monarque, où il n'y a rien, le roi perd ses droits. Ce proverbe répond à cette pensée de Plaute (Aulul., act. 2, scène vi): Ubi quid subripias, nihil est, tu ne saurais rien dérober où il n'y a rien.

11. En politique les chemins droits et unis sont les meilleurs.

12. Il a passé le Rubicon; Jacta est alea, le dé est jeté; c'est-à-dire, en parlant d'un guerrier ou d'un conquérant, qu'il est tellement avancé dans ses projets, qu'il n'y a plus moyen pour lui de revenir en arrière sans compromettre sa propre gloire et sa sûreté. Cet axiome est particulier aux ambitieux qui désolent la terre. Il est tiré de l'exemple de César, qui, s'étant décidé à passer le Rubicon, aujourd'hui le Pisatello, petite rivière de la Romagne, marcha droit, après cette résolution hardie, à la conquête de Rome et au pouvoir suprême. César, dans Suétone, explique lui-même son projet à ses amis, en ce moment si décisif pour lui. Lorsqu'il fut sur le rivage, il s'arrêta un moment, réfléchit sur la grandeur de son entreprise, et, se tournant vers ceux qui l'accompagnaient : « Nous pouvons, dit-il, retourner sur nos pas; mais si nous osons franchir ce pont, le grand procès entre Pompée et moi ne se décidera que l'épée à la main. »> Ce proverbe énergique est cité communément pour rendre d'une manière bien sensible, la marche ambitieuse d'un conquérant qui emploie tout pour parvenir à ses fins, rompt tous les obstacles qui s'opposent à son passage; mais souvent lorsqu'il est sur le point d'atteindre le but de ses projets, la fortune ennemie se trouve au bout de la carrière pour les faire échouer. Tous les conquérans n'ont pas autant de bonheur que César. La plupart sont comme les joueurs, qui, après avoir fait une fortune considérable, veulent toujours l'augmenter, finissent par tout perdre et sont réduits à la misère.

13. Le véritable culte de Dieu dans un prince, est

de demeurer dans ses limites, de maintenir les traités, de se contenter de ce qu'il a, et de souffrir patiemment la privation de ce qu'il n'a pas. Il doit tenir une conduite diamétralement opposée à celle de ce roi d'Espagne qui disait : Tout traité est nul quand le bon Dieu ne l'a pas signé.

14. Il faut faire un pont d'or à l'ennemi qui fuit. Lorsque le duc d'Albe vint occuper les Pays-Bas, pour y comprimer la rébellion qui y avait éclaté, il apprit que le prince d'Orange avait rassemblé en Allemagne une armée avec laquelle il venait de passer la Meuse, dans l'intention de livrer bataille aux Espagnols. Le duc, ne voulant rien donner au hasard, et prévoyant d'ailleurs que l'armée du prince se désunirait dès qu'on n'aurait plus moyen de la payer, resta immobile dans son camp; et. lorsque les seigneurs espagnols lui reprochaient une circonspection qui ressemblait à la crainte, il leur répondait: Le roi mon maître m'a envoyé pour vaincre, et non pas pour combattre. Cependant ce qu'il avait prévu ne tarda pas à se réaliser, et quand on lui annonça que l'ennemi était en pleine retraite, et affaibli par de nombreuses défections, quand on renouvela auprès de lui les instances pour qu'il attaquât et achevât de détruire une armée en désordre : L'ennemi se retire, répondit-il, eh bien, qu'on lui fasse un pont sur la Meuse, s'il n'y en a pas. Cette confiance dans la maxime qu'il faut faire un pont d'or à l'ennemi qui fuit, lui valut un succès plus complet et plus certain que n'aurait pu faire une bataille.

15. Tel a les yeux fermés qui ne dort pas. C'est

le portrait d'un politique adroit et rusé, qui fait semblant de ne pas apercevoir des choses sur lesquelles il prend ses précautions et ses mesurces.

16. Qui fait le péché doit faire la pénitence. Les princes semblent n'être pas compris dans cette règle; ils font souvent le péché, et les peuples la pénitence: Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi.

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17. Il faut quelquefois faire plier la loi sous la nécessité. On serait quelquefois, sans cette infraction nécessaire mais rare, exposé à commettre de grandes fautes dans un gouvernement. César avait fréquemment à la bouche ce vers d'Euripide, que si l'équité et la justice devaient être jamais violées. elles ne devaient l'être que pour la sûreté des rois.» L'infortuné comte de Strafford répétait souvent cette maxime mémorable à Charles Ier, son maître, plus infortuné que lui: Que si quelquefois la » nécessité obligeait le souverain de violer les lois, >> on devait user de cette licence avec une extrême » réserve; et qu'aussitôt qu'il était possible, on de» vait faire réparation aux lois, pour tout ce qu'elles avaient pu souffrir de ce dangereux exemple.

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18. Paix profonde et bonne terre, bon pour le voisin qui aime la guerre. Il est de la grandeur de ne vouloir pas toujours ce que l'on peut. Il est aisé et peu glorieux de troubler les peuples, qui ne pensent qu'à vivre en repos, et à jouir des avantages d'une paix profonde.

19. De deux maux il faut choisir le moindre. Cet axiome est d'une utilité générale en politique. Les Athéniens, faisant difficulté d'envoyer à Alexandre

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