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nécessité avec tous ses attributs, telle qu'elle était probablement représentée dans les statues (voir le proverbe latin 65, t. 1, p. 163.) Tout cet attirail de la nécessité marque la puissance invincible de cette déesse, qui lie les mortels par des liens indissolubles. Elle marche devant la Fortune, pour indiquer que, quel que soit le pouvoir de celle-ci, celui de la nécessité lui est supérieur.

27. La fin couronne l'œuvre. Le succès fait tout. La plupart des hommes ne se déterminent à approuver ou condamner la conduite de leurs semblables, qu'en raison des événemens heureux ou malheureux qui en sont la suite. Incapables souvent, par ignorance ou par prévention, de pénétrer au fond des affaires, ils n'en jugent que par ce qui frappe leurs sens. C'est surtout dans les affaires de la guerre et de la politique, que le jugement des hommes est sujet à s'égarer. Les personnes judicieuses, écartant les préjugés vulgaires, se conduisent plus sagement : instruites par l'expérience que la fortune rompt souvent les plus justes mesures, détruit les plans les mieux concertés, elles savent distinguer ce qui est l'effet du hasard de ce que la prudence a dirigé. Quelquefois elles trouvent qu'on a fait de grandes fautes dans une entreprise que le succès a couronnée, tandis qu'elles découvrent tous les effets d'une sagesse consommée dans un projet qui aura échoué. Mais telle est l'instabilité des choses de ce monde, telle est la prévention des hommes, que celui qui vient à bout de ce qu'il a entrepris est loué et envié, quelque imprudent qu'il ait été, tandis que celui qui a pris toutes les précau

tions nécessaires, qui a agi avec prudence et adresse, s'il échoue dans l'exécution de ses desseins, est taxé de témérité ou d'imprudence. Les événemens donnent donc aux causes le nom de justes ou d'injustes suivant leurs résultats. Si Annibal eût triomphé à Zama, ce ne serait pas une foi punique, mais une foi romaine, qui fût devenue, pour la postérité, synonyme de trahison ou de mauvaise foi. L'épée de Scipion décida la question en faveur des Romains. Sans Charles Martel, toute la terre était peut-être mahométane; sans la glorieuse Pucelle d'Orléans, nous serions peut-être Anglais. On ne voit presque rien de juste ou d'injuste, qui ne change de qualité en changeant de climat, dit Pascal.

28. Il faut céder au temps. C'est une loi de la nature à laquelle nul ne saurait se soustraire. L'auteur des Études de la nature, Bernardin de SaintPierre, s'exprime ainsi: « Jamais on ne jeta l'ancre dans le fleuve de la vie; il emporte également celui qui lutte contre son cours, et celui qui s'y abandonne. Tempori parendum. »

29. Charité bien ordonnée est de commencer par soi-même. Ce proverbe, pris à la rigueur, sent un peu l'égoïsme; cependant il est dans la nature de l'homme de préférer son bien-être à celui des autres. L'abnégation entière de soi-même est une vertu au-dessus du pouvoir de la plupart des hommes. Moi est une loi d'exception à toutes les règles établies. Un caractère de charité tel que celui de saint Vincent de Paule, est rare à trouver; dans ce siècle-ci ce serait un véritable phénomène. La charité est dans le cœur, et non dans la main. Les

dons sont un signe et une expression de cette vertu, mais ne la constituent pas essentiellement : on peut faire des aumônes, sans être véritablement charitable; cela se voit tous les jours.

30. Tout ce qui branle ne tombe pas. Ce proverbe peut être considéré comme le second membre de cette pensée de Pascal: Tout branle avec le temps. La vieillesse fait branler la tête; c'est un effet de la débilité des muscles de cette partie. Dans les paroxismes d'une grande douleur, on remue souvent la tête par un mouvement machinal propre à distraire les angoisses que l'on éprouve. Les mahométans ont la coutume, ainsi que presque tous les peuples du Levant, de branler la tête en devant et en arrière lorsqu'ils lisent; les juifs, en priant Dieu dans leurs synagogues, branlent aussi la tête, mais dans le sens d'une épaule à l'autre.

31. A bon entendeur salut. Il y a des gens qui disent toujours, dans la conversation: Je ne sais si je me fais bien comprendre. C'est ou un excès de vanité et d'impertinence, comme s'ils doutaient de l'intelligence de ceux à qui ils s'adressent, ou un excès de conscience et de modestie bien rare, comme s'ils allaient au-devant de l'opinion peu avantageuse qu'on pourrait avoir de leur esprit et de leur élocution.

32. Une bonne tête vaut mieux que cent bras. Phèdre dit, avec raison et justesse, qu'une armée de cerfs commandée par un lion vaut mieux qu'une armée de lions commandée par un cerf.

33. Il faut prendre l'argent pour ce qu'il vaut. Cer

tain monarque d'Orient avait besoin d'une somme d'argent pour donner aux Tartares, afin d'arrêter les incursions que ces peuples faisaient dans ses États. Il apprit qu'un mendiant était possesseur d'une somme considérable. Il le fit venir, et lui proposa de la lui emprunter, avec promesse de la lui rendre aussitôt que les impôts ordinaires seraient rentrés dans le trésor. Le mendiant, tout déconcerté, répondit au roi, qu'il serait indigne de sa majesté de souiller ses mains de l'argent d'un homme qui l'avait amassé en gueusant. Que cela ne t'inquiète pas, lui dit le monarque, c'est pour donner aux Tartares: tels gens, tel argent. Il y a maintenant en France beaucoup de gueux de l'espèce du mendiant, et grand nombre de Tartares figurent sur les budjets de l'État.

34. Ce qui est bon à prendre est bon à garder. On peut dire contre les publicains et le fisc, que quand un article est passé en compte, il n'y a plus à y revenir. Cette pensée, si vraie par la justesse de son application, est de Plaute, dans sa comédie du Rustre. Ce trait de satire était dirigé par ce poète comique contre ceux qui avaient à Rome le maniement des deniers publics, ou contre les percepteurs des impôts, qui surchargeaient ou trompaient les contribuables. La comparaison que Plaute fait dans cette comédie de ces agens infidèles et cupides avec les courtisanes et l'enfer, qui ne rendent jamais aucun compte de ce qu'ils reçoivent, est pleine de finesse, et reçoit tous les jours son application. Ce proverbe regarde aussi les gens d'affaires et les usuriers:

Grippon, à son heure dernière,
Par Honorine, sa moitié,
Très-incessamment était prié
De finir au moins sa carrière
En homme juste et bon chrétien;
Avant de quitter la lumière,
Rendez, rendez de votre bien
Ce que tel ou telle réclame,
Lui répétait la bonne dame.
Hélas! lui dit Grippon: Ma femme,
Que l'on ne me demande rien,

C'est bien assez de rendre l'âme.

35. Un peu d'aide fait grand bien. Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours se dire, comme le cocher de fiacre dit aux courtisanes, dans la pièce du Moulin de Javelle: Vous autres et nous autres, nous ne pouvons nous passer les uns des

autres.

36. Qui sert une communauté n'oblige personne en particulier. En quelque compagnie ou société que ce soit, ne vous engagez à rien de ce qui regarde les affaires communes, parce que, si vous réussissez, la compagnie s'en attribuera le succès, et si vous ne réussissez pas, chacun vous en attribuera la faute.

37. Ote-toi de là que je m'y mette. Ce proverbe est un véritable épitome de la vie humaine; c'est la cause inévitable de toute révolution. Il a été mis en pratique dans tous les temps. Combien n'avonsnous pas vu, dans le cours de nos dissensions civiles, de ces intrigans obscurs, de ces Lycurgues sans culottes et en sabots, à qui l'on peut appliquer ce vers de Juvénal :

Altera quos nudo traducit Gallia talo,

T. II.

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