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et l'oisiveté. Solon permit à chacun d'accuser un homme oisif, et, s'il ne se justifiait pas, il était déclaré infâme. Variam semper dant otia mentem, l'oisiveté nous balotte incessamment de pensée en pensée. (Lucain.)

48. Paix et peu, c'est la devise du sage; pauca, sed bona. Un homme sans fortune avait deux fils; il mourut. L'aîné, sans esprit, sans vertus, sans talens, comme beaucoup de chambellans, se glisse à la cour, s'insinue dans toutes les avenues qui conduisent au pied du trône; il s'avance et devient l'ami du prince: c'est qu'il possédait à fond le grand art de ramper, de flatter, de survivre à toutes les circonstances. Le plus jeune cultive le champ de ses pères. Un jour, le courtisan, devenu comte, dit au fermier Pourquoi n'apprends-tu pas à plaire, tu ne serais pas obligé de vivre du travail de tes mains. Fi donc! fais comme moi, tu aurais des cordons, des honneurs, des distinctions.-Ettoi, que n'apprends-tu à travailler, lui dit son frère; tu ne serais pas réduit à t'humilier tous les jours comme un esclave, et ta vanité ne dévorerait pas tout bas les affronts et le fiel de l'envie; tu ne serais pas exposé sans cesse aux atteintes de la calomnie et aux traits acérés du ridicule; fais comme moi, redeviens ton

maître.

49. Il faut prendre le temps comme il vient.

Point ne se faut courroucer aux affaires,

Il ne leur chaut de toutes nos colères;

Mais se savoir à tout événement
Accommoder, c'est faire sagement.

50. Il faut avoir l'esprit de son état. Un jeune

homme, qui avait plus l'air mondain que celui d'un ecclésiastique, vint un jour demander à Charlemagne un évêché, qu'il obtint. Il s'en retourna si satisfait, qu'il se fit amener son cheval, et le monta avec tant de légèreté que peu s'en fallut qu'il ne sautat par-dessus. L'empereur, qui le vit d'une fenêtre de son palais, l'envoya chercher, et lui dit : Vous savez l'embarras où je suis pour avoir de bonnes troupes de cavalerie; étant aussi bon écuyer que vous paraissez l'être, vous seriez fort en état de me servir; j'ai envie de vous retenir à ma suite, vous m'avez tout l'air d'être meilleur cavalier que bon évêque. Charlemagne s'en tint à cette leçon, qui dut inspirer au jeune évêqué l'esprit de son

état.

51. Les honneurs changent les mœurs. On en fait l'épreuve tous les jours; tel qui rampait dans l'humble fortune, est fier et arrogant dans la prospérité. Le bachelier Carrasco (Don Quichotte, liv. 5, chap. 4) donne une leçon de morale charmante à Sancho Pança, qui s'attend à avoir pour récompenses de ses bons et loyaux services, une des îles que doit conquérir le chevalier de la triste figure. Ami Sancho, lui dit Carrasco, ayez patience, tout vient à point à qui peut attendre, et le seigneur Don Quichotte vous donnera non-seulement une île, mais un royaume. Le plus vaut encore mieux que le moins, répondit Sancho; mais, monsieur le bachelier, je puis bien vous assurer que mon maître ne se repentira pas de me donner un royaume: je me suis bien tâté là-dessus, et, dieu merci, je me trouve de l'esprit et de la force de reste, comme

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je l'ai dit autrefois à lui-même. Sancho, répliqua Carrasco, les honneurs changent les mœurs, prenez garde qu'étant gouverneur, vous ne vous enorgueillissiez au point de ne plus connaître personne. » A combien de grands et de riches de nouvelle édition la morale du bachelier peut s'appliquer! Philippe II, roi d'Espagne, disait que tous les estomacs n'étaient pas capables de digérer de grandes fortunes, et qu'une mauvaise viande ne se tournait pas en si mauvaise nourriture, ni ne faisait pas tant de corruption dans le corps, que faisaient les honneurs d'un haut rang dans les esprits malfaits. Les honneurs sont pour bien des gens des manteaux surchargés d'or et doublés de plomb; ils les attèrent. Il y a certains honneurs dont il faut savoir se passer, de peur de ressembler à tout le monde.

52. Hátez-vous lentement, festina lentè. Maxime célèbre parmi les anciens, et qu'on ne doit jamais perdre de vue dans les affaires sérieuses. La réflexion guide la marche du sage : L'insensé court d'abord, et réfléchit ensuite; lorsqu'on lui reproche son imprudence, il répond: Je n'y pensais pas.

53. Il ne faut pas jeter le manche après la cognée. Il ne faut point se désespérer inutilement. Cet apologue est pris de l'état d'un bûcheron qui, ayant laissé tomber dans une rivière profonde le fer de sa cognée, désespéré des efforts inutiles qu'il faisait pour la recouvrer, jeta le manche, afin qu'ils fussent perdus ensemble, l'un lui devenant inutile sans le secours de l'autre. L'infortune et la félicité se touchent; c'est quand on se croit le plus mal

heureux, qu'on est souvent près de cesser de l'être.

54. Il ne faut pas péter plus haut que le cul. Manière proverbiale de parler fort en usage dans le discours familier. Elle signifie généralement qu'il ne faut pas s'élever au-dessus de sa condition, sortir de son état, vouloir aller de pair avec les personnes d'un rang éminent, faire figure ou de la dépense au-delà de ses moyens, s'attribuer les connaissances et l'esprit qu'on n'a pas :

Force gens font du bruit en France :

Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

Dans l'ordre naturel comme dans l'ordre social, il ne faut pas vouloir être plus qu'on ne peut. Si les nouveaux parvenus mettaient dans leurs coffres forts les sabots de leurs pères, on ne verrait pas tant de faquins bâtir de magnifiques palais.

55. Il ne faut pas laisser crottre l'herbe sur le chemin de l'amitié.

Un curé visitait souvent
Une philosophe mondaine,
Et lui disait sévèrement :
Devenez donc bonne chrétienne.
Le pasteur fut enfin congédié,
Et ne reparut plus chez la dame.
Depuis trente ans il était oublié

Lorsqu'on le rappela pour recevoir son âme.
Hélas! mon cher pasteur, ayez pitié de moi!
Je suis toujours de la paroisse :

Sur le chemin de l'amitié

Il ne faut pas que l'herbe croisse.
Elle a bien crû depuis trente ans
Lui dit le prêtre avec franchise,
Et grâce à tous vos mécréans,
Elle passe déjà le sommet de l'église.

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56. Trop de précaution entraîne trop de soin; il faut prendre garde de ne pas tomber de fièvre en chaud mal. On représentait devant un personnage, qui a laissé sur la terre un glorieux mais sanglant souvenir, une tragédie de Corneille. Dans une fort belle tirade, l'acteur passa sous silence un vers que tout le monde savait par cœur. L'auguste auditeur, qui avait la pièce sous les yeux, fit mander, après la représentation, le censeur dramatique chargé de la surveiller, et lui demanda le motif de cette suppression; le censeur s'excusa en disant qu'il avait fait supprimer le vers en question pour éviter une allusion. Maladroit que vous êtes, s'écria le grand personnage, c'est vous qui la faites cette allusion; sans votre impertinente suppression personne n'y aurait songé.

57. Il ne faut pas croire tout ce qu'on voit. Dans une grande cérémonie qui eut lieu à Versailles sous le règne de Louis XV, un plaisant aperçut dans la foule un provincial, et le reconnut, à son admiration stupide, propre à être le bardot de sa raillerie. Il s'approche de lui et de l'air le plus sérieux du monde, il engage avec lui la conversation suivante Le plaisant Monsieur ne connaît pas Versailles à ce qu'il me paraît?-Le provincial: Non, monsieur.-Le plaisant : Et par conséquent la cour? -Le provincial: Pas davantage; ayez la bonté, monsieur, de me dire quel est ce vieux seigneur qui marche encore si droit (c'était le duc de Richelieu). Le plaisant: C'est monsieur le vicomte de Turenne. Le provincial: Je le croyais mort. Le plaisant : On le croit en province.

Le

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