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Saint-Luc, a beaucoup de rapport avec cet adage, dont il n'est qu'une exagération. Sénèque a une pensée semblable à celle de nos auteurs sacrés. Aliena vitia, dit-il, in oculis habemus, a tergo post a nobis sunt. Ce défaut est ce que les Grecs appelaient philautie, au amour de soi-même.

38. On n'aime rien tant que le fruit défendu. Cela provient, sans doute, d'un penchant inné dans l'homme, de préférer ce qu'il a eu de la peine à se procurer. C'est à ce penchant que Juvénal fait allusion dans ces vers:

Sed prodere malunt

Arcanum, quam subrepti potare falerni.

« Ils aimeraient mieux divulguer un secret, que de boire le vin de Falerne qu'ils ont dérobé. » Salomon, dans ses Proverbes (chap. 1x), a dit à peu près la même chose dans cette sentence: Aquæ furtivæ dulciores sunt, et panis absconditus suavior. Les Latins ont dit aussi : Furtiva venus dulcior.

39. La langue est un glaive à deux tranchans, dont il ne faut pas se servir inconsidérement. Arnolphe se sert, dans la conversation, d'une arme à deux tranchans, de sa langue, l'un pour dire du bien, et l'autre pour détruire le bien qu'il a dit. Il est, comme l'on voit, ami des compensations. Il croit que ce système ne peut le compromettre, parce que, dit-il, le bien et le mal se balancent l'un par l'autre. Il a étudié les lois de l'équilibre; il ne se fait pas scrupule de dire à l'oreille de Damon, qu'Ergaste est un galant homme. Il va, quelques instans après, dire à celle de Dorante, qu'Ergaste est un

fripon; il sème partout le bruit qu'Alcidas va faire aujourd'hui banqueroute, et le lendemain il dit à tout le monde qu'il fait grandement honneur à ses affaires. Il insinue adroitement, dans un cercle, que les ministres vont proposer une loi avantageuse à l'État, et dans un autre il dit tout bas qu'il s'opère dans le gouvernement un changement défavorable à la chose publique. Il raconte à Orphise que Celamire a eu une affaire de cœur avec Hérodias, et à Celamire qu'Orphise a rejeté, comme une Lucrèce, les vœux de Cléanthe; et il va incontinent rapporter au mari d'Orphise les intrigues adultères de sa femme, et au mari de Celamire la chasteté et les vertus de la sienne. Arnolphe était né pour la politique.

40. Dis-moi qui tu fréquentes, et je te dirai qui tu es. Ce proverbe est en effet fondé sur l'expérience. Les mauvais exemples sont contagieux. L'on se corrompt facilement avec les gens corrompus; il s'établit insensiblement entre nous et ceux que nous choisissons pour amis, une simpathie vertueuse ou criminelle, suivant qu'ils sont gens de bien ou vicieux. La société de ces derniers est d'autant plus à éviter, que les lois sévissent également contre le malfaiteur et son compagnon. Un ancien législateur punissait, comme mauvais, ceux qui étaient convaincus de fréquenter mauvaise compagnie. Les jeunes gens de Paris, et les jeunes provinciaux qui abondent dans cette ville, si dangereuse pour les mœurs, par la facilité qu'elle offre d'assouvir toutes les passions, se perdent dans la mauvaise compagnie. Il est important de s'ac

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coutumer de bonne heure à ne hanter

gens

que les
de bien, pour ne pas provoquer l'application du
proverbe.

41. L'excès en tout est un défaut. Le père Har-
douin, jésuite, était, sans contredit, un homme
rempli de connaissances, et de la plus vaste éru-
dition; mais c'était le plus grand disputeur, et le
plus ridicule pyrrhonien qui ait existé depuis l'au-
teur de la secte sceptique. Son doute même s'é-
tendait jusqu'aux objets religieux. Il suffisait qu'un
auteur ancien contrariât son système, pour qu'il
déclarât fausse ou imaginaire l'existence de cet
écrivain. Il citait dans une controverse, en sa fa-
veur, les actes des conciles, puis après il en niait
l'authenticité. Il prétendait, entre autres absurdi-
tés, que l'on devait supprimer les deux premières
races de nos rois; que les fameux écrivains du siè-
cle d'Auguste étaient, pour la plupart, des auteurs
supposés par des moines, qui, dans un siècle où
le bon goût était ignoré, ont composé tant de beaux
ouvrages sous des noms imaginaires. Pressé de
donner des raisons et des preuves solides de tant
de paradoxes, il répondait : On les trouvera, après
ma mort, sur un papier grand comme la main ; il n'y
a que Dieu et moi qui le sachions. Il disait encore à
ce sujet : Qu'il ne s'était pas levé tous les jours à
quatre heures du matin, pendant quarante ans, pour
penser comme tout le monde. Combien de brillantes
qualités sont ternies par l'abus qu'on en fait, et
par un ridicule amour-propre! .i

42. Ne remettez jamais au lendemain ce que vous pouvez faire dans la journée. On demandait au ma

réchal de Montluc comment il avait pu faire tant de belles actions dans sa vie? C'est, dit-il, que je n'ai jamais remis au lendemain ce que je pouvais faire dans la journée.

43. La béquille du temps fait plus que la massue d'Hercule. La force et la précipitation rarement opèrent le bien, et bien plus souvent font le mal; le temps vient à bout de tout.

44. Ne te fie qu'à celui avec lequel tu auras mangé un minot de sel. Proverbe commun qui est un reproche aux hommes du peu de sûreté qu'il y a de se fier à eux; c'est-à-dire qu'ils sont légers, inconstans, faux, perfides, et qu'il faut une longue expérience pour les connaître, et les apprécier à leur juste valeur.

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45. L'habitude est une seconde nature, consuetudo altera natúra. «L'habitude, dit Volney, est une atmosphère physique et morale, que l'on respire sans s'en apercevoir, et dont on ne peut connaître les qualités propres et distinctives, qu'en respirant un air différent. On ne connaît toute la magie de cette puissance, que lorsqu'on est sorti de son cercle, pour éprouver l'effet des habitudes étrangères. Aussi les gens qui ont le plus d'esprit, lorsqu'ils ne sont pas sortis de leurs habitudes, et qu'ils veulent parler de celles d'autrui, c'est-à-dire des sensations qu'ils n'ont pas éprouvées, en raisonnent-ils comme les aveugles des couleurs. » Platon, reprenant un jeune homme de quelque faute légère, Vous me reprenez, dit-il, de bien peu de chose. Ce n'est pas peu de chose que l'habitude, répondit Platon. Un tailleur avait pour habitude, lorsqu'on lui appor

tait quelque habit à faire, de couper toujours sur l'étoffe un grand morceau qu'il mettait à part pour lui. Une nuit, il rêva qu'il était transporté au jugement dernier; il vit un ange qui lui présenta un énorme drapeau formé de tous les morceaux d'étoffes qu'il avait volés. Ce songe l'effraya extraordinairement; et le lendemain, en le racóntant à ses garçons, il leur dit qu'il était décidé à exercer désormais son métier en honnête homme. Pour me faire ressouvenir de ma résolution, ajouta-t-il, si par habitude je mettais quelque chose de côté, rappelezmoi le drapeau. Cela fut convenu: il se passa quelques jours, au bout desquels le tailleur, oubliant sa promesse, vola un peu de drap. Ses garçons la lui rappelèrent alors, en lui disant: Maître, et le drapeau? Taisez-vous, répliqua le tailleur; j'y pensais de même que vous, mais je me suis souvenu que cette étoffe y manquait. On raconte ce trait d'un vieil usurier à l'agonie: Lorsque le prêtre lui présenta le crucifix, il ouvrit ses yeux mourans, le considéra quelque temps avec attention, et s'écria, avant d'expirer : Ce sont de faux diamans, je ne puis prêter sur ce gage que dix pistoles.

46. Les perles, quoique mal enfilées, ne laissent pas que d'être précieuses. Cela s'entend des personnes qui disent de très-bonnes choses, mais qui savent mal les exprimer.

47. L'oisiveté est la mère de tous les vices. Les Péruviens punissaient l'oisiveté comme le plus grand de tous les vices, parce qu'elle est la source de tous ceux qu'on peut commettre. Le farouche Dracon décerna la peine de mort contre la paresse

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