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pas en route, et pour qu'on puisse mieux conserver sa personne, on le fait monter sur un excellent cheval; on lui fait faire bonne chère dans les auberges; enfin il arrive à la cour, où il raconte toute son histoire, qui se termine par faire rire le roi et les courtisans.

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par le duc de Weimar, commandant les armées françaises, le 2 mars 1638, il fut amené à Paris, et conduit au château de Vincennes, où il fut fort bien logé. On se contenta de sa parole, et il jouit de la plus grande liberté. Il était magnifiquement servi, et les dames du plus haut rang se faisaient une partie de plaisir d'assister à ses repas. Les plus riches seigneurs s'empressaient de le rechercher, et le roi lui faisait l'accueil le plus gracieux et le plus honorable. Il répondait à toutes ces honnêtetés avec la franchise et la rudesse d'un soldat, ce qui, sans doute, a motivé la première locution proverbiale, pour exprimer la comparaison de la simplicité des mœurs du siècle de Jean de Wert, avec la corruption du siècle dernier. Jean de Wert était excellent buveur et grand priseur de tabac; il était accompagné de plusieurs officiers allemands, qui ne lui cédaient en rien sous ce rapport. Son nom a servi de refrain à une infinité de chansons; mais depuis il a été éclipsé par celui du célèbre Churchil, duc de Marlborough. Jean de Wert s'était rendu redoutable à la France, par la prise de plusieurs places considérables de Picardie. Paris tremblait au seul nom de Jean de Wert; c'était l'épouvantail des petits enfans, le croquemitaine du dixseptième siècle. Son nom même était devenu une injure. Lorsque la nouvelle de sa défaite fut répandue dans Paris, on ne peut exprimer à quels transports de joie le peuple se livra. Ce délire ne fut surpassé que par celui qu'occassiona la nouvelle de la mort du due de Marlborough, qui donna lieu à la chanson si connue depuis. Comme il y avait

dans toutes les chansons une certaine naïveté grossière, qui ne laissait pas que d'avoir quelque chose de réjouissant, la cour et la ville s'en amusaient beaucoup. En voici une qui est une critique des mœurs du siècle :

A se barbouiller de tabac
Trouvoit-on de la gloire?
Se piquoit-on d'un estomac
Qui fût si propre à boire ?
Certaines dames de ce temps
L'emportent pour ces beaux talens
Sur Jean de Wert.

Dans les cercles les mieux choisis
Fort peu, je vous assure,
Imitent, par leurs tours polis,
Sarrazin et Voiture;

Je quitterois tous les vivans
Pour tels défunts, l'honneur du temps
De Jean de Wert.

Comme l'on se retire loin

De la galanterie,

On suit en sa place avec soin
La polissonnerie ;

On dit des mots plus grossiers
Que les goujats des officiers
De Jean de Wert.

Enfin, Jean de Wert et ses chansons étaient si fort à la mode, qu'on ne parlait plus d'autre chose. La captivité de ce général, dont le nom a fait un bruit si éclatant, laissa en France un souvenir immortel, et l'on nomma le temps où elle était arrivée, le temps de Jean de Wert.

55. Résolu comme Bartole. Ce célèbre jurisconsulte était si estimé de son temps, que l'empereur Charles IV le fit chevalier, et lui permit de porter

les armes de Bohême. Il mérita d'être regardé, non-seulement comme l'oracle de son temps, mais encore comme la lumière des siècles suivans: ses décisions étaient reçues comme des lois. La fermeté de ses principes, et sa science profonde en jurisprudence, ont donné lieu au proverbe, qui s'est conservé bien long-temps après sa mort.

56. Le prenez-vous par là, madame Hérault? Madame de Caylus rapporte, dans ses Souvenirs, que madame Hérault avait soin de la ménagerie, et dans son espèce était bien à la cour. Elle perdit son mari; le maréchal de Grammont, toujours courtisan, prit un air triste pour lui témoigner la part qu'il prenait à sa douleur; mais comme elle répondit à son compliment: Hélas! le pauvre homme a bien fait de mourir! le maréchal répliqua : Le prenez-vous par-là, madame Hérault? ma foi, je ne m'en soucie pas plus que vous. Cette réponse a passé depuis en proverbe à la cour.

57. Bourbon marche devant. Le duc de Bourbon, qui commandait en 1527 l'armée impériale en Lombardie, voyant ses troupes disposées à se retirer, faute de paiement, les mène à Rome, dont il leur promet le pillage. Pendant la marche, les Espagnols faisaient des chansons dans lesquelles ils élevaient leur général au-dessus de Scipion, d'Annibal et de César; ils le faisaient parler ainsi dans un couplet: Je suis un pauvre cavalier, je n'ai pas un sou, non plus que vous autres. Ils lui juraient de ne pas l'abandonner, quelque part qu'il voulût aller, fût-ce à tous les diables. Le duc arrive devant Rome, appuie lui-même une échelle contre la muraille pour com

mencer l'assaut: un coup mortel le renverse; aussitôt il se fait couvrir d'un manteau, afin de cacher aux troupes un accident qui ralentirait leur ardeur; il entend des soldats qui se demandent les uns aux autres, s'il est vrai qu'il a été tué, il leur répond lui-même : Bourbon marche devant. Ces paroles devinrent par la suite un proverbe.

58. Laissez faire à Georges, il est homme d'âge; c'est-à-dire, qui a de l'expérience. C'était un proverbe du temps de Louis XII, consacré par la profonde sagesse du cardinal Georges d'Amboise, ministre probe, et ami de son pays.

59. Colère du père Duchesne. Expression révolutionnaire consacrée par Hébert, un des factieux de la commune de Paris, dans un journal intitulé: Le père Duchesne, ramas impur de toutes les folies ordurières, et des imprécations sanguinaires mises à l'ordre du jour par son infâme rédacteur. Cette expression est devenue proverbiale, en passant avec les plus grossiers jurons par la bouche de la populace.

60. Habitans de Lagny, combien vaut Lorges? La ville de Lagny ayant été traitée avec beaucoup de rigueur par le duc de Lorges, à cause de l'esprit de révolte que ses habitans avaient manifesté, le nom de ce général fut pendant long-temps pour eux un souvenir de haine et d'effroi. Le leur rappeler, c'était leur dire une injure, et s'exposer à être maltraité par eux. Voici le quatrain latin qui fut fait à l'occasion de la fontaine dans laquelle ils plongeaient quiconque se permettait de les insulter par cette apostrophe: Combien vaut Lorges?

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