Page images
PDF
EPUB

tresse de François Ier, convaincu d'avoir favorisé la fuite et la défection du connétable de Bourbon, fut condamné à avoir la tête tranchée. Sa fille obtint, par ses larmes, et peut-être encore plus par ses charmes, la grâce du coupable. La peur qu'il eut du supplice avait fait sur son esprit une telle impression, qu'il fut attaqué d'une fièvre très-violente, qui ne le quitta qu'à la mort, ce qui a fait dire depuis: Dieu nous garde de la fièvre de SaintVallier! c'est-à-dire, d'une fièvre mortelle.

36. Fraîcheur de monsieur d'Imbercourt. Brantôme (dans ses Capitaines étrangers) rapporte que M. d'Imbercourt, de la famille de Brimeu dans les Pays-Bas, était attaqué, dès qu'il se voyait sur le point de combattre, d'une violente colique d'entrailles qui le forçait de descendre de cheval, pour aller dans un coin satisfaire un besoin naturel. II ne faut pas, dit Brantôme, inférer de là que M. d'Imbercourt eût quelque crainte, il était très-brave ; mais l'ardeur avec laquelle il se portait au combat, occasionait en lui cette révolution, dont les médecins peuvent rechercher la cause. Le courage ne consiste point uniquement à mépriser des dangers inconnus; s'y jeter tête baissée, c'est le propre d'un fou. La valeur n'est que l'impression plus ou moins forte qu'un danger réel fait sur notre âme; c'est sur la chaleur du sang qu'elle se gradue. Il n'est aucun homme, quelque brave qu'on puisse le supposer, qui ne sente battre son cœur à l'approche d'un péril imminent. Quand la vertu même, observe Montaigne, serait incarnée, je crois que le pouls lui battrait plus fort à l'assaut, qu'allant dî

[ocr errors]

ner ou jouir d'une jolie femme. » Quelqu'un félicitait un jour lord Peterborough de ne jamais avoir eu peur. Monsieur, répondit-il très-sagement, montrez-moi un danger que je croie prochain et réel, et je vous promets d'avoir autant de peur qu'aucun de vous. L'empereur Charles-Quint fit un jour ressortir par un trait de raillerie tout le ridicule d'une fausse bravoure. On citait devant lui un capitaine espagnol qui se vantait de n'avoir jamais éprouvé la moindre peur. Il faut, dit-il, que cette homme n'ait jamais mouché de chandelle avec ses doits, car il aurait eu peur de se les brûler.

37. Barbouillé d'Ancre. Selon le Duchat, cela se dit d'un homme soupçonné de magie, comme l'était l'Italien Concino-Concini, maréchal d'Ancre, dont la populace de Paris se distribua, en le déchirant en morceaux après sa mort, les entrailles, le cœur et les oreilles. On disait encore possédé du marquis d'Ancre, pour désigner un homme qui, comme on dit vulgairement, a le diable au corps.

38. Haleine de saint Colomban. En parlant d'un homme doué de vigoureux poumons, on dit : Il a l'haleine de saint Colomban. Cela est fondé sur le fait suivant, qu'on lit dans la vie de saint Colomban : Prêchant un jour aux environs du lac de Zurich, et voyant les habitans du pays prêts à faire un sacrifice à leurs idoles, ayant au milieu d'eux une grande cuve pleine de bière qu'ils allaient offrir au dieu Mars, il souffla dessus, et dans l'instant la cuve se brisa, et la bière se répandit. Les spectateurs, se regardant les uns les autres, dirent avec étonnement: Cet homme-là a une bonne haleine.

39. Il est aussi riche que Jacques Cœur. L'opulence de Jacques Cœur, argentier (trésorier) du roi Charles VII, a passé long-temps en proverbe. Lorsqu'on voulait désigner un homme qui possédait une fortune immense, on disait: Il est aussi riche que Jacques Cœur.

40. Les filleuls de monsieur Tubœuf. On appelait ainsi des lâches que le bas peuple appelle énergiquement d'un autre nom, qui correspondrait à celui-ci: Je suis tout évêque d'Avranches, devenu également proverbe. Le propos qu'on veut désigner vient d'un conseiller de grand-chambre nommé Tubœuf, qui, lors d'un lit de justice, tenu sous le règne de Louis XV, le 13 décembre 1756, fut du petit nombre de ceux qui donnèrent leur démission, se regardant comme dégradés par la privation de leur fonction la plus essentielle, l'opposition à l'enregistrement des édits. Comme il avait été militaire, en raison de son ancienne profession, il s'exprimait quelquefois d'une manière assez brutale. Indigné de la pusillanimité du plus grand nombre de ses confrères lors de leur délibération sur cet objet, il se mit à dire : Je savais bien qu'il y avait des j. f. parmi nous, mais je ne croyais pas qu'il y en eût tant. M. Tubœuf a tenu bien des gens sur les fonts de baptême. Combien d'hommes se servent du mot trop énergique du conseiller au parlement, et que la décence défend d'ailleurs de prononcer, sans savoir ce qu'ils disent. Les Latins avaient fait de la phrase ire ad futurum hominem le verbe futuire. Cette expression passa chez les Francs avec l'u prononcé ou, qui, par corruption et au

moyen d'une légère syncope, produisit le mot en
question. Le peuple, qui outre tout, appela familiè-
rement gens à traiter comme une femme, ceux qui
encouraient le soupçon de lâcheté, et le mot resta
d'abord dans la langue avec toute sa force primitive.
C'est ensuite par métaplasme, et en perdant de vue
la véritable origine du mot, qu'il substitua le nom
'propre
de Jean à celui de gent, et l'usage a consa-
cré cette confusion.

41. Mettre en rang d'Ognon. Amelot de la Houssaye, dans ses Mémoires (tome 2, page 60), attribue l'origine de cette façon de parler proverbiale à l'office du baron d'Ognon, Artus de la Fontaine-Solaro, grand-maître de cérémonies aux états de Blois en 1576, et qui sans doute faisait prendre rang à tout le monde selon les qualités des personnes et les degrés de prééminence. Mais d'autres parémiographes croient tout simplement que cette expression proverbiale fait allusion à la manière dont les gens de la campagne assemblent les ognons avec des liens de paille, en plaçant les plus gros les premiers, et ensuite les autres en raison de leur grosseur. On dit encore proverbialement d'un homme qui se place indiscrétement à un rang réservé à des personnes de plus grande condition que lui, qu'il se met en rang d'ognons.

42. Stupide comme Laine. La stupidité de Lainé, fameux partisan sous le règne de Louis XIII, fit naître ce proverbe. Comme il se promenait au Cours dans un superbe équipage, on fit sur lui cette épigramme, dont le sel est de jouer sur les

mots :

[ocr errors]

ᎪᏂ ! que ce couple est sage
Et bien morigéné!

De trois chevaux de divers âge,

Les deux cadets traînent Laîné.

43. Il ressemble au chien de Jean de Nivelle, il s'enfuit quand on l'appelle. Personne n'ignore que la maison de Montmorency, une des plus anciennes et des plus illustres maisons de France, a produit une foule d'hommes célèbres; mais ce que beaucoup de gens ne savent pas, c'est qu'elle est la source d'un de nos proverbes, trop commun pour n'avoir pas besoin d'une origine illustre. Jean de Montmorency, seigneur de Nivelle, embrassa le parti du comte de Charolais, fils du duc de Bourgogne, et si fameux par la suite sous le nom de Charles-le-Téméraire, contre le roi Louis XI, dans la guerre dite du bien public. Son père fut si indigné de cette rébellion, qu'après l'avoir fait sommer à son de trompe pour rentrer dans le devoir, sans qu'il comparût, il le traita de chien. Cette épithète, qui nous paraît seulement malhonnête et grossière, fut prise par le peuple dans une acception si odieuse, que, la regardant comme l'expression d'une juste et franche indignation, il voulut la consacrer par le dicton proverbial en question, qu'on appliqua par la suite aux gens peu complaisans, qui ne répondent point aux appels qu'on fait à leur obligeance, et qui iment amieux s'esquiver que de rendre le plus léger service. Le Dictionnaire de Trevoux donne à ce proverbe une origine toute différente. Jean de Montmorency, seigneur de Nivelle, ayant donné un soufflet à son père, fut cité

« PreviousContinue »