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se trouvaient mutuellement offensées, elles devaient se battre en champ clos, en présence de leurs familles, qui les obligeaient à tirer raison de l'offense en question. Le plus proche parent de celui qui venait à succomber dans la lutte, prenait sa place; à celui-ci en succédait un autre, jusqu'à ce qu'on jugeât que l'insulte reçue était suffisamment vengée.

56. Porter la selle. C'était anciennement une espèce d'amende honorable qu'on faisait faire aux personnes coupables de grands crimes, avant de les punir de mort. Les gens de condition portaient un chien ou une selle à leur cou, d'un comté à un autre, en signe d'ignominie : « Guillaume vint à merci, pieds nus, une selle à son cou. » Roman de Rou.

57. Se battre contre le vent. Lorsqu'un champion qui s'était rendu sur le champ de bataille pour le duel, n'y trouvait pas son adversaire; celui-ci était censé faire défaut. Alors le champion donnait de sa lance dans l'air comme s'il eût combattu, et le juge prononçait en sa faveur.

58. Il entend le numéro. C'était un ancien proverbe usité en Italie, où les premières banques ont été créées; il a passé de là en France. La banque ou blanque était une espèce de jeu de hasard où l'entrepreneur, avec permission du roi et des magistrats, mettait ostensiblement sur le tapis ce qu'il voulait tenir. Le joueur mettait une pièce de monnaie entre les mains du maître de la blanque; il tirait une devise ou un numéro que l'on avait soin d'enregistrer, et dont on remettait au joueur une cédule ou

copie portant le numéro et la devise qui lui étaient échus on mettait ces cédules dans une urne. Au numéro correspondait une espèce de bulletin énonçant le bénéfice que devait faire le numéro, et qui était mis dans une autre urne. On les livrait ensuite au sort jusqu'à un certain nombre déterminé, et l'on adjugeait aux numéros favorisés par le sort, les bénéfices correspondans. C'était, si je ne me trompe, une espèce de loterie simplifiée. On a appliqué ensuite le proverbe à ceux qui passent pour être adroits, et qui savent s'informer subtilement des affaires où il y a du profit à retirer.

CHAPITRE III.

Proverbes relatifs à des personnages historiques.

Ce chapitre m'amène naturellement à parler des personnages dont les noms ont acquis une célébrité produite par des faits qui peignent leur caractère, ou par des circonstances particulières que la tradition nous a transmises comme l'expression de l'opinion publique, soit pour les tourner en ridicule, soit pour en déduire des conséquences applicables à la morale, ou des vérités utiles. Platon a fait un traité sur les noms. Socrate était d'avis qu'il fallait donner de beaux noms aux enfans. Le savant Barthélemy, dans son Voyage du jeune Anacharsis, a consacré un chapitre tout entier à cette importante question. Il prétend que les noms ont une très-grande influence sur les des

tinées des hommes. Un des enfans de Rolet, dont Boileau a rendu le nom odieux et ridicule par ce

vers,

J'appelle un chat un chat, et Rolet un fripon.

prit le parti des armes, et, après avoir été mousquetaire, obtint une compagnie. Exposé à des insultes continuelles à cause de son nom, il fut obligé d'obtenir des lettres du roi portant autorisation de changer son nom en celui de Saint-But. De Ferrières, célèbre jurisconsulte, dit avoir connu un procureur au parlement de Paris dont le nom de famille était Malice. Il sentit que son nom pouvait donner lieu à des plaisanteries, et lui nuire dans l'exercice d'une profession souvent délicate et plus souvent suspecte; il obtint en conséquence des lettres qui lui permettaient de se faire appeler Molice au lieu de Malice. Le nom de Rapinat, commissaire du directoire-exécutif de France en Suisse, et que Sieyes appelait l'adjectif de Rewbel, le directeur, dont il était le beau-frère, est pour ainsi dire passé en proverbe. Ce Rapinat commit dans l'Helvétie toutes sortes d'exactions; il dépouilla même les abbayes et les églises de leurs vases d'or et d'argent. Enfin la crainte d'un soulèvement général le fit rappeler. L'or des malheureux Helvétiens lui servit à acheter les plus belles propriétés de l'Alsace, ce qui donna lieu au quatrain suivant:

Un bon Suisse que l'on ruine,
Voudrait bien que l'on décidât
Si Rapinat vient de rapine,
Ou rapine de Rapinat.

Il avait, dit-on, pour adjoints deux hommes de la même trempe, nommés l'un Grugeon, et l'autre Forfait. Un rapprochement aussi singulier que celui-ci pourrait donner naissance à une sorte de préjugé, que la raison n'admet pas sans doute, mais auquel les circonstances rattachent un caractère bien marqué de singularité historique. On voit, sous le règne de Charles VI, un boucher nommé Caboche, et, sous celui de Louis XIV, un autre boucher nommé Duretête, chef de la faction dite des ormistes, être les principaux auteurs de conspirations contre l'État, et finir tous les deux par une mort tragique. Le premier eut une telle puissance, qu'on rédigea sous son nom un code de lois, qui fut désigné sous le titre d'ordonnances Cabo

chiennes.

PROVERBES RELATIFS A DES PERSONNAGES

HISTORIQUES.

1. Hyppoclide ne s'en soucie pas. Voici l'historiette qui a donné lieu à ce proverbe grec. Clisthène, prince de Sycione, avait une fille d'une grande beauté, nommée Agariste, qu'il se proposait de marier au plus brave de tous les Grecs. Il fit en conséquence publier aux jeux olympiques, que quiconque se croirait digne de devenir son gendre se rendît à Sycione dans l'espace de soixante jours. Parmi le grand nombre des prétendans, se trouvèrent deux Athéniens, Megaclès et Hyppoclide, fils de Tysandre, qui passait pour le plus riche et le plus beau des Athéniens. Clisthène re

tint tous ces prétendans pendant une année pour éprouver leur courage, leur caractère et leurs mœurs. Hyppoclide, dont les ancêtres étaient issus des Cypselus de Corinthe, était celui de tous qui avait su le charmer le plus. Le jour enfin étant arrivé où Clisthène devait choisir son gendre, ce prince fit immoler cent bœufs, et donna un grand festin aux prétendans à la main de sa fille et aux Sycioniens. A la fin du repas, on disputa sur la musique. Hyppoclide, qui attirait l'attention générale, dansa la danse Emmeleia, et parut fort satisfait de lui-même. Peu après, il s'exerça dans les danses lacédémoniennes et athéniennes, mais il les exécuta d'une manière si indécente, que Clisthène, qui était déjà, dès la première danse, revenu de ses préventions favorables pour lui, ne put se contenir davantage, et lui dit : Fils de Tisandre, tu as dansé ton mariage hors de cadence? à quoi Hyppoclide répondit: Hyppoclide ne s'en soucie pas! Expression qui dans la suite passa en proverbe chez les Grecs, pour exprimer la fatuité et l'étourderie.

2. C'est une Phryne; c'est-à-dire une femme débordée et dissolue. Il y eut deux courtisanes de ce nom; celle dont je veux parler était surnommée le crible par les orateurs, parce qu'elle mettait à sec et renvoyait nus tous ses amans, et Charybde par les poètes, parce qu'il était dangereux de l'approcher. S'étant vantée d'avoir assez d'appas pour ne pas tendre inutilement des piéges à la continence de Xénocrate, l'un des plus célèbres philosophes de l'antiquité, né à Calcédoine et disciple de Platon, elle mit en jeu tous ses charmes

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