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poisson d'avril tire son origine de l'évasion d'un prince lorrain, qui se sauva le premier jour de ce mois du château de Nancy, et traversa la Meuse à la nage, ce qui fit dire aux Lorrains que c'était un poisson qu'on avait donné à garder aux Français. On appelle vulgairement poissons d'avril ceux qui font métier de prostituer des femmes et des filles. Un électeur de Cologne, se trouvant à Valenciennes, annonça qu'il prêcherait un tel jour. Une foule immense se rendit à l'église le jour fixé; chacun était impatient d'entendre le prédicateur. Après s'être fait long-temps désirer, l'électeur arrive enfin, monte en chaire, salue gravement l'auditoire, fait le signe de la croix, et s'écrie poisson d'avril! Puis il descend au bruit des trompettes et des cors, dont les fanfares durent couvrir les murmures et les huées causés par une indécence aussi sacrilége.

40. Rompre une paille avec quelqu'un. Cette coutume est en Europe de la plus haute et de la plus universelle antiquité. La cérémonie pratiquée par les paysans anglais, et qui consiste à rompre en deux une pièce de six sols, n'en est qu'une modification. Dans les temps réculés, elle garantissait entre les princes les pactes les plus importans. De lå est venu sans doute le verbe latin stipulor, je stipule, évidemment formé du mot stipula, paille; peut-être aussi le substantif fœdus, traité, tire-t-il son élymologie du mot irlandais ou celtique fodar, paille. Cette expression proverbiale signifie aussi briser les nœuds de l'amitié, et se tire d'un ancien usage qui consistait, en renonçant à la possession d'une propriété, à rompre le fétu ou petit bâton

que l'on mettait entre les mains de l'acquéreur d'une chose; quand on le rompait, c'était renoncer à cette chose. Comme le mot festuca indiquait le petit bâton en question, on l'a traduit par le mot fétu, et, l'usage s'abolissant, on a appelé fétu un brin de paille; mais si la coutume s'est perdue, l'expression figurée de cette coutume est restée ; l'investiture d'un bien se donnait également avec la paille, le couteau, les branches d'arbres; ce gage d'investiture s'appelait andilago.

41. Il entend le pair, c'est-à-dire, il entend le change. La grande quantité de pièces d'or et d'argent que des banquiers italiens avaient apportées en France, sous les règnes de François I" et de Henri II, dans le but de s'enrichir par l'agiotage, en profitant du taux excessif de l'intérêt de l'argent, avait occasioné une grande difficulté de connaître la valeur réelle et fictive de ces pièces, parce qu'elles étaient frappées au coin de différens souverains, et parce qu'elles entraient en concurrence avec celles de France. Les personnes qui avaient acquis l'usage et l'habileté de compter ces monnaies, passaient particulièrement pour adroites et intelligentes. De là est venu le proverbe dont l'application, devenue par la suite plus générale, désignait un homme versé dans les affaires.

42. Boire comme un templier. Faire des excès de vin, tels que ceux que l'on reprochait aux templiers. Les templiers étaient des chevaliers religieux qui furent institués à Jérusalem du temps de Beaudouin III. Ils portaient un manteau blane avec une croix de drap rouge dessus la poitrine, et

reçurent la règle de saint Bernard. Ces sortes de religieux furent appelés templiers, parce qu'ils demeuraient à Jérusalem auprès du temple. On fixe l'établissement des templiers à l'an 1118, et ils ne subsistèrent que 184 ans. Leur premier et unique soin fut de défendre les pélerins contre la cruauté des infidèles. Leurs biens, leurs richesses et leur crédit étant devenus immenses, leurs crimes devinrent innombrables. On les accusait surtout de se livrer à l'ivrognerie la plus crapuleuse, et à la débauche la plus infâme. Philippe le Bel les fit arrêter en France, dans un même jour. Cette exécution faite sur des religieux avec une rigueur cruelle, irrita le peuple; mais il fut calmé par la remise que le roi fit des templiers au jugement du pape. Ce fut en 1309 que cet ordre, rendu si odieux, ou par lui-même ou par les autres, fut aboli. Leurs biens furent donnés aux hospitaliers, connus depuis sous le nom de chevaliers de Malte.

43. Enterrer l'alleluia. Dans plusieurs diocèses de France, on était en usage, au quinzième siècle, d'enterrer l'alleluia. Ces cérémonies ridicules se pratiquaient le samedi veille du dimanche de la Septuagésime. Entre nones et vêpres, les enfans de chœur officiaient et portaient une espèce de bière, qui représentait alleluia décédé. Le cercueil était accommpagné de croix, de torches, de l'eau bénite et de l'encens. Mais il fallait que ces enfans imitassent par des cris et par des larmes la véritable douleur, en accompagnant le défunt jusqu'au cloître, où la fosse était préparée pour l'inhumation. 44. Fouetter l'alleluia. C'était une cérémonie

d'un autre genre et tout aussi ridicule. Le même jour que nous avons indiqué dans le numéro précédent, les enfans de chœur portaient à l'église une toupie, autour de laquelle était écrit le mot alleluia, en belles lettres d'or, et, le moment étant venu de lui donner congé, un enfant de chœur, le fouet à la main, faisait aller cette toupie le long du pavé de l'église, jusqu'à ce qu'elle fut tout-à-fait dehors.

45. Donner le gage d'amour sans fin. C'était, dans l'ancienne chevalerie, une faveur que les dames accordaient à leurs chevaliers pour prix de leur valeur. Cette expression était analogue à celle des latins: Zonam solvere, qui, dans la plus haute antiquité, désignait la ceinture virginale, qu'une belle déliait et détachait de son vêtement en faveur de l'amant qu'elle choisissait à jamais pour époux. Le possesseur d'une telle ceinture était censé marié; l'hymen suivait infailliblement un tel gage. A une époque moins reculée, le gage en question consistait non dans la ceinture déliée et abandonnée, mais dans le don qu'une belle faisait à son amant d'une de ses jarretières sur laquelle était brodé de sa main son nom et cette même devise: Amour sans fin. Ce gage était équivalent au premier pour la force de l'engagement; mais comme une jarretière est moins en vue qu'une ceinture, la faiblesse ou l'infidélité d'une belle était moins à découvert par le don de ce dernier gage d'amour sans fin. La coutume de partager aujourd'hui les jarretières de la mariée n'en est qu'une légère et innocente modification.

46. Battons les cartes jusqu'à ce qu'il nous arrive

T. II.

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une bonne main. Les cartes, que l'on prétend avoir été inventées pour amuser et distraire Charles VI, pendant les intervalles de sa maladie mentale, étaient, sous le règne de Louis XI, tellement devenues communes, qu'elles donnaient déjà lieu à l'expression passée en proverbe, et citée par Durandard, dans la Caverne enchantée de Montesinos.

47. Ras comme la barbe d'un prêtre. Ce proverbe, né en France, doit son origine à la défense faite aux prêtres, par les statuts de l'Eglise, de porter la barbe longue. La barbe avait repris, sous le règne de François Ier, son ancienne vogue. Lorsque le cardinal d'Angennes voulut prendre possession de l'évêché du Mans en 1556, il fallut des lettres de jussion pour le faire admettre avec sa longue barbe, parce qu'il ne pouvait se résoudre à la faire couper. Le fameux Pierre Lescot, architecte du Louvre, intendant des bâtimens royaux, aumônier du roi et abbé de Clermont, fut pourvu du canonicat de Notre-Dame; le chapitre lui permit d'être reçu avec sa barbe, sans l'obliger à la couper, quoique ce fût une nouveauté et une infraction aux lois de l'Église.

48. C'est pour elle que le four chauffe. Cela se dit d'une personne à laquelle une affaire est destinée. Madame de Sévigné emploie cette expression proverbiale d'une manière fort ironique, et dans une circonstance où il n'y avait pas le plus petit mot pour rire; il s'agissait de la Voisin, fameuse empoisonneuse : « On dit que Voisin mettait » dans un four tous les petits enfans dont elle fai»sait avorter, et madame de Coulanges, comme

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