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l'empressement des Romains pour avoir quelque chose de ceux qui leur ont succédé.

32. Le gant est jeté. Jeter le gant, autrement le gage de bataille. C'était proposer le combat et soutenir militairement ce que l'on avait affirmé être véritable. Cette expression proverbiale est tirée de l'ancien usage où l'on était aux X et XI° siècles de vuider, par les armes et en champ clos, les affaires, soit civiles, soit, criminelles. Ce qui s'exécutait avec solennité et de la manière suivante : Les deux champions ou combattans se présentaient devant les juges, et là le demandeur ou l'accusateur faisait sa demande ou sa plainte, sur laquelle le défendeur ou l'accusé niant le fait, l'autre lui donnait un démenti et jetait à terre son gant, que l'accusé ou quelqu'un de ses amis ou témoins ràmassait aussitôt, pour marquer qu'il acceptait le combat. L'on jetait le gant plutôt que quoique ce fût, parce qu'il était le premier objet qui se trouvait en main, qu'il en est même le symbole, et que l'on voulait par là signifier que l'on était prêt de maintenir et de défendre son bon droit à main armée.

33. Dire une charretée d'injures. Plus de 400 ans avant Molière et Corneille, on avait vu se former à Dijon une association appelée la mère folle, pareille à celle que Thespis promenait dans l'Attique. Les personnages, déguisés en vignerons, chantaient, sur des charriots, des chansons et des satires, qui contenaient la censure des mœurs de leur temps. Ce fut de cette coutume que naquit l'expression proverbiale dire une charretée d'injures. L'association

dijonnaise, à laquelle les dues de Bourgogne, des gouverneurs, des magistrats, des prélats même voulurent être agrégés, subsista jusqu'en 1630, que Louis XIII la supprima. La confrérie de la Calotte fut une imitation de la première.

34. Vous êtes plus heureux qu'un enfant légitime. Outre l'honneur et la fortune, que l'on perd au jeu, on est quelquefois, pour un mot, pour un geste, exposé à y perdre la vie. Ce proverbe, échappé par mégarde, dans la chaleur du jeu, pensa causer la mort d'un homme illustre et brave. En 1634, le pensionnaire d'Anvers, jouant à Madrid avec le baron d'Anghein, dont la naissance passait pour être ambiguë, eut l'imprudence de proférer cet injurieux propos; il fut si vivement assailli par ce dernier, qu'il resta sur la place, et qu'il ne fut guéri de ses blessures qu'au bout de onze mois.

35. Envoyer au diable de Vauvert. Expression proverbiale fort ancienne, et dont l'origine vient des Carrières de Vauvert près Paris, où le vent s'engouffrait quelquefois avec tant de violence, que le peuple l'attribuait à un démon particulier qui y faisait son sabat. Il y a un autre proverbe : Le diable de Biterne, qui avait en Languedoc la même acception et le même sens que le diable de Vauvert à Paris. Voici, suivant le Duchat, l'origine de cette expression proverbiale: C'était, dans le XVe siècle, une opinion fort commune parmi le peuple du Languedoc, que certaines sorcières du pays se transportaient de nuit dans une plaine déserte, où elles adoraient le diable sous la figure d'un bouc placé sur la pointe d'un rocher, et baisaient au

derrière cet animal, auquel elles donnaient le nom de diable de Biterne. Le peuple était en outre persuadé que ces femmes se livraient en ce lieu à toutes sortes d'impudicités. C'est surtout par allusion à ce dernier préjugé que Carpalim, dans les faits et gestes du bon Pantagruel, jure par le diable de Biterne d'embourrer quelques-unes de ces coureuses d'armées.

36. Il est des enfans de Turlupin malheureux de nature. Ce proverbe s'applique à ceux qui sont malheureux par l'effet même de leur naissance. Il vient de ce que, du temps du roi Charles V, on condamna et l'on proscrivit non-seulement tous les Turlupins qui étaient traités d'hérétiques, mais aussi toute leur race et leur prostérité. Ces Turlupins étaient une secte d'hommes qui rejetaient la prière vocale, et soutenaient qu'on ne devait rougir d'aucune action inspirée par la nature. Ils furent condamnés et excommuniés, en 1370, par le pape Grégoire XI.

37. C'est la cour du roi Petaud, où tout le monde est maître. Cela se dit d'une maison où il n'y a point d'ordre, d'une compagnie sans réglemens, sans subordination, où tout est désordre et confusion, où les chefs n'ont aucune autorité sur les inférieurs.

Chacun y contredit, chacun y parle haut,
Et c'est tout justement la cour du roi Petaud.

(MOLIÈRE.) Anciennement en France, toutes les communautés élisaient un chef qu'on appelait roi. Les mendians avaient, comme les autres, le même privilége. Par plaisanterie, on appelait leur chef Peto, je demande, et par corruption Petaud, du verbe latin

petere, demander, véritable attribut de leur profession; de là le proverbe; de Petaud on a fait Petaudière, pour désigner une assemblé tumultueuse, ce que Perse a bien dépeint par ces mots:

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Arcadia pecuaria rudere dicas.

Vous diriez que tous les ânes d'Arcadie se mettent à braire. »

38. Porter le bonnet vert. M. de la Curne-deSaint-Palaye, d'après un passage d'Eustache Deschamps, poëte qui vivait sous Charles VI, pense que ceux qui friponnaient alors au jeu étaient condamnés, comme les banqueroutiers, à porter le bonnet

vert.

Notre dame, qui tant savez,

Se votre ami, qui bien vous sert
En jouant vous changeait les dez,
Aurait-il pas chapeau vert?

39. Poisson d'avril. Cette plaisanterie ancienne, et mise en usage le premier jour du mois d'avril, et qui fait la grosse joie des badauds et des provinciaux, consiste à faire courir inutilement une personne d'une maison à une autre sur la foi d'une nouvelle inventée à plaisir. Le livre intitulé l'Origine des Proverbes, le dictionnaire de Trévoux, et le Spectateur anglais, prétendent que le poisson d'avril est une allusion indécente à ce qui arriva à Notre-Seigneur : comme les Juifs le renvoyèrent d'un tribunal à un autre, et lui firent faire diverses courses par manière d'insulte et de dérision ; on a pris de là la sotte coutume de renvoyer alternativement d'un endroit à un autre ceux dont on veut se moquer. D'après l'opinion de ces diverses

autorités, le mot poisson aurait été insensiblement substitué par corruption au mot passion. On dit aussi proverbialement, de quelqu'un qu'on a fait courir inutilement de porte en porte, on l'a renvoyé d'Hérode à Pilate; c'est absolument le même jeu, que celui du poisson d'avril. D'où vient que cet usage, s'il a pour objet de rappeler un fait accompli le 3 d'avril, a lieu le 1o avril? Toute commémoration d'une fête se fait ordinairement à l'anniversaire exact du jour signalé par l'événement qu'il célèbre. On raconte également le fait suivant, qui, selon quelques commentateurs, a donné origine au poisson d'avril. François, duc de Lorraine, et sa femme, retenus prisonniers à Nancy, et ne pouvant s'évader qu'à l'aide d'un stratagème, usèrent du suivant: Pensant que le premier d'avril serait un jour propice pour faciliter leur fuite (ce qui prouve évidemment que le proverbe existait déjà), déguisés en paysans, la hotte sur le dos et chargés de fumier, tous deux franchissent, à la pointe du jour, les portes de la ville; une femme les reconnaît, et court en prévenir un soldat de la garde; Poisson d'avril! s'écrie ce vieux routier, qui avait consulté ce jour-là son calendrier, et tout le corps de garde de répéter poisson d'avril à commencer par l'officier du poste. Le gouverneur, un peu plus prudent ou moins confiant, tout en disant poisson d'avril, ordonne néanmoins d'éclaircir le fait. Il n'était plus temps. Pendant qu'on croyait au poisson d'avril, les deux prisonniers avaient gagné du chemin. Le 1er avril fut donc la cause de leur salut. Suivant quelques auteurs, le

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