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le gouvernement libre et populaire qu'ils se seraient donné reconnu par les rois. Voilà la politique générale de la Convention. Un peu plus tard, donnant tout son développement à ce système qui bouleversait le droit public européen, elle proclame, au nom du peuple français, Pitt, son grand adversaire, ennemi du genre humain, et envoie à ses généraux l'ordre de ne plus faire de prisonniers anglais ou hanovriens; résolution atroce qui, à l'honneur de la nation, ne fut jamais exécutée par nos braves armées, étrangères au délire révolutionnaire et dont la gloire toujours pure pare de son brillant reflet le sombre tableau de ces temps désastreux.

Entourée d'ennemis au dehors, et bientôt après dans l'intérieur aux prises avec la redoutable Vendée, la Convention redoubla d'énergie; elle envoya des commissaires dans tous les départemens, ordonna l'armement général, rassembla un matériel immense et provoqua enfin cet admirable mouvement de la population presque entière qui, après avoir maintenu l'indépendance du territoire, ouvrit le cours d'une série de triomphes et de conquêtes jusque-là sans exemple dans les fastes de l'histoire militaire des temps modernes. Afin d'imprimer au gouvernement une marche plus constante et plus uniforme, elle le constitua dans son propre sein, par la création de ses fameux comités de salut public et de sûreté générale (voy.), qui remplacèrent, le premier surtout, la commission exécutive composée des ministres, et à laquelle avait été déférée, lors de la déchéance de Louis XVI, la haute direction des affaires. Alors l'assemblée souveraine vint siéger dans le palais des rois; l'année suivante, les ministres furent supprimés et remplacés par des commissions entièrement subordonnées au comité de salut public. C'est là ce que la Convention a appelé elle-même gouvernement révolutionnaire, par une alliance de mots qui implique contradiction et qui n'avait sans doute jamais été faite jusqu'à ce jour. La constitution dite de 1793 ou de l'an Ier devait mettre un termé à sa durée ; mais cet acte, monument de l'époque, qui remplaçait le gouvernement de la Conven

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| tion par celui de la multitude, et, dans le fait, n'était qu'une négation absolue de toute sorte de pouvoir, fut suspendu le jour même de sa promulgation. L'assemblée avait besoin de la dictature: elle déclara, sur le rapport de Saint-Just, qu'elle la conserverait jusqu'à la paix; ce devait être ce jour-là seulement que, brisant le sceptre remis en ses mains, elle ferait jouir le peuple de ce régime de pure démocratie rêvé par les démagogues de la commune de Paris (voy.) comme le terme idéal de la grande régénération commencée en 1789.

Cependant les dissentimens qui s'étaient précédemment élevés entre les deux partis dominans ne tardèrent pas à se renouveler après le procès du roi. Suspects à la commune et au club des jacobins pour avoir voulu sauver ce prince au moyen de l'appel au peuple, les girondins se voyaient en butte aux attaques les plus violentes. Néanmoins ils exerçaient encore un grand ascendant sur l'assemblée; leur parole puissante dirigeait toujours la plaine: ainsi nommaiton cette masse indécise et flottante qui occupait le bas de l'enceinte, par opposition à la montagne, formée des gradins élevés où siégeaient les organes les plus fougueux du parti démagogique. Les girondins menacés usèrent des restes de leur influence d'une manière qui leur devint fatale: ils obtinrent le 8 avril le fameux décret qui, portant atteinte au principe de l'inviolabilité de la représentation nationale, livrait à la justice inique du tribunal révolutionnaire récemment institué la personne des députés convaincus d'un délit national. Ce décret était dirigé contre le plus acharné de leurs adversaires, l'ignoble Marat, et c'est à lui qu'en fut faite la première application. Mais Marat, traduit devant le tribunal, fut absous et ramené en triomphe dans le sein de la Convention, et, quelques mois après, ses accusateurs montèrent sur l'échafaud en vertu de ce même décret qu'ils avaient fait porter; cette catastrophe fut déterminée par surrection du 31 mai, qui consomma la chute définitive de la Gironde et rallia la plaine à la montagne. Ces deux portions de l'assemblée ne formèrent plus de ce jour

l'in

qu'une seule masse en apparence homogè- | du peuple, eh bien! soyons brigands! »

ne, et du sein de laquelle nulle voix n'osa plus s'élever pour opposer des digues au torrent révolutionnaire; il dut dès lors tout entraîner. La peur fit l'union et l'union fit la force; il en fallait une imposante et terrible pour triompher des nouveaux périls que chaque crise ajoutait à ceux qui menaçaient déjà la patrie. De même, en effet, que le 21 janvier avait soulevé la moitié de l'Europe, de même le 31 mai souleva la moitié de la France. Tous ceux qui voulaient sincèrement la fondation de la république en France s'armèrent à l'appel des représentans proscrits, seuls républicains sincères peut-être ; l'Ouest et le Midi s'insurgèrent contre la Convention; les insurrections royalistes déjà existantes redoublèrent d'audace en se voyant cet auxiliaire inattendu. De toutes parts Paris, foyer du mouvement, était menacé; nos armées, une seconde fois désorganisées par l'influence du parti jacobin, semblaient avoir perdu leur premier élan; Valenciennes, quelques autres places, tombaient au pouvoir de l'étranger qui avait de nouveau entamé nos frontières. La fortune de la Convention chancelait. Toutefois, au milieu de tant de périls, le cœur ne lui manqua pas : elle fit face à tout, refoula ses ennemis et resta finalement maîtresse du terrain; mais ce fut en faisant peser sur le pays un joug dont le souvenir épouvante encore au déclin des ans les débris de la génération qui l'a subi. Les prisons se remplirent en vertu de la fameuse loi des suspects; une armée révolutionnaire ambulante, traînant avec elle de l'artillerie et la guillotine, reçut la mission d'établir partout la tyrannie de ses proconsuls; elle emplit ses caisses épuisées par l'emprunt forcé et lutta contre la famine par le maximum. Elle émit des milliards d'assignats dont le bourreau était chargé de soutenir le crédit; la mort, sanction cruelle de tous ses décrets, devint comme le seul moyen de gouvernement. Dans la séance du 5 septembre 1793, Drouet, résumant par un mot, inoui sans doute jusque-là au sein d'une assemblée législative, les traits caractéristiques de ce sanglant régime, s'écria: « S'il faut être brigand pour le bonheur

Mais il y a inévitablement des degrés dans l'application d'un tel système : les uns, en effet, ne veulent pas aller aussi loin que les autres, et peu se trouvent doués du triste courage nécessaire pour les pousser jusque dans ses conséquences les plus extrêmes. C'est ce qui arriva dans la Convention, même dans le Comité de salut public; et de là le retour de ces sourdes dissensions dont la pros cription des girondins semblait avoir étouffé le germe. Depuis le 31 mai, l'assemblée subissait l'influence des énergumènes de la commune et du club, mais avec le désir secret de réprimer leur fougue insensée; la montagne, il faut bien le comprendre pour saisir l'esprit des réactions subséquentes, marchait avec cette odieuse faction sans en être; plusieurs fois signalée à la tribune, en termes vagues et couverts, par ses principaux organes, cette faction fut ouvertement attaquée le 5 décembre, au sujet de mesures contre le culté adoptées à l'Hôtelde-Ville, par Robespierre lui-même, qui fit passer un décret portant que toute violence contraire à la liberté des croyances était défendue. Il est curieux de remarquer que ce fut de la sorte la question religieuse qui fit éclater au grand jour la dissidence entre ces hommes qui semblaient également n'avoir plus foi qu'en une inexorable fatalité. Ainsi, Chaumette déifia la raison, tandis que le chef astucieux de la montagne fit décréter l'existence de Dieu et l'immortalité de l'ame : c'étaient les deux écoles du XVIIe siècle, d'Holbach et Rousseau, en présence. Le résultat de cette lutte fut la perte des démocrates furieux dont les systèmes étaient incompatibles avec la création d'une sorte de dictature régulière et stable, vers laquelle inclinait sans doute alors la pensée de Robespierre. Ils lui furent sacrifiés par quelques membres du Comité de salut public qui avaient avec eux des affinités secrètes, et Robespierre abandonna en retour à leur fanatisme révolutionnaire cet autre parti qui s'était formé autour de Danton et de Camille Desmoulins, et qui, maintenant que la révolution était sauvée, invoquait la clémence et le règne des lois. Les uns et

les autres marchèrent à l'échafaud à peu de jours de distance.

son appui et cessa désormais d'intervenir dans les affaires par ces convulsions Après ce compromis, qui avait fait soudaines qui leur avaient si souvent tomber les têtes les plus élevées des ja- imprimé, dans le cours des années précobins et des cordeliers (voy. ces noms), cédentes, une direction funeste. L'inle régime de terreur qui dominait la fluence et l'action passèrent alors à la France s'étendit à la Convention elle- classe moyenne et la réaction devint inmême. Un triumvirat dictatorial, com- sensiblement royaliste et contre-révoluposé de Robespierre, Saint-Just et Cou- tionnaire. Ce fut dès ce moment une thon, s'établit par le fait et courba sous autre lutte où la Convention resta égalesa volonté de fer l'assemblée réduite à ment victorieuse au 13 vendémiaire 1795; 240 membres dont plusieurs votaient si- ainsi la révolution était sauvée contre les lencieusement et sans même oser s'as- deux factions extrêmes qui la menaçaient seoir, nous dit dans ses intéressans Mé- également. Mais après des temps d'anarmoires M.Thibeaudeau, de peur de trahir chie et de calamités dont la pensée pupar le choix de la place une opinion, blique était encore émue, l'opinion devait une affection qui pouvait devenir le len- | infailliblement passer des idées de liberté demain un motif de proscription. Enfin aux idées de pouvoir et incliner au recette sombre défiance, qui montrait à tour vers le système monarchique. La chacun un accusateur dans un collègue, Convention travailla vainement à contenir gagna le Comité de salut public lui-même, cette tendance inévitable et puissante des et alors la situation devenue intolérable esprits; la république directoriale qu'elle dut amener une crise nouvelle. Dans les légua à la France avec la constitution de journées fameuses des 8 et 9 thermidor, l'an III ne pouvait être qu'une sorte de ceux qu'on nommait les triumvirs, pro- transition pour préparer les voies au jeuclamés tyrans à la tribune et menacés du ne vainqueur du 13 vendémiaire.Après le poignard libérateur de Tallien, succom- triomphe sanglant et accompagné de tant bèrent malgré l'appui de la commune qui de maux d'une des factions, il n'y avait s'était ralliée à eux. La lutte fut décisive en effet que le despotisme qui pût comet ses conséquences dépassèrent les pré-primer l'autre; grande leçon souvent donvisions de ceux qui l'avaient commencée. En effet, la fraction du comité qui était en lutte avec Robespierre avait cru vaincre pour elle; mais une réaction qu'elle ne put réprimer l'entraina. Secondée par l'irrésistible élan de l'opinion publique, la Convention reprit le dessus; une majorité formée d'élémens divers, une majorité résolue à conserver les résultats de la révolution, tout en repoussant le régime de sang qui désolait la France, se trouva appelée à diriger ses destinées. Frappé dans ses principaux chefs envoyés à l'échafaud, le parti jacobin fit depuis de vains efforts pour relever sa puissance; il évoqua vainement la puissance des faubourgs; repoussé au 12 germinal et définitivement vaincu au 1er prairial, il se vit contraint d'abdiquer. La multi-térité rende avec raison un corps politude, qui, dans cette dernière journée, avait, à son appel, outragé en pure perte la représentation nationale et rougi son enceinte du sang du malheureux Féraud, l'un de ses membres, lui retira

née par l'histoire, qui montre qu'un peuple qui croit ne pouvoir fonder la liberté qu'avec la hache du bourreau doit nécessairement échoir un jour à l'épée d'un soldat!

L'histoire de la Convention nationale présente, comme on voit, trois périodes distinctes; c'est l'un de ses membres les plus célèbres, M. Sièyes, qui les a précisées par ces mots prononcés à la tribune: « La session actuelle se partage en trois époques : jusqu'au 31 mai, oppression de la Convention par le peuple; jusqu'au 9 thermidor, oppression du peuple par la Convention tyrannisée ellemême; enfin depuis le 9 thermidor la justice règne parce que la Convention a repris tous ses droits. » Bien que la pos

tique solidaire pour toutes les phases de son existence, il est peut-être juste de considérer surtout la Convention, comme pouvoir gouvernemental, dans cette dernière période où elle est affranchie des

Telle fut la Convention nationale, assemblée où se trouvèrent associés, comme par une sorte de caprice providentiel,

tout ce que le fanatisme politique peut susciter de fatales aberrations, mélange de grandeur et de folie qui ne sera probablement jamais égalé, et dont notre France pouvait seule peut-être offrir le

sociétés.

tyrans divers qui l'ont opprimée jusque- | duré trois ans et trente-cinq jours, et lå. Elle s'élève alors à un prodigieux dans le cours de laquelle elle n'avait pas éclat on la voit s'attacher d'abord à rendu moins de 8,370 décrets! annuler par degrés les mesures atroces ou extravagantes du régime précédent; elle défait tout ce qu'elle vient de faire; elle rend l'inviolabilité à ses membres et rap-aux talens et aux vertus les plus sublimes, pelle dans son sein ceux des proscrits qui ont échappé à la mort; elle supprime le tribunal révolutionnaire, abolit le maximum, lève le séquestre posé sur les propriétés des étrangers, surseoit à la vente des biens confisqués en vertu de juge-prodigieux spectacle aux méditations des mens politiques, restitue les biens aux P. A. D. héritiers des condamnés, rend libre la CONVERGENCE. C'est, en algèbre, célébration des cultes, ferme les clubs et l'état d'une série dont les termes vont réorganise la garde nationale. En même toujours en décroissant, de sorte que la temps qu'elle jette par ses lois de succes- valeur d'un nombre quelconque de tersion les bases d'une société civile et po- mes diffère d'autant moins de la valeur litique entièrement nouvelle, elle crée totale de la série que ce nombre de des institutions admirables qui ont été le termes est plus grand et qu'il est tougerme de tous nos progrès ultérieurs et jours possible de rendre la différence que l'Europe à l'envi a imitées. On n'ou- qui existe entre ces deux valeurs moindre bliera jamais que c'est à la Convention que toute quantité donnée. qu'on doit l'Ecole polytechnique, l'une des gloires du pays, le Conservatoire des arts et métiers, le Bureau des longitudes, le système métrique et l'unité des poids et mesures, l'Institut, le Conservatoire de musique, l'École normale et ces écoles centrales dont l'organisation n'a pas été égalée depuis. Dans ces derniers temps Les physiciens donnent le nom de aussi nos drapeaux, un instant humiliés, rayons convergens aux rayons qui, avaient revu les jours de 1792; contrain- passant d'un milieu dans un autre de tes par les triomphes de Jourdan et de Pi- densité différente, changent de direcchegru à se détacher de la coalition, la tion et se rapprochent les uns des autres Toscane, la Prusse, la Hollande et l'Es- de manière à venir se rencontrer en un pagne, avaient reconnu la nouvelle répu-point particulier qui porte le nom de blique, avec ses conquêtes transformées en départemens, dont le nombre total était de 98, c'est-à-dire quinze de plus qu'en 1790, lors de la nouvelle division de territoire introduite par l'Assemblée nationale. A l'intérieur, la Vendée venait de subir sa première pacification : ainsi tous les ennemis de la révolution étaient contenus; le nouveau corps législatif, où, pour en perpétuer l'esprit, la Convention avait voulu introduire un certain nombre de ses membres, allait se réunir. Sa mission était remplie; le 26 octobre 1795 elle annonça au monde, par un décret d'amnistie pour tous les délits révolutionnaires, le terme d'une session qui avait

On dit, en géométrie, qu'il y a convergence entre deux lignes lorsqu'elles se rapprochent de plus en plus et qu'étant suffisamment prolongées elles finissent par se rencontrer. Après l'intersection deux droites convergentes deviennent divergentes.

foyer.

P. V-T. CONVERSATION. La conversation, cette puissance du monde civilisé, a suivi chez tous les peuples la progression des idées; dès que les hommes purent sortir des spécialités de la vie matérielle et apprécier les phénomènes dont ils étaient entourés, ils durent sentir le besoin de se communiquer leurs pensées. Ce besoin, en s'accroissant avec la civilisation, se régla; la conversation devint un art qui eut ses formes et ses préceptes. Chez les peuples de l'antiquité qui cultivèrent la philosophie, elle prit la forme de l'entretien, et Platon à l'Académie,en enseignant les hautes lois

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de la nature et de la sagesse, conversait avec ses disciples. Chez les nations modernes, elle se dénatura selon les temps, les lieux et les intérêts: elle prit le masque de l'argumentation et de la dispute; elle fut mystique et chevaleresque dans le moyen-âge; mais bientôt elle vint régner en France avec ses formes élégantes et variées; elle y prit tous les tons et toutes les couleurs; elle fut vive, enjouée, légère, piquante, incisive; elle fréquenta les cabarets, avec les gens de lettres et les grands seigneurs; mais nulle part elle ne fut plus aimable et plus spirituelle que dans les salons de Mmes Geoffrin et Du Deffant. Là chacun lui payait son tribut: le conte, l'anecdote, la pensée philosophique, l'épigramme, y étaient apportés chaque soir pour y servir d'aliment à la gaîté et au temps qui amenait, avec un nouveau jour, de nouvelles richesses à dissiper. La conversation voyait alors, dans ces réunions, son sceptre passer successivement de main en main, chacun l'agiter à sa manière et chercher à y attacher un grelot.

Qu'on se figure ce que devait être à cette époque la conversation, lorsque, provoquée par une femme aimable, vive et spirituelle, elle était successivement entretenue par D'Alembert, Voltaire, Diderot, Mme Du Châtelet, Pont de Veyle, la duchesse de Boufflers, etc. etc.! Mais alors aussi elle ne régnait, pour ainsi dire, que dans un cercle étroit et en quelque sorte inaccessible. On parlait ailleurs, on causait peut-être ; mais la conversation avec tous ses charmes et toutes ses richesses n'était réellement alors que là où se trouvaient ses maîtres; elle n'avait point encore d'importance et de caractère national: on dominait par elle, mais son influence n'existait que là où elle était entendue.

Plus tard, après que Voltaire en eut porté tous les agrémens jusque dans l'intimité du grand Frédéric, elle dégénéra la philosophie et la religion en devinrent les principaux sujets; on vit bien encore quelquefois de ces sarcasmes pleins de verve et de finesse; mais plus souvent les grands maîtres qui l'avaient créée si franche, si piquante, si gracieuse, nous la montrèrent outrageuse

et grossière. L'esprit du siècle était irréligieux et impie: elle devint menteuse et athée; elle ne parla plus qu'un langage frondeur, elle se fit l'écho de toutes les têtes criant à la réforme, et bientôt la révolution arriva, et elle s'enfuit épouvantée devant le règne de la terreur.

Lorsque, après avoir été battue par tous les orages révolutionnaires, la France reprit un peu de calme, la conversation reparut et commença à se faire entendre dans les salons républicains; mais alors, disons-le, elle n'avait plus ces formes polies, gracieuses, cet esprit léger, piquant, original, qui la remplissaient de charmes. On la revit, mais guindée, sérieuse, hardie, et n'ayant plus cette urbanité qui l'avait fait rechercher par toutes les illustrations étrangères. L'empire lui rendit peu de ses premiers agrémens: elle était bien accueillie quand elle se présentait dans une réunion; on la retrouvait même entourée de protecteurs spirituels, d'adorateurs distingués, de femmes déjà célèbres par elle; mais on lui imposa des lois sévères, on lui marchanda la vie, la police devint son régulateur et son maître, et Mme de Staël paya par un long exil l'infraction à cette censure.

La conversation sembla renaître avec le gouvernement constitutionnel. Elle se trouvait avec les enfans des princes qui l'avaient laissée, libre et joyeuse, s'égayer sur tous les abus, discourir en folle aimable sur les rois et leur politique, parler, et souvent sans respect, de leurs maîtresses et de leurs confesseurs: elle crut revenir sans danger à ses anciennes libertés; elle voulut se moquer de cette vieille noblesse pleine d'écussons, de morgue et de rancune qui reparaissait sur le sol de la France. Elle fut réprimandée; la peur la saisit et dès lors elle n'osa plus parler qu'à voix basse des sottises de ses ennemis et de ses anciens priviléges.

Qu'est aujourd'hui la conversation et que deviendra-t-elle ? jamais elle ne fut plus libre et jamais elle n'eut plus d'aliment pour grandir et s'étendre. Elle peut tout dire et dit tout impunément; elle saisit toutes les formes, toutes les allures; mais elle prend part à toutes les

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