Page images
PDF
EPUB

devient le plus estimé. Cela est arrivé sur ces deux vers de ma satire des femmes :

Et tous ces lieux communs de morale lubrique Que Lulli réchauffa des sons de sa musique..... [a]. contre lesquels on se déchaîna d'abord, et qui passent aujourd'hui pour les meilleurs de la pièce. Il en arrivera de même, croyez-moi, du mot de lubri cité dans mon épigramme sur le livre des Flagellants; car je ne crois pas avoir jamais fait quatre vers plus sonores que ceux-ci :

Et ne sauroit souffrir la fausse piété;

Qui, sous couleur d'éteindre en nous la volupté,
Par l'austérité même et par la pénitence,

Sait allumer le feu de la lubricité.

Cependant M. de Termes ne s'accommode pas, dites-vous, du mot de lubricité. Eh bien! qu'il en cherche un autre. Mais moi, pourquoi ôterois-je un mot qui est dans tous les dictionnaires au rang des mots les plus usités? Où en seroit-on, si l'on vouloit contenter tout le monde?

Quid dem? Quid non dem? Renuis tu quod jubet alter[b]. Tout le monde juge, et personne ne sait juger. Il en est de même que de la manière de lire. Il n'y a

[a] Satire X, vers 141–142.

[6] Horace, liv. II, Épître II, vers 63.

personne qui ne croie lire admirablement, et il n'y a presque point de bons lecteurs. Je suis votre très humble, etc.

124.

A BROSSETTE.

Paris, 7 décembre 1703.

J'ai tardé jusqu'à l'heure qu'il est, Monsieur, à vous écrire, parceque j'attendois pour le faire que Messieurs de Trévoux eussent répondu à mes épigrammes dans leur nouveau volume, afin de voir et de vous mander si j'avois la guerre ou non avec ces bons pères; mais étant demeurés dans le silence à mon égard, voilà toutes nos querelles finies, et vous pouvez assurer Messieurs les jésuites de Lyon que je ne dirai plus rien contre aucun de leur compagnie, dans laquelle, quoique extrêmement ami de la mémoire de M. Arnauld, j'ai encore d'illustres amis, et entre autres, le père de La Chaise, le père Bourdaloue et le père Gaillard. Car pour ce qui regarde le démêlé sur la grace, c'est sur quoi je n'ai point pris parti, étant tantôt d'un sentiment, et tantôt d'un autre. De sorte que m'étant quelquefois couché janseniste tirant au

calviniste, je suis tout étonné que je me réveille moliniste approchant du pélagien. Ainsi, sans les condamner ni les uns ni les autres, je m'écrie avec saint Augustin: 0 altitudo sapientiæ! mais, après avoir quelquefois en moi-même traduit ces paroles par 0 que Dieu est sage! j'ajoute aussi en même temps: 0 que les hommes sont fous! Je m'imagine que vous entendez bien pourquoi cette dernière exclamation, et que vous n'y comprenez pas un petit nombre de volumes.

Mais pour répondre maintenant à la question que vous me faites sur la prononciation du mot de Trévoux, et s'il faut un accent sur la pénultième, je vous dirai que c'est vous qui avez entièrement raison [a], et que ma faute vient de ce que

[a] « Je vois dans votre lettre, par la manière dont vous « écrivez le mot de Trévoux, que vous le prononcez avec « un é masculin. Cependant nous disons Trevoux avec un «<e muet, comme treteau. Quid juris? Devons-nous suivre << votre usage plutôt que le nôtre? Ma raison de douter est « que la ville de Trévoux est dans notre territoire, et qu'il « semble qu'on doive s'assujettir à la prononciation du "pays, de même que l'on prononce le catelet et la capelle, « suivant l'idiôme picard, quoique dans le fond il fût plus « régulier de dire le châtelet et la chapelle. Mandez-moi, je « vous prie, quel est votre sentiment. » (Lettre de Brossette, du 20 novembre 1703.) Malgré l'autorité que Despréaux accorde à l'usage des Lyonnois, allégué par Brossette, tous des dictionnaires écrivent le nom de la ville de Trévoux avec un é fermé. Le mot tréteau ne s'écrit pas autrement.

je n'avois jamais entendu prononcer le nom de cette ville, avant les journaux de Messieurs de Trévoux. Trouvez bon que je ne vous écrive rien davantage cet ordinaire, parceque le retour de M. de Valincour de l'armée navale m'a surchargé d'occupations [a]. Aimez-moi toujours, croyez que je vous rends la pareille, et soyez bien persuadé que je suis très passionnément,.....

125.

A M. LE VERRIER. [b]

(...... 1703) [c].

N'êtes-vous plus fâché, Monsieur, du peu de complaisance que j'eus hier pour vous? Non,

[a] Cela prouve que Despréaux a rempli jusqu'au dernier moment ses devoirs d'historiographe.

[6] M. Le Verrier étoit un financier qui vouloit passer pour savant, pour homme à bonnes fortunes, pour ami des grands seigneurs. Il portoit toujours à la messe un livre grec, dont la reliure étoit très apparente: aussi l'appeloiton le traitant renouvelé des Grecs. Étant allé chez M. de Pontchartrain au sujet d'un nouvel armement, ce ministre lui dit : « Mais, Monsieur, on n'arme pas pour la Grèce. » Despréaux, fermant les yeux sur ses ridicules, voyoit en lui un homme dévoué; et comme il avoit de bonne heure renoncé à faire des visites, « Je suis, disoit-il, un solitaire « fréquentant M. Le Verrier. »

[c] Cette lettre parut d'abord dans l'édition de 1713.

sans doute, vous ne l'êtes plus; et je suis persuadé qu'à l'heure qu'il est vous goûtez toutes mes raisons. Supposez pourtant que votre colère dure encore, je m'offre d'aller aujourd'hui chez vous à midi et demi vous prouver, le verre à la main, par plus d'un argument en forme, qu'un homme comme moi n'est point obligé de préférer son plaisir à sa santé, ni de demeurer à souper, même avec la heilleure compagnie du monde, quand il sent que cela le pourroit incommoder, et quand il a pour s'en excuser soixante et six raisons (1), aussi bonnes et aussi valables que celles que la vieillesse avec ses doigts pesants m'a jetées sur la tête [a]. Et, pour commencer ma preuve, je vous dirai ces vers d'Horace à Mécénas:

Quam mihi das ægro, dabis ægrotare timenti [b],
Mæcenas, veniam.

En cas donc que vous vouliez que j'achève ma

Brossette, qui en possédoit l'original, nous apprend qu'elle est de 1703.

(1) Il en avoit bien soixante et sept, étant né en 1636. (Brossette.)

[a] Ces expressions rappellent les vers suivants :

Mais aujourd'hui qu'enfin la vieillesse venue,
Sous mes faux cheveux blonds déja toute chenue,

A jeté sur ma tête, avec ses doigts pesants,

Onze lustres complets surchargés de trois ans,.....

Epitre X, vers 25-28.

[6] Liv. I, Épître VII, vers 4.

« PreviousContinue »