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Qui a jamais égalé, et qui égalera jamais Gefroi Budel, sieur de Blieux? Il entend parler de la beauté et des perfections de la comtesse de Tripoli à des pélerins qui venoient de la terre-sainte : le voilà qui devient amoureux sur leur parole, et qui passe sa vie à faire des vers pour sa chère Idée. Enfin, ne pouvant plus soutenir l'absence de ce qu'il n'avoit jamais vu, il s'embarque pour Tripoli en habit de pélerin. En approchant de ces lieux charmans où étoit tout son bien, sa passion augmenta, et il arriva malade. Son confident qu'il avoit mené avec lui, alla avertir la comtesse qu'il venoit d'entrer dans le port un vaisseau qui lui amenoit un amant, mais fort indisposé. Elle eut la bonté de venir aussi-tôt dans le vaisseau: mais comme le poëte commençoit un compliment très-tendre, il fut suffoqué par l'excès de son amour et mourut. La comtesse paya du moins sa passion par un magnifique tombeau; et oncques depuis, dit l'histoire, ne fut vue faire bonne chère. Il faut qu'on se souvienne, en lisant cette histoire, que ce héros étoit né sous le soleil de Provence, et étoit poëte; et je crains qu'on n'ait encore de la peine à la trouver vraisemblable.

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Rien n'étoit alors plus singulier singulier en Provence, que ce qu'on appelloit la Cour d'Amour. C'étoit une assemblée de dames de la première qualité, qui ne traitoient que de matières de galanterie.

S'il naissoir quelque contestation entre un amant et une maîtresse, on envoyoit la question à la Cour d'Amour; et comme l'esprit du siècle étoit sérieux sur les bagatelles, les dames prononçoient gravement sur la question, et leur jugement étoit reçu avec une soumission très-sincère.

Telle fut la Provence sous les comtes de la maison de Barcelone, et particulièrement sous Raimond Berenger V; il étoit Troubadour luimême, plutôt par mode que par génie. Il avoit épousé Béatrix de Savoie, dont il eut quatre filles; Marguerite, Eléonore, Sance et Béatrix que l'on remarque qui ont toutes été Reines, quoique la royauté de l'une des quatre ait été un peu imaginaire. Je parle de Sance qui épousa Richard d'Angleterre, que les princes Allemands élurent roi des Romains, qui n'en eut jamais que le titre.

Avant qu'aucune de ces princesses fût mariée, et tandis qu'elles ornoient encore la cour de Provence, on y vit paroître le Romieu, si célèbre dans les histoires du pays. Romieu, en Provençal, veut dire pélerin, ou qui va à Rome, parce que d'abord on alloit communément à Rome en pélerinage; ensuite la dévotion se tourna à la terresainte. Un soir que le comte de Provence revenoit de la chasse, il rencontra ce Romieu avec sa cape et son bourdon, qui marchoit seul d'un air fort gai et fort content. La bonne humeur où étoit

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alors le Comte, et l'oisiveté firent qu'il parla au Romieu, et il fut fort étonné que le Romieu lui répondit avec esprit, avec liberté, et comme un homme accoutumé au commerce des grands. Le Comte lui demanda qui il étoit « Monseigneur, » lui dit-il, je vous supplie très-humblement de » m'excuser; je viens de la terre - sainte, et » on m'y a fait faire vœu de ne dire jamais qui je suis ». Cette réponse satisfit le Comte, par ce c'étoit assez la mode en ces tems-là de faire des que vœux bizarres. « Je vois bien ce que c'est, dit le » Comte au Romieu; vous êtes un homme de qualité qui êtes tombé dans quelque grande faute, » et on vous a donné pour pénitence d'errer par » le monde sous ce misérable équipage, sans oser » déclarer qui vous êtes: je vous avoue que je » trouve cette mortification assez bien imaginée ». Monseigneur, répondit-il, je n'aurois pas eu dire à mon » confesseur de m'en chercher une autre, car, en

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» assez peu

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de conscience

pour ne pas

vérité, il y auroit été trompé; et si j'étois homme » de qualité, rien ne me coûteroit moins que de » cacher ma naissance et mon nom ».—« Com"ment, reprit le Comte, seriez-vous bien-aise qu'on vous traitât comme un homme du peuple? Piendriez-vous plaisir à vous priver des égards et des respects qu'on devroit à votre rang. Vous me fournissez vous-même la

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réponse, Monseigneur, répliqua le Romieu; ce » seroit à mon rang que tout cela seroit dû, il » le perdroit: mais pour moi, je ne perdrois rien; » mon rang et moi nous ne serions la même pas » chose ".

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Le Comte, toujours plus frappé du Romieu et plus curieux de l'entendre parler, et d'approfondir, s'il se pouvoit, cette aventure, lui ordonna de le suivre. Il eut beau s'en défendre, il eut beau représenter que ses affaires l'appelloient ailleurs, et qu'il n'étoit point propre à paroître dans une cour, il n'en fut point cru, et on le fit monter à cheval. Le Comte ne parloit qu'à lui; et quand on fut arrivé, il fut seul le spectacle de toute la cour. Mais pour mieux comprendre de quelle manière il y fut regardé, il est bon de savoir de quelles personnes elle étoit composée.

Ceux qui avoient le plus de part à la familiarité du Comte, étoient Beralde, cadet de l'illustre maison des Baux, qui avoit disputé la Provence aux comtes de Barcelone; Boniface de Castellane, Raoul de Gatin, l'abbé de Montmaiour, Perdigon.

Beralde des Baux étoit bien fait, et d'un extérieur très-agréable; il avoit de la valeur, de la libéralité, de la générosité, du désintéressement : mais il ne se croyoit obligé à toutes ces vertus, que parce qu'il étoit de bonne maison. Il croyoit

que

la naissance les donnoit, et qu'un gentilhomme qui ne les avoit pas avoit pris soin de les étouffer en lui. On le trouvoit parfaitement honnête homine quand on ne s'appercevoit pas de son motif. Il avoit des vues assez fines sur les choses de morale, et on étoit charmé de l'en entendre discourir : mais au milieu de raisonnemens très-solides, il plaçoit, quelquefois que la maison des Baux étoit descendue d'un des trois rois, nommé Balthasar, et que l'étoile d'argent qu'elle a pour armes représentoit celle qui avoit conduit les Mages à Jérusalem. Il avoit beaucoup d'esprit: mais malheureusement il avoit étudié des livres Arabes que lui avoit donné un médecin Catalan du comte Raimond, qui l'avoient entêté de toutes les rêveries de l'astrologie, et lui avoient appris à craindre les chouettes. Il ne pouvoit pas imaginer que ce qui étoit écrit dans une langue aussi mystérieuse que l'Arabe, et qui lui avoit tant coûté à apprendre, ne fût vrai. Sa femme étoit aimée de Fouquet... pas Boniface de Castellane étoit aussi d'une naissance très-distinguée, grand poëre satyrique; mais satyrique par nature, et poëte par art, seulement pour être satyrique. On l'appelloit l'Outrecuyat, tant il étoit hardi dans ses sirventes ou satyres; il n'y épargnoit personne, et il les finissoit d'ordinaire par ces mots: Bougua, qu'as dich, qui marquoient l'étonnement où il étoit lui-même de sa hardiesse.

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