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beaucoup d'envie de s'en moquer. Le Comte y sentoit une vérité qui le touchoit: mais il n'osoit s'en fier à ce sentiment; et la singularité des choses que lui disoit le Romieu l'étonnoit, lui faisoit plaisir, et en même tems lui étoit suspecte. Beralde des Baux et Rodolphe de Gatin n'hésitèrent ponit, et lui trouvèrent beaucoup d'esprit ; il n'y eut que cette différence, que Beralde le crut homme de qualité, et Rodolphe jugea seulement qu'il étoit fort honnête homme. Ils en parlèrent tous deux au Comte avec beaucoup d'éloges, et ils fixèrent son jugement. Mais quand ils l'eurent déterminé, il crut n'avoir jamais douté, et il s'imagina qu'il avoit senti aussi vivement et aussi promptement qu'eux tout ce que valoir le Romieu.

Le lendemain il demanda son congé: mais dans le goût que l'on avoit pour lui, on n'avoit garde de le lui accorder. Le Comte lui fit prometre qu'il passeroit quinze jours auprès de lui.

Il le mena aussi-tôt chez la comtesse de Provence, et chez les quatre Princesses ses filles, que le Romieu n'avoit point encore vues.

La Comtesse avoit l'esprit extrêmement galant elle aimoit les jeux, la musique, toutes les histoires où il entroit de l'amour; elle avoit même souffert que quelques Troubadours lui adressassent des ouvrages, où elle pouvoit soupçonner que son nom ne servoit qu'à en cacher un autre; enfin tout ce Tome VIII.

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HISTOIRE DU ROMIE U.

qui avoir quelque air de galanterie l'intéressoit, la touchoit, et elle étoit indifférente à tout le reste; cependant elle étoit toujours demeurée dans les bornes d'une exacte vertu, soit que ses inclinations n'allassent pas plus loin, soit que son rang eût contraint ses inclinations.

Quand le Comte fut entré dans son appartement suivi du Romieu: « Madame, lui dit-il, je viens vous demander du secours pour arrêter quel» que tems ici cet inconnu, qui à chaque mo» ment veut nous échapper

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Cet ouvrage n'a pas été fini.

SUR

LE SYSTEME PHYSIQUE

DES

CAUSES OCCASIONNELLES.

CHAPITRE PREMIER.

Occasion de l'Ouvrage.

RIEN n'a fait plus de bruit parmi le petit nombre de gens qui se mêlent de penser, que la dispute qui existe entre les deux premiers philosophes du monde, le père Malebranche et Arnauld. On a eu avec raison une attention particulière sur les différens combats qu'ils se sont livrés; on a cru que si jamais la vérité a pu être éclaircie par ce moyen, elle l'alloit être. J'ai été spectateur comme les autres, moins intelligent sans doute, mais peut-être plus appliqué par la raison que je vais dire. Je n'avois jamais goûté le systême, du père Malebranche sur les Causes occasionnellees quoique j'en connusse assez bien la commodité, et même la magnificence. Je ne réponds pas que le préjugé des sens et de l'imagination n'eût formé d'abord en moi cette opposition à une idée fort

contraire assurément aux idées communes; mais enfin, je m'étois défié de ce préjugé, et par les avertissemens les Cartésiens ont assez de soin que de nous donner sur leurs opinions extraordinaires, et plus encore par une certaine précaution générale que j'ai coutume de prendre contre tous les sentimens que j'ai, sans les avoir long-tems consultés avec moi-même. Quand je n'avois écouté que ma raison pour satisfaire à ce que les philosophes exigent toujours de nous, j'avois été surpris de ne la trouver pas plus favorable aux Causes occasionnelles, que mon imagination et mes sens. Mais peut-être le préjugé lui avoit-il donné un certain pli. Je ne garantirois point cela. Tout ce que je pouvois étoit de me défier de ma raison même, et je le fis. J'y étois d'autant mieux fondé, que de toutes les objections que j'avois à faire contre les Causes occasionnelles, je voyois que le père Malebranche ne s'en faisoit pas une seule dans ses ouvrages; et cependant je ne crois pas que jamais philosophe ait mieux pesé le pour et le contre de ses opinions, ni ait eu un dessein plus sincère de découvrir la vérité aux hommes. Sur cela, s'émut la querelle de Arnauld et de lui. Ce redoutable adversaire vouloit sapper par le pied tout le systême du père Malebranche, et je me flattai que quelqu'une de mes difficultés auroit le bonheur de lui tomber dans l'esprit. Mais ou il attaque d'autres

points; ou quand il attaque ce point-là, j'ai le déplaisir de voir que je n'ai rien de commun avec lui. Que croirai-je de moi-même ? Ni le père Malebranche n'a prévu mes objections, ni Arnauld ne s'en est servi. En vérité le préjudice est grand contre elles, et je reconnois que quand on ne me voudroit pas seulement recevoir à les proposer, on ne me feroit pas beaucoup d'injustice. Cependant lorsque je viens à les considérer en elles-mêmes, je ne sais comment il se fait que je ne les trouve point méprisables. Je me suis donc résolu à me délivrer de cette incertitude, en demandant au public ce que j'en dois croire, et principalement au père Malebrancke, que je reconnois volontiers pour juge dans sa propre cause; car, ni je ne me crois capable de lui faire des difficultés qui soient assez fortes pour l'obliger à dissimuler ce qu'il en penseroit, ni je ne le crois capable de dissimuler ce qu'il en penseroit quand même elles seroient extrêmement fortes.

Ce ne sont que des Doutes que je propose, et je me rendrai à la première réponse qu'on aura la bonté de me donner. Je me rendrai même, quand on ne m'en donneroit pas; et j'entendrai bien ce silence. Je prie qu'on ne prenne point tout ceci pour des discours d'une fausse modestie: ce qui doit répondre de la sincérité de mes paroles, c'est que je ne suis ni théologien, ni philosophe

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