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des choses incompatibles; que je ne saurois aller au-delà de l'amitié un peu égayée: mais je vous prie très-humblement de ne l'en croire pas. L'esprit est jaloux de moi; il sait que je vous aime plus qu'il ne fait, et il veut me détruire. On est bien malheureux, quand on a des ennemis cachés comme lui. Je ne doute point qu'il n'oublie pour moi la politesse qu'il a eue pour vous; et qu'après vous avoir entretenue fort galamment, il ne vienne m'insulter avec toute l'incivilité qu'ont accoutumé d'avoir ceux de son espèce. Mais j'espère du moins que vous reconnoîtrez bien ce qui le fera agir, et que les coups qu'il me donnera prouveront autant à mon avantage, que mes soins et mes assiduités. Je ne m'attendois pas que vous me fissiez des rivaux qui pussent venir déménager ma chambre toutes les nuits, jetter tous les meubles par les fenêtres, et me rouer peut-être de coups, sans que je fusse en pouvoir de m'y opposer: voilà ce que c'est que de m'être adressé à une Dame trop aimable. L'esprit quittera bientôt assurément la petite fille qui lui sert de prétexte, et s'attachera à vous-même; mais fût-il ici, je lui dirois en sa présence, que quand il parlera par votre bouche, on ne s'appercevra point que vous y ayiez rien gagné.

A MADEMOISELLE DE I

et

ON a bien raison de dire, Mademoiselle, que le mystère est un assaisonnement très-nécessaire à l'amour. Si la passion que j'ai pour vous étoit moins connue, un procès que j'ai ici en iroit bien mieux. Je plaide contre mon receveur, je vois bien qu'il se moque de mes poursuites. Il cherche à gagner toujours du tems, parce qu'il connoît que je vous aime, et qu'il est persuadé que j'aurai la foiblesse de retourner bientôt à.... pour vous voir. J'ai beau faire le méchant, il n'en tient compte. C'est grand'pitié, Mademoiselle, qu'il faille essuyer vos mépris et ceux de mon receveur! Il faut que cet homme-là ait pris de vos mémoires, tant il vous imite en tout. Il sair bien en sa consciènce ce qu'il me doit, et il a pris une forte résolution de ne rien payer. Il me chicane de toutes manières sur les moindres choses; il m'engage dans des procédures qui ne finiront de dix ans, suivant le train qu'elles prennent. La bonne foi que j'ai avec lui ne le touche point; il ne songe qu'à trouver l'occasion de me faire une tromperie. Du moins ce que j'espère, c'est que le jugement que j'obtiendrai contre lui, sera valable aussi contre vous; il sera tout-à-fait en cas pareil, et vous n'aurez rien à y répondre. Je m'en vais presser mon homme vivement, non

pas

à cause des quatre

mille écus qu'il me doit, mais à cause de la tendresse que vous me devez. Je m'animerai beaucoup davantage contre lui, et lui ferai moins de quartier, parce qu'il vous représente. A LA MÊME.

JE

E m'apperçois de ce que vous m'avez mandé, Mademoiselle, que vous entreriez dans les intérêts de mon receveur, et que vous solliciteriez pour lui. Comme vous ne cherchez tous deux qu'à prolonger les affaires, vos juges viennent de vous accorder un délai d'un tems infini. Vous allez triompher; mais j'ai trouvé un moyen de me venger de vous. Je pars, et dans deux jours je vous reverrai. Je vais désormais partager mon tems entre mon chicaneur et ma chicaneuse. Le loisir que l'un me laissera, je l'emploierai à agir contre l'autre. Je prévois que vous m'allez donner bien de l'exercice. Dès que je serai auprès de vous, vous me ferez rappeller par votre associé, qui me donnera quelque assignation; et quand j'en serai à poursuivre l'associé, il saura bien me faire lâcher prise, en vous obligeant à me mander quelque chose de tendre qui me fera aussi-tôt voler vers vous. Mais il n'importe, je m'aguerrirai, et deviendrai un si impitoyable plaideur, que vous aurez sujet de trembler au moindre avantage que j'aurai sur l'un de vous deux. J'aimerois mieux que ce fut vous

sur qui je commençasse à en avoir, car je vous trouve encore plus obstinée que mon receveur; et je crois que votre exemple auroit plus de pouvoir sur lui, que le sien n'en aura sur vous. Si vous me payiez mes soins que vous avez reçus, il verroit bien qu'il ne pourroit pas se dispenser de me payer mon argent qu'il a reçu aussi. Ainsi je vais travailler à obtenir de vous quelque chose qui le puisse convaincre, et je lui ferai aussi-tôt signifier les faveurs que vous m'aurez faites. Il me seroit commode de terminer les deux affaires tout d'un coup, tandis que je serai auprès de vous, et de n'être plus obligé de retourner plaider à une jurisdiction de campagne. Je vous assure que vous m'allez retrouver par cette raison - là plus ardent et plus passionné que jamais; et vous serez peut-être la première qui serez contente des effets de l'absence.

JE

A LA MÉ ME.

E vous trouvai hier, Mademoiselle, plus belle et plus brillante que jamais. Je ne sais si vous êtes embellie en effet, ou si c'est mon imagination qui vous a embellie. Voilà ce que c'est que d'aimer trop, on ne sait jamais bien au juste la vérité des choses. De bonne foi, je douterois quelquefois que vous fussiez aussi aimable que vous me paroissez, si je n'entendois dire à bien

des gens que vous l'êtes véritablement. Vous
pourriez être laide, que je ne m'en appercevrois
pas, car je vous aime jusqu'à la folie: aussi, quand
je commençai à vous aimer, comme je sentois
que je devois me défier de mon jugement sur
votre chapitre, j'allai demander à tout le monde
s'il étoit vrai què vous eussiez les grands yeux
vifs, l'agréable bouche, et l'air fin que je vous
voyois : on me dit qu'il n'y avoit à tout cela
aucune illusion; et sur cette réponse, je laissai
faire à mon cœur ce qu'il voulut. Quand j'y songe
pourtant, je trouve qu'il vaudroit mieux pour moi
que vous ne fussiez belle que par mon imagination,
plutôt que de l'être effectivement. Dieu sait avec
combien de plaisir vous recevriez un amour qui
vous embelliroit. Si vous ne m'aimiez pas, je vous
rendrois tout d'un coup votre première laideur,
en cessant de vous aimer. Mais vous seriez bien
fâchée de me devoir votre beauté, car il faudroit
que vous n'en fissiez d'usage que pour moi, et
ce n'est pas là votre compte. On est bien mal-
heureux que vos agrémens ne doivent rien à per-
sonne; cela vous rend trop fière. Je ne sais pourtant
si ceux que je vous trouvai hier, ne vous étoient
point inspirés par quelqu'un. Il est sûr que vos
yeux n'étoient
pas tout-à-fait au même état que
je les avois laissés, quand je partis. Il y avoit
quelque chose de changé, un certain brillant, un

ודדי

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